Le père incestueux ne prend que 6 mois…
Image © Murat Christian
Cet ancien haut fonctionnaire français, ami de grands avocats genevois, vit à Genève depuis une trentaine d’années sous une autre identité. Tout au long du procès, il a pu compter sur le soutien de deux ténors du barreau, Mes Bonnant et Poncet.
Gabriel Aranda a violé sa fille pendant quinze ans. Hier, pourtant, la Cour d’assises de Genève ne l’a condamné qu’à 3 ans de prison, dont 6 mois ferme.
Fabiano Citroni – le 11 décembre 2009, 22h51
LeMatin.ch & les agences
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Gabriel Aranda a pris la virginité de sa fille en 1985. Elle n’avait alors que 8 ans. Il l’a violée et a abusé d’elle à de multiples reprises jusqu’en 2000. Hier, à l’issue d’une semaine de procès, la Cour d’assises de Genève l’a reconnu coupable de viol et de contrainte sexuelle entre 1995 et 2000, les faits antérieurs étant prescrits. L’homme, aujourd’hui âgé de 71 ans, a été condamné à 3 ans de prison, dont six mois ferme. Il purgera sa peine en semi-détention, c’est-à-dire qu’il ne passera que ses nuits en prison.
Le jury n’a pas cru l’homme qui a fait trembler la Ve République à l’époque de Georges Pompidou en révélant notamment des affaires de pots-de-vin au sein du gouvernement et de vente de chasseurs-bombardiers à la Libye, alors en guerre contre Israël. Non, le jury ne l’a pas cru lorsqu’il a juré «devant Dieu» qu’il n’avait pas abusé de sa fille. En revanche, il a jugé le récit de la jeune femme de 32 ans «crédible». Et il a tenu compte du témoignage d’un de ses frères, qui a vu par deux fois son père abuser de sa sœur dans l’appartement familial.
Reste une question: pourquoi, alors que l’accusé «a quand même sodomisé sa fille», comme l’a rappelé le substitut du procureur Marco Rossier, le verdict est-il si clément? «La peine est effectivement légère, confirme l’avocate de la plaignante, Me Doris Leuenberger. Mais il faut avoir à l’esprit que la période pénale était comprise entre 1995 et 2000. Par ailleurs, ma cliente ne recherchait pas une sanction grave, mais la reconnaissance des actes abominables qu’elle a subis. Elle l’a dit pendant le procès et le jury en a tenu compte. Enfin, en purgeant sa peine en semi-détention, le père pourra continuer d’exercer une activité professionnelle et ainsi verser la contribution d’entretien due à son épouse, comme l’a invoqué son avocat pour appeler à la clémence des juges.»
«commencer à revivre»
Son père condamné, la jeune femme, qui a tenté de se suicider à trois reprises depuis le dépôt de sa plainte, en 2005, arrivera-t-elle à tourner la page? «Avec ce verdict de culpabilité, elle peut commencer à revivre, estime Me Leuenberger. Reste que, jusqu’au bout du procès, elle a espéré et attendu que son père reconnaisse ses actes et demande pardon. A l’énoncé du verdict, lorsque ce dernier s’est levé pour prendre la parole, elle a pensé que ce moment était arrivé. Mais, une fois de plus, son père a nié les faits.»
Avocat de Gabriel Aranda avec Marc Bonnant, Me Charles Poncet se montre laconique: «C’est un verdict nuancé qui a pour conséquence que mon client n’ira jamais en prison, ce qui est juste.»
INTERVIEW de Me Jacques Barillon, avocat
«De telles décisions de justice créent un certain malaise»
Trois ans de prison, dont six mois ferme: ce verdict semble clément. Qu’en pensez-vous?
Cette sanction me fait penser à un jugement de Salomon. L’argumentation et les protestations d’innocence de l’accusé ont été écartées, un verdict très sévère a été rendu par le jury et, dans la foulée de celui-ci, une peine compatible avec le sursis partiel a été prononcée. Je n’en suis toutefois guère surpris. L’expérience enseigne en effet que de telles décisions de justice, hélas fréquentes dans les affaires d’allégations d’abus sexuels, donnent l’impression d’une forme de compromis et d’incohérence. Le citoyen en ressent inévitablement un certain malaise.
Comment la victime réagira-t-elle? Plutôt satisfaite de voir son père reconnu coupable? Ou bouleversée par ce verdict?
Chaque victime de tels actes ressent les choses différemment. D’une manière générale, la victime d’abus sexuels, surtout dans les cas d’inceste, désire essentiellement, sinon exclusivement, que sa parole soit tenue pour vraie. Souvent, peu lui importe la quotité de la peine infligée à son abuseur. Parfois, la victime – sans toujours l’exprimer – souhaite même que l’auteur ne fasse pas de prison ferme.
Patrick Gilliéron
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Genève | Il y a trente ans, Gabriel Aranda faisait trembler la France par ses révélations. – Depuis, il travaillait incognito pour les grandes études. Il est accusé d’inceste.
© Murat Christian | Gabriel Aranda
CATHERINE FOCAS | 03.12.2009 | 00:00
Gabriel Aranda, l’homme qui avait fait trembler la Ve République à l’époque de Georges Pompidou en révélant un scandale qui porte encore son nom, qui avait fui la France et que beaucoup croyaient mort, vivait tranquillement à Genève et travaillait, sous pseudonyme, pour les plus grandes études de la place. Ce personnage sulfureux, l’«archange Gabriel», le «Saint-Just» de la photocopie, comme on l’avait surnommé à l’époque, comparaîtra depuis lundi devant la Cour d’assises, accusé de viol et de contrainte sexuelle sur sa fille. Il est défendu par l’élite du Barreau genevois: Marc Bonnant et Charles Poncet, qui plaident l’acquittement. Le procès devrait durer une semaine.
Dans les années 70, Gabriel Aranda, conseiller technique au ministère d’Albin Chalandon, avait révélé via Le Canard enchaîné des affaires de pots-de-vin au sein du gouvernement et de vente de chasseurs-bombardiers à la Libye, alors en guerre contre Israël. «Une odeur de pourris», titrait à l’époque Le Canard. «Aventurier, justicier, illuminé?» pouvait-on lire en une de Paris Match. Et puis l’homme avait disparu. Mort?
Les amis choisis
Non. Sous le pseudonyme de «Monsieur Daumier», le dessinateur de «Gens de justice», il collaborait avec feu Me Dominique Poncet puis ses successeurs. D’ailleurs, sa fiduciaire se trouve au cinquième étage de l’immeuble de la rue de Hesse qui abrite l’étude Amaudruz, Poncet, Turrettini et Neyroud. Quelques-uns, parmi ses puissants amis, viendront d’ailleurs à la barre en tant que témoins de moralité.
Car Gabriel Aranda savait s’entourer. Et il est décrit comme une «personne infiniment courtoise et bien élevée.» Discrète également. On pouvait confier à cet analyste financier les dossiers les plus délicats et les plus secrets.
On savait qu’il resterait muet comme une carpe. Mais, selon sa fille, lorsque cet affable personnage rentrait à la maison, il devenait un père brutal et effrayant: «Il nous racontait que puisqu’il avait pu quitter la France sans être inquiété après les scandales qu’il avait révélés, qu’il se cachait depuis trente ans à Genève et qu’il avait des amis haut placés, il s’en sortirait toujours. Nous ne pouvions rien contre lui. C’était la terreur et le contrôle permanent de toute la famille.»
Il la saisissait par la gorge
C’est ainsi que l’avocate de la jeune femme, Me Doris Leuenberger, explique la plainte tardive de sa cliente: «Gabriel Aranda se présentait comme quelqu’un qui était au-dessus des lois, un homme tout-puissant, sa fille avait l’impression qu’elle ne pourrait jamais avoir gain de cause.»
Selon l’acte d’accusation, de 1985 à 2000, Gabriel Aranda s’introduisait, la nuit, dans la chambre de sa fille, la saisissait par la gorge et les cheveux, lui imposait tous les actes sexuels imaginables en la menaçant de tuer les autres membres de la famille si elle faisait le moindre bruit. Un de ses frères a vu quelques-unes de ces scènes: il viendra témoigner.
Pour Marc Bonnant, toute cette affaire se résume à une «machination», à la «vengeance d’une femme qui entretenait une relation de haine palpable et nauséeuse avec son mari».
Les enfants ont été entraînés dans ce duel. La plainte date d’ailleurs de 2005, l’année justement où le couple se disputait âprement autour des conditions financières du divorce.
L’avocat ne comprend pas pourquoi la plaignante, âgée aujourd’hui de 32 ans, a attendu aussi longtemps avant de dénoncer les faits. Ni pourquoi son frère a laissé passer dix ans avant de parler des agressions sexuelles. Marc Bonnant n’y croit pas: «Les accusations d’abus sexuels sont dans l’air du temps, c’est aujourd’hui une arme classique dans l’arsenal de combat. Dans 30% des cas, elles sont fausses.»
Dès lundi, «Monsieur Daumier» devra s’expliquer devant les juges.
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Dans l’affaire Aranda, le fils témoigne: “J’ai vu mon père violer ma sœur”
JUSTICE | Gabriel Aranda, ex-haut fonctionnaire français, est accusé du viol de sa fille devant la Cour d’assises de Genève.
© Keystonr | Me Charles Poncet (gauche), et Me Marc Bonnant (droite) avocats de Gabriel Aranda.
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Catherine Focas | 08.12.2009 | 15:51
Dans les affaires d’inceste, il est rare d’avoir un témoin direct. Aujourd’hui pourtant, au deuxième jour du procès de Gabriel Aranda pour viol et contrainte sexuelle, le jury de la Cour d’assises a entendu l’incroyable témoignage du fils aîné de l’accusé, affirmant avoir vu son père violer sa sœur.
Depuis des années, il se demandait ce que son père faisait, la nuit venue, dans la chambre de sa sœur. Il n’entendait pas le bruit de l’interrupteur quand il rentrait chez elle, il n’entendait aucune conversation. Ca durait 15 minutes. Et puis, son père allait se laver dans la salle de bain. Une demi-heure plus tard, c’est sa sœur qui s’y rendait. Un rituel incompréhensible.
Une nuit au mois de juin, il avait alors 15 ans, il a voulu savoir. Il est sorti par la porte fenêtre, il a guigné dans la pièce voisine et il a vu: “Mon père se tenait au bord du lit, je le voyais de trois quart. Ma soeur était à moitié allongée, à moitié assise. Elle avait son sexe dans sa bouche. Lui, il lui tenait la tête, ses mains dans les cheveux, et il lui faisait faire un mouvement de va et vient avec beaucoup de violence. Elle n’arrivait visiblement pas à respirer, son visage exprimait la douleur. Lui, il prenait du plaisir. Il avait la bouche à demi ouverte. Ca m’a dépassé, je me suis senti défaillir, je me suis reculé doucement, je suis retourné dans mon lit, je me suis recroquevillé en état de choc.”
Deux semaines plus tard, il assiste à une scène de viol: “On aurait dit que ma soeur se faisait dévorer par une bête sauvage. Mon père avait un regard animal. Elle sanglotait. Il l’appelait “ma petite pute.”” Il n’a rien dit pendant dix ans. Si grande était la terreur que ce père, parfait aux yeux des étrangers, faisait régner au sein de sa famille. Jusqu’au jour où sa soeur qui l’amène à l’aéroport lui demande: “Tu penses qu’un père qui viole ses enfants devrait aller en justice ou en enfer?”. Il se souvient: “On a arrêté la voiture. Et j’ai pu lui dire: oui, je l’ai vu. J’ai ressenti un immense soulagement. C’était en 2005, juste avant qu’elle dépose plainte.”
Le procès de cet ancien haut fonctionnaire français qui avait défrayé la chronique à l’époque de Pompidou et donné son nom à un scandale se poursuit jusqu’à vendredi.