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[ 24/07/09  ]

L’affaire avait fait grand bruit début juin lorsque le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) s’était réuni pour statuer sur la mutation, contre son gré, du procureur général de Riom, Marc Robert, à la Cour de cassation. Saisi par l’intéressé, qui demande la suspension du décret de nomination, le Conseil d’Etat tient aujourd’hui une audience en référé pour statuer sur la légalité de la procédure, également contestée par les deux principaux syndicats de magistrats.

Selon ces derniers, cette nomination serait entachée d’irrégularité car elle aurait été retirée de l’ordre du jour de la réunion du CSM à la demande de Rachida Dati. Or cette demande de retrait, à laquelle s’est vivement opposé Patrick Ouart, le conseiller justice de l’Elysée présent à la réunion, ne figurerait pas dans le procès-verbal présenté au CSM. Une situation grotesque, puisque, même si l’avis du CSM avait été défavorable, rien n’interdisait au gouvernement de procéder tout de même à la nomination, comme cela s’est produit à de nombreuses reprises, notamment sous l’ère Dati.

Au-delà de l’erreur de procédure, l’affaire Marc Robert illustre bien la complexité des rapports qui unissent le CSM et le pouvoir exécutif. Une complexité qui, selon les syndicats, ne devrait pas s’améliorer avec la réforme du CSM prévue par la révision constitutionnelle (lire ci-contre) et dont le projet de loi organique sera examiné à l’Assemblée à la rentrée. La principale évolution tient dans la composition du CSM, où les non-magistrats seront dorénavant majoritaires.

Un avis simple

Pour le Syndicat de la magistrature, « le fait de ne plus être majoritaire n’est pas un problème, c’est même plutôt une bonne chose. On ne pourra ainsi plus taxer les juges de corporatisme. En revanche, la nomination de ces personnalités extérieures reste pilotée en grande partie par le pouvoir politique, ce qui laisse la porte ouverte à d’éventuelles pressions déjà observées dans le passé », explique Marc Bonduelle, son secrétaire général.

« Avec la révision constitutionnelle, il sera certes théoriquement possible de s’opposer aux nominations prévues par le chef de l’Etat, mais il faudra pour cela que la majorité des trois cinquièmes d’une commission du Parlement s’y oppose, ce qui est très difficile à obtenir, pour ne pas dire illusoire »,juge Catherine Vandier, vice-présidente de l’Union syndicale des magistrats (USM).

Enfin, les nominations des magistrats du parquet seront toujours soumises à un avis simple du CSM, et non à un avis conforme, comme c’est le cas pour les magistrats du siège. Ce qui laissera plus jamais ouverte la question de l’indépendance du parquet.

MARIE BELLAN, Les Echos
Les évolutions prévues par la réforme
En vertu de l’article 64 de la Constitution, le CSM est chargé d’assister le président de la République pour garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il formule des propositions ou des avis pour les nominations de certains magistrats et veille à leur discipline. La révision constitutionnelle de juillet 2008 entraîne plusieurs évolutions :  Le CSM ne sera plus présidé par le président de la République, mais par le président de la Cour de cassation pour la formation siège et le procureur général de la Cour de cassation pour la formation parquet. Quant au garde des Sceaux, il ne sera plus vice-président mais pourra assister aux réunions. Aujourd’hui composé de 12 magistrats (6 dans chaque formation) et de 10 personnalités extérieures (5 dans chaque formation), le CSM accueillera après la réforme une majorité de personnalités extérieures . Le nombre de magistrats ne variera pas. Le CSM pourra donner un avis sur la nomination des procureurs généraux , sans que le gouvernement soit tenu de le suivre. Le justiciable pourra saisir le CSM d’une demande de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un magistrat.

thorel150.jpgAprès six années passées à la tête du parquet du tribunal de grande instance de Papeete, le procureur de la République, Jean Bianconi, cède sa place. Comme prévu – son nom circulait depuis plusieurs mois déjà – c’est son homologue du parquet d’Ajaccio, José Thorel, qui va hériter de son bureau et des nombreux dossiers qui y transitent. José Thorel aura passé cinq ans sur l’île de Beauté, avant de retrouver une Polynésie française qu’il connaît bien, pour y avoir exercé sept ans durant, de 1995 à 2002, les fonctions de juge au tribunal de première instance et de juge d’application des peines.

Le magistrat, officiellement nommé substitut du procureur général près la cour d’appel de Papeete pour exercer les fonctions de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Papeete, le 9 juin dernier par décret du président de la République, a quitté la Corse en fin de semaine dernière rapportent nos confrères de Corse Matin.

Un portrait documentaire du magistrat bientôt à la télé

dna300.jpgEn Polynésie comme en métropole, l’arrivée à Tahiti de ce procureur de la République api est vécue comme annonciatrice d’un certain nombre de changements. Réputé “en bonne grâce auprès de l’actuel président de la République”, Nicolas Sarkozy, par son entourage, José Thorel succèdera à un Jean Bianconi étiqueté a contrario “chiraquien convaincu”, et largement controversé dans son approche des dossiers mettant en cause de près ou de loin l’ancien président de la Polynésie française, Gaston Flosse. Nommé à Papeete en 2003, après être passé par Nice, Aix-en-Provence ou Paris, Jean Bianconi s’était notamment illustré en tant que substitut du procureur de la République en Nouvelle-Calédonie. En 1988, il avait été pris en otage par les indépendantistes en compagnie du chef du GIGN et cinq autres gendarmes. Libéré, il joua par la suite le rôle de médiateur avant l’assaut de la grotte d’Ouvea. Le magistrat, partant à la retraite, devrait retrouver ses terres de Corse.

Réputé hermétique avec les journalistes, Jean Bianconi laisse en outre sa place à un José Thorel habitué desmédias, “inscrit dans la communication”. Pas plus tard que la semaine dernière, l’ex-procureur de la République d’Ajaccio faisait face aux caméras pour expliquer les conditions de la mort d’un jeune touriste de 19 ans, abattu d’une balle en pleine poitrine sur le parking d’une boîte de nuit par le videur de l’établissement. Le milieu nationaliste corse et ses multiples règlements de comptes sanglants l’ont également souvent propulsé sur le devant de la scène. Pour preuve de son ouverture à la presse, une équipe de télévision nationale l’a suivi pendant des mois pour un portrait documentaire qui devrait prochainement être diffusé, ajoutent nos confrères de Corse Matin.

Raphaël Pierre

Min3_a00065ec0b6e27cadc367b97587ee739Nathalie Mazier

Révocation, retraite forcée et déplacement d’office ont été requis à l’encontre de trois magistrats ayant comparu devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), les 1er et 13 juillet . Les décisions sont attendues mardi et mercredi.

Patrick Keil, 45 ans, substitut du procureur de la République de Montpellier (Hérault).
L’histoire de ce magistrat qui a instruit l’affaire Festina est celle d’une « descente aux enfers », selon l’expression de son conseil, Me Jean-Marc Darrigade, qui l’a assisté le 13 juillet lors de son audition devant le Conseil supérieur de la magistrature. Patrick Keil, mis en examen dans une procédure pénale pour « corruption et violation du secret professionnel », avait été suspendu provisoirement de sa fonction de magistrat en septembre 2008. La semaine dernière, le représentant du ministère de la Justice a requis sa révocation sans perte des droits à la retraite. Le substitut du procureur était arrivé à Montpellier en 2007 après un divorce difficile et un avis défavorable à une mutation sur l’île de La Réunion. Au fil des semaines, Patrick Keil entre dans une spirale infernale : il fréquente les bars, connaît de graves difficultés financières et se lie d’amitié avec un chirurgien dentiste impliqué dans une affaire de fraude à l’assurance maladie. Ce dernier va lui prêter de l’argent, lui offrir de nombreux repas… en échange de son aide. Mais Me Darrigade l’assure, « Patrick Keil n’a pas modifié la procédure judiciaire de l’affaire » qui embarrasse le médecin. Le magistrat, cependant, a accepté la manne du dentiste, ce qui constitue un manquement grave. « C’était de la corruption de survie. C’est un dossier pathétique sur le fond, un sacré gâchis », observe le défenseur. Le CSM doit rendre son avis mardi. Il sera ensuite déposé sur le bureau de la garde des Sceaux. Michèle Alliot-Marie devrait se prononcer d’ici un mois.

Didier Legrand, 57 ans, juge d’instruction au Mans (Sarthe).
Magistrat instructeur depuis 1998 au Mans, Didier Legrand a été entendu le 1er juillet dernier. Le reproche de sa hiérarchie ? « Sa lenteur dans son travail », résume son conseil, Me Jean-Luc Jacquet. Mais pas seulement. Lors de la visite de l’inspection des services judiciaires dans son bureau, « des incohérences entre le contenu des dossiers et les « notices » – compte rendu d’activité semestrielle envoyées à ses supérieurs – ont été décelées », confie l’avocat. Le magistrat est ainsi soupçonné d’avoir falsifié ses fameux compte rendu afin de masquer son inefficacité. Devant ses pairs, Didier Legrand a nié. Mais le magistrat, qui a connu « quelques phases brillantes » dans sa carrière avant de sombrer dans la dépression, miné par la surcharge de travail, risque d’être mis à la retraite d’office. Son défenseur espère toutefois un déplacement à un autre poste. « Le souhait de mon client est de continuer à œuvrer, mais il y a un problème de confiance avec l’histoire des notices », observe-t-il. La décision du CSM est attendue mercredi.

La sanction à l’encontre de Jean-Luc Raynaud, conseiller à la cour d’appel de Saint-Denis, à La Réunion (DOM), accusé d’avoir « manqué de dignité et de prudence », notamment lors d’une aventure extraconjugale, sera également connue mercredi. La chancellerie avait demandé son déplacement d’office. L’avocat du magistrat, Me Thierry Massis, avait estimé, lui, que les faits reprochés étaient « bénins » et qu’il fallait tenir compte du « climat délétère de l’île ».

Pendant plus de trois heures, le juge Patrick Keil, substitut du procureur de Montpellier, a dû répondre devant ses pairs du Conseil supérieur de la magistrature de faits graves de corruption. La révocation a été requise par la Chancellerie.

La salle de la Cour de Cassation impressionne par sa solennité et le gigantesque portrait de Napoléon. Le magistrat montpelliérain Patrick Keil, un petit homme bien mince, se retrouve lundi 13 juillet devant ses collègues de la Formation disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui doivent rendre un avis avant que la garde des Sceaux ne prenne une décision. Depuis le 14 novembre 2008, il est déjà interdit d’exercer sa fonction. Il a aussi été un temps placé en détention, dans le cadre de l’information judiciaire instruite parallèlement à la procédure disciplinaire. Sera-t-il révoqué?

Quels sont les faits les plus graves motivant cette audience exceptionnelle? Avoir accepté environ 13 000 euros de cadeaux de la part d’un dentiste de la ville en échange d’informations sur l’enquête pour escroquerie qui visait ce praticien après une plainte de la Sécurité sociale. Ces cadeaux étant effectués en paiement de verres au bar, de repas au restaurant ou en liquide. Le dentiste corrupteur lui avait été présenté par un barman. Il est aussi accusé d’avoir fait sauter 600 à 800 PV, en échange de petits coups à boire ou de billets de 20 ou de 50 euros.

“On m’a laissé m’enfoncer”

Patrick Keil a justifié sa dérive professionnelle, notamment son alcoolisme au bureau le conduisant à boire jusqu’à une bouteille et demi de Whisky par jour, par un drame familial: une douloureuse séparation avec sa femme, greffière dans le même tribunal, qui avait effectué une tentative de suicide au revolver. Le tout suivi de graves difficultés financières. Il a été moins convaincant en expliquant son “suicide professionnel” par sa démotivation après un refus de mutation à la Réunion et le sentiment d’avoir perdu la confiance de sa hiérarchie. “On m’a laissé m’enfoncer”, accuse-t-il, reprochant à son supérieur de lui avoir confié les procédures concernant des mineurs post-divorce, alors que lui-même vivait une séparation difficile avec trois enfants. Selon lui, aucun de ses collègues ne lui a manifesté de soutien amical. Une amitié qu’il n’a, poursuit-il, trouvé uniquement chez le dentiste corrupteur.

La représentante de la Chancellerie a requis la “révocation sans perte des droits à pension”, après avoir souligné la “perte totale de repères déontologique” de Patrick Keil, accusé de “vénalité”. L’intéressé n’a pas été surpris, puisqu’il venait de déclarer qu’il s’attendait à une révocation. “Je l’assume avec dignité”, a-t-il souligné, évoquant son projet de changer de métier en créant un site Internet de conseils juridiques et fiscaux. Son avocat, Me Jean-Marc Darrigade, a décrit une “déchéance humaine” qui l’a conduit à l’alcoolisme: “Dans les bars, la misère a rencontré la misère. De la vénalité? Non. Il a été victime d’un état de nécessiteux, qui lui a fait perdre ses repères.”

Le CSM transmettra son avis au Garde des Sceaux le 21 juillet.

Par AFP

PARIS – Le juge Fabrice Burgaud a décidé de ne pas contester devant le Conseil d’Etat la “réprimande” infligée en avril par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) pour son instruction contestée de l’affaire de pédophilie d’Outreau, a annoncé lundi un des ses avocats.

Le juge Fabrice Burgaud (c) avec son avocat Patrick Maisonneuve (d), le 24 avril 2009 au palais de justice de ParisAFP/Boris Horvat

Le juge Fabrice Burgaud (c) avec son avocat Patrick Maisonneuve (d), le 24 avril 2009 au palais de justice de Paris

Lorsque la décision avait été rendue par le CSM, le 24 avril, les avocats avaient laissé entendre qu’ils formeraient un recours devant la plus haute juridiction administrative. Mais Fabrice Burgaud veut désormais “mettre un terme” à la polémique, selon son conseil Me Jean-Yves Dupeux.

Il considère que la sanction (du CSM) a été prise pour des raisons de nature politique et il estime qu’en cas de cassation la nouvelle décision n’aurait pu qu’être inspirée par des considérations de même nature“, a justifié Me Dupeux dans un communiqué transmis à l’AFP.

L’ancien juge d’instruction de Boulogne-sur-Mer, aujourd’hui en poste au parquet de Paris, “supporte depuis cinq ans des critiques qu’il tient pour injustes et qui ont été attisés par la poursuite disciplinaire. C’est pourquoi il souhaite aujourd’hui qu’il y soit mis un terme“, ajoute le communiqué.

En 2006, le garde des Sceaux de l’époque Pascal Clément avait souhaité le renvoi de M. Burgaud devant la formation disciplinaire du CSM, lui reprochant, contre l’avis de ses services, un “manque évident de rigueur et d’impartialité” dans son instruction d’Outreau en 2001-2002.

Ce dossier très médiatisé d’abus sexuels sur mineurs s’était soldé par l’acquittement de 13 des 17 accusés, dont certains avaient passé jusqu’à trois ans derrière les barreaux. Cela avait contribué à miner la confiance des Français dans leur justice.

Lors de la comparution du juge devant ses pairs la Chancellerie avait réclamé un an maximum d’exclusion de la magistrature. Le CSM avait finalement opté pour la plus basse des neuf sanctions possibles à savoir “une réprimande avec inscription au dossier“, ce qui avait déclenché de nouvelles protestations des acquittés d’Outreau.

NOUVELOBS.COM

Marc Robert annonce son intention de déposer un recours contre sa mutation forcée à la Cour de cassation, qu’il estime “aucunement fondée, donc arbitraire”.

Marc Robert (Sipa)

Marc Robert (Sipa)

Le procureur général de Riom, Marc Robert a annoncé mardi 7 juillet dans un entretien au Monde daté de mercredi qu’il allait déposé un recours contre sa mutation forcée à la Cour de cassation et défend le principe de l’indépendance de la magistrature. Le magistrat rappelle le principe de séparations des pouvoirs et plaide pour un mode de nomination écartant toute influence politique. “Revenons à Montesquieu, il est grand temps (…) Nous redonnerons ainsi l’envie aux jeunes magistrats de rejoindre le ministère public et à ce dernier la sérénité dont il a besoin”, affirme-t-il.

Irrégularité du décret

Cette affaire est devenue emblématique d’une gestion des carrières des magistrats du parquet, jugée par les syndicats de magistrats politique et autoritaire. A côté des juges qui enquêtent et rendent les décisions, les magistrats du parquet sont chargés de déclencher ou non les poursuites et de représenter l’accusation. Cette affaire intervient alors que l’Elysée projette de donner tous les pouvoirs d’enquête aux procureurs, nommés sur décret du président, et de supprimer les juges d’instruction indépendants. Ce dossier a créé les premières tensions entre la nouvelle ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie et les syndicats de magistrats.
Ces derniers contestent sur le fond comme sur la forme la régularité du déplacement forcé de Marc Robert à la Cour de cassation. En effet, le décret du 24 juin avait été pris alors que Rachida Dati avait retiré le dossier de l’ordre du jour du Conseil supérieur de la magistrature.

Mutation “arbitraire”

Marc Robert confirme dans son entretien qu’il va saisir le Conseil d’Etat. “La mutation dont je fais l’objet n’est aucunement fondée, donc arbitraire”, explique-t-il. Selon le magistrat, on lui reproche de s’être opposé à la suppression du tribunal de Moulins (Alliers) et d’avoir fait part de ses réticences sur la suppression du juge d’instruction. “On ne saurait attendre d’un magistrat, fût-il procureur général, qu’il se comporte comme un partisan, voire comme un courtisan”, souligne Marc Robert.
(Nouvelobs.com avec Reuters)

Le procureur général de Riom dénonce une mutation “arbitraire”
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InternetActu | 07.07.09 | 09h29  •  Mis à jour le 07.07.09 | 09h39

e procureur général de la cour d’appel de Riom (Puy-de-Dôme), Marc Robert, devait déposer, mardi 7 juillet, un recours au fond et en référé-suspension devant le Conseil d’Etat, contre sa mutation d’office comme avocat général à la Cour de cassation. La chancellerie a évoqué le fait qu’il était en fonctions depuis neuf ans. Dans la magistrature, on dénonce une décision politique.

Pourquoi un recours contre votre nomination ?

Si j’ai refusé cette mutation, c’est qu’il s’agissait de m’évincer de mon poste actuel sous des prétextes fallacieux. C’est inacceptable pour des raisons de principe. La mutation dont je fais l’objet n’est aucunement fondée, donc arbitraire, et le décret de nomination me concernant est irrégulier, car la ministre de la justice a retiré de l’ordre du jour du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) le projet me concernant, après m’en avoir avisé deux jours avant. Le CSM n’a pas pu valablement statuer.

L’exécutif a déjà beaucoup de pouvoirs s’agissant de la nomination comme de la carrière des magistrats du ministère public. Encore faut-il qu’il respecte les règles constitutionnelles qui garantissent l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Je suis dans la curieuse situation d’un magistrat dont les compétences ne sont aucunement remises en cause, mais que l’on cherche à évincer sous des motifs apparents de pure gestion. L’intérêt du service ne commande pas d’affecter au parquet général de la Cour de cassation, déjà en surnombre, un magistrat supplémentaire.

Un procureur général est-il propriétaire de sa fonction et de son titre ?

Ne faisons pas semblant d’oublier que le pouvoir exécutif a la haute main sur les nominations des procureurs généraux. Si je suis en poste à Riom depuis neuf ans, c’est que l’on refuse depuis des années de me nommer dans un autre poste équivalent, alors même qu’en deux ans, 60 % des postes ont changé de titulaire.

On vous reproche vos réserves sur la réforme de la carte judiciaire et la suppression du juge d’instruction. Vous étiez le dernier procureur général nommé par la gauche. Votre mutation est-elle un acte politique ?

Je m’étais effectivement prononcé contre la suppression du tribunal de Moulins (Allier), lorsque l’on a sollicité mon avis. En ce qui concerne le juge d’instruction, j’estime qu’il faut y réfléchir à deux fois avant de supprimer un juge indépendant et accroître encore un peu plus les pouvoirs d’un ministère public dont les garanties statutaires sont manifestement insuffisantes. A deux reprises en vingt-cinq ans, le Parlement a voté, quasiment à l’unanimité, le maintien de l’instruction et la création de la collégialité, et cette réforme est en cours d’application.

On ne saurait attendre d’un magistrat, fût-il procureur général, qu’il se comporte comme un partisan, voire comme un courtisan, et c’est un principe que j’ai toujours appliqué quelle que soit la majorité. Cela ne rendrait service ni à l’image de la justice ni à celle du pouvoir politique qu’il en soit autrement.

Votre mutation montre-elle que le pouvoir exécutif ne peut se résoudre à l’indépendance du parquet ?

Je ne suis pas favorable à l’indépendance totale du ministère public, car le gouvernement doit, par la voix du ministre de la justice, pouvoir conduire une politique en matière pénale comme dans les autres domaines : il y va de l’intérêt général. Mais cet intérêt général, dont la défense est la raison d’être du procureur dans le procès car il y représente la société, ne se résume pas au seul pouvoir exécutif. Dans une démocratie, il résulte d’abord de la loi, cette loi dont il m’appartient de veiller à l’application dans mon ressort.

Au fond, qu’est-ce que nos concitoyens nous demandent ? D’être compétents, humains et totalement impartiaux dans nos décisions. Cette impartialité est d’autant plus indispensable aujourd’hui que le parquet décide de 60 % des réponses pénales à la délinquance, et qu’il doit assurer, aux côtés des juges, sa mission de gardien des libertés individuelles.

Les pouvoirs du parquet se sont considérablement renforcés, parce que nous sommes d’abord et avant tout des magistrats. Mais il faudra en tirer les conséquences institutionnelles. Continuer à faire dépendre du seul pouvoir exécutif la nomination et la carrière des magistrats du ministère public apparaît réducteur par rapport à nos différentes missions. Cela n’aide pas non plus à propager dans l’opinion publique cette image d’impartialité.

Plusieurs institutions européennes nous incitent à parvenir à un meilleur équilibre institutionnel entre le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire, en dissociant l’autorité compétente pour la nomination des magistrats du ministère public, procureurs généraux compris, et celle, légitime, qui lui donne des instructions.

Revenons à Montesquieu, il est grand temps. Alignons les statuts des juges et des parquetiers. Nous redonnerons ainsi l’envie aux jeunes magistrats de rejoindre le ministère public et à ce dernier la sérénité dont il a besoin. Notre efficacité dans la lutte contre la délinquance n’y perdra rien.

Propos recueillis par Alain Salles
DRPhoto Fabrice ANDRÈS

RAPPEL
Une délégation  du syndicat de la magistrature (classé à gauche) était jeudi en déplacement à Nîmes

Quel est le sens de votre venue à Nîmes pour rencontrer le premier président de la cour d’appel ? Lui avez-vous parlé de l’enquête menée par l’inspection générale des services judiciaires au tribunal de grande instance de Nîmes ?

Le bureau national s’est déplacé à Nîmes en raison des difficultés récurrentes que rencontrent les magistrats de cette juridiction dans leurs relations professionnelles avec le président du TGI. Nous souhaitions attirer l’attention du premier président sur ce climat délétère et lui demander d’intervenir dans un souci d’apaisement. En effet, certaines attitudes adoptées par le président du Tribunal nous semblent très préoccupantes au regard de la gestion des ressources humaines dont il a la charge.
Il nous semblait ainsi indispensable de faire en sorte que le dialogue entre les magistrats et leur hiérarchie puisse être rétabli. Le premier président nous a reçus longuement et a été très attentif à nos préoccupations. Nous avons bien évidemment abordé la question de l’inspection diligentée dans cette juridiction, dont nous attendons toujours les conclusions.

Plus globalement dans quel état se trouve la justice ?  Son indépendance est-elle réellement garantie ?
La justice traverse une crise sans précédent. Elle est d’abord attaquée en tant que service public, avec une réforme de la carte judiciaire opérée sans aucune concertation et qui s’apparente à un véritable saccage de la justice de proximité.
Elle est ensuite attaquée en tant qu’institution constitutionnelle, puisque son indépendance est sans cesse bafouée, à la fois par le pouvoir exécutif et, de plus en plus, par une hiérarchie judiciaire qui confond autorité et autoritarisme. Enfin, la justice est remise en cause dans sa mission de régulation sociale puisque la volonté politique est de la réduire à une simple machine à punir les plus fragiles.
Ces derniers mois, les exemples de reprise en main des magistrats se sont multipliés. Les magistrats du parquet sont considérés comme des préfets judiciaires sans égard pour leur mission de garants des libertés individuelles.
L’affaire du procureur général de Riom est à ce titre emblématique puisque le président de la République a signé le décret de sa mutation forcée pour la Cour de Cassation alors que le Conseil supérieur de la magistrature n’avait pas officiellement rendu son avis… Il semble en outre que les débats qui se sont déroulés au CSM n’aient pas été fidèlement retranscrits dans le procès-verbal de la séance. Nous allons d’ailleurs, avec l’USM et le Procureur général de Riom, saisir le Conseil d’Etat en référé sur ce grave dysfonctionnement.

La politique pénale est-elle cohérente et lisible pour les citoyens ?
On ne peut plus vraiment parler de politique pénale puisque l’action du gouvernement se résume en la matière à demander toujours plus de répression sans aucune considération pour les spécificités locales. On est dans l’idéologie pure et simple. Si vous ajoutez à cela une pression statistique sans précèdent et les lois qui dénient au juge son pouvoir d’appréciation comme avec les peines planchers, c’est l’image d’une justice aveugle et sourde à l’humain qui se dessine. En outre, la politique pénale consiste aujourd’hui à “cibler” des populations en les désignant comme des classes dangereuses : les mineurs, les étrangers, les sans logis etc.

Sur quelle urgence doit se pencher le pouvoir politique ?

Pour nous, l’urgence, ce serait d’abord d’arrêter cette infernale spirale législative rythmée par les faits divers qui a abouti à modifier 116 fois le Code Pénal entre 2002 et 2008 !Ensuite, nous continuons à réclamer l’abrogation de lois particulièrement attentatoires aux principes républicains. Il s’agit bien sûr des lois instituant la rétention de sûreté et les peines planchers.
Enfin, nous demandons l’abandon du projet présidentiel visant à supprimer le juge d’instruction sans modifier le statut du parquet qui resterait sous l’emprise de l’exécutif. Il y a évidemment matière à réformer la procédure pénale, mais pour renforcer les droits des parties (auteurs ou victimes), limiter drastiquement la détention provisoire, et renforcer les garanties statutaires des magistrats du parquet pour les protéger des pressions notamment politiques.

Propos recueillis par Hocine ROUAGDIA

Par François Koch

l'Union syndicale des magistrats accuse l'ex-garde des sceaux Rachida Dati, d'avoir "signé un faux" . AFP PHOTO/JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN

l’Union syndicale des magistrats accuse l’ex-garde des sceaux Rachida Dati, d’avoir “signé un faux” .

Le limogeage d’un procureur général provoque une crise institutionnelle grave. Les syndicats accusent Nicolas Sarkozy de s’appuyer sur un document tronqué.

La promotion-sanction du procureur général de la cour d’appel de Riom (Puy-de-Dôme), Marc Robert, le dernier à un tel poste à avoir été nommé par la gauche, relevait déjà de l’imbroglio. Tournera-t-elle à l’affaire d’Etat ? Tout commence par un revirement du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui doit être consulté en pareilles circonstances : ce sera d’abord non… puis oui, trois semaines plus tard. Le 4 juin, le CSM allait officialiser ce choix quand – coup de théâtre – Rachida Dati retire de l’ordre du jour le “cas Robert”. Réunion houleuse, au cours de laquelle Patrick Ouart, le très puissant conseiller justice de l’Elysée, s’oppose à la ministre de la Justice. Mais Dati lui tient tête. Le lendemain, la chancellerie explique à la presse : “La garde des Sceaux a différé la nomination de Marc Robert.”

Or, le 23 juin, Nicolas Sarkozy signe le décret d’éviction de Robert… en se référant à “l’avis du CSM du 4 juin 2009”. Le sang des responsables de l’Union syndicale des magistrats (USM) et du Syndicat de la magistrature (SM) ne fait qu’un tour. Leurs représentants consultent le PV de la réunion du CSM et découvrent que la passe d’armes entre Dati et Ouart a été purement occultée. “Rachida Dati a signé un faux”, s’offusque Christophe Régnard, président de l’USM. Le 25 juin, les représentants des syndicats se retirent de la “formation parquet” du CSM. Du jamais-vu ! Pourquoi le chef de l’Etat n’a-t-il pas convoqué une nouvelle réunion du CSM, avec une demande d’avis d’une légalité incontestable ? “C’est un passage en force d’un pouvoir politique qui se sent tout-puissant”, analyse Emmanuelle Perreux, présidente du SM.

Si l’Elysée observe un prudent silence, la chancellerie cache mal son embarras, se contentant de répéter : “Si la légalité du décret présidentiel est contestée, il existe des voies de recours devant le Conseil d’Etat.” Entre-temps, Michèle Alliot-Marie a remplacé Rachida Dati. Comment parviendra-t-elle à résoudre cette crise institutionnelle sans précédent ?

AP

La ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie doit recevoir ce mardi après-midi les membres de la formation parquet du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont les trois membres élus syndiqués ont décidé le 25 juin de ne plus siéger au sein de l’organe constitutionnel pour protester contre les conditions de nomination du procureur général de Riom, Marc Robert, à la Cour de cassation, a-t-on appris de sources judiciaires.

Dans la matinée, la nouvelle ministre de la Justice a reçu les présidents des trois formations du CSM (siège, parquet et plénière), a-t-on précisé de mêmes sources.

Le 25 juin, les trois membres syndiqués élus de la formation parquet ont démissionné pour protester contre la nomination de M. Robert alors que le projet avait été retiré de l’ordre du jour à la demande de l’ancienne ministre de la Justice, Rachida Dati. Or, selon l’Union syndicale des magistrats (USM) et le Syndicat de la magistrature (SM), le procès-verbal de cette séance ne mentionnerait pas la demande de retrait de l’ordre du jour du projet de nomination de M. Robert. Le décret le nommant à la Cour de cassation a été publié mercredi 24 juin au Journal officiel.

Les syndicats se réservent la possibilité de porter plainte pour “faux et usage de faux”, estimant que la rédaction du procès-verbal de la séance ne mentionne pas ce retrait de l’ordre du jour où Mme Dati s’est affrontée au conseiller du président de la République, Patrick Ouart, en décidant de retirer de l’ordre du jour cette mutation.

La formation des magistrats du parquet au sein du CSM est composée de dix membres dont quatre ne sont pas magistrats. Ses avis concernant les propositions de nominations sont facultatifs, le garde des Sceaux pouvant passer outre les avis négatifs, contrairement aux avis relatifs aux magistrats du siège. Le quorum pour que les décisions soient prises est de six membres. AP

Le maire PS de Paris, Bertrand Delanoë, a demandé samedi au président de la République de faire “toute la lumière” sur la mutation controversée du procureur général de Riom (Puy-de-Dôme), Marc Robert, à la Cour de cassation, devenue officielle mercredi.
“Parce qu’il ne peut subsister le plus petit soupçon sur les conditions dans lesquelles est intervenue la mutation d’un procureur général, je demande au président de République, garant de l’indépendance de la justice (.

..) de faire toute la lumière” sur cette affaire, dit M. Delanoë dans un communiqué.
Marc Robert, nommé à Riom sous le gouvernement Jospin, était opposé à son départ à la Cour de cassation. L’annonce de sa mutation avait provoqué la colère des syndicats de magistrats, qui y voyaient une sanction contre l’opposition affichée du procureur général à la refonte de la carte judiciaire.
L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) et le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) protestent contre une nomination jugée “illégale” car elle n’a pas été soumise au préalable à l’avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).
La réunion du CSM du 4 juin avait tourné à la passe d’arme entre Patrick Ouart, conseiller justice du président Nicolas Sarkozy, et Rachida Dati qui avait subitement retiré de l’ordre du jour la nomination.
“Il serait inconcevable dans un Etat de droit que cet avis n’ait pas été donné ou même qu’il plane le moindre doute sur le fait qu’il ait été donné dans des conditions irrégulières”, dit le maire de Paris, premier responsable socialiste à s’exprimer sur le sujet.
“Seul une totale transparence peut garantir que nos institutions ont été respectées et que celles-ci conservent la force qui fait de notre République une démocratie où les pouvoirs sont indépendants et séparés”, ajoute-t-il.