PEINE DE MORT, DECEMBRE 2004 / LA SITUATION AUX ETATS-UNIS
__Près de 3’500 condamnés américains attendent leur exécution
par Geoffroy Didier

Cette semaine [27 au 31 décembre 2004], comme toutes les semaines, l’Amérique éliminera au moins un être humain. Non pas un étranger sorti des ruelles de Fallouja mais bien un Yankee du Midwest, de la Floride ou du Texas. Près de 3 500 condamnés américains attendent, aujourd’hui, leur exécution dans les couloirs de la mort. Certains chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans l’Illinois, où un moratoire a été décrété, il y a deux ans, la majorité des individus condamnés à la peine capitale en l’espace de vingt-cinq ans ont été reconnus victimes de procès irréguliers et finalement innocentés. Un ratio d’erreur judiciaire de plus de un sur deux ! Statistiquement, il est à peu près certain que l’Amérique a déjà exécuté des dizaines, voire des centaines d’innocents.

La campagne présidentielle américaine a laissé dans l’ombre la question du châtiment suprême. Le candidat Kerry s’est déclaré opposé au principe de la peine capitale, “à part pour les terroristes”, mais n’a jamais vraiment osé défendre haut et fort sa conviction. Sans doute avait-il compris que, dans son pays, les candidats abolitionnistes sont vite taxés de laxisme. Bush père ne s’était pas privé de l’argument pendant sa campagne de 1988 contre l'”idéaliste” Dukakis. Et Bill Clinton, plus fin politique, s’était empressé, quatre ans plus tard, de partir entre deux meetings dans son Etat de l’Arkansas pour présider à l’exécution d’un condamné… handicapé mental !

L’opinion américaine reste favorable à la death penalty et, sur les cinquante Etats d’Amérique, trente-huit pratiquent la peine de mort. Ce constat est d’autant plus insupportable que l’analyse des condamnations révèle un système judiciaire profondément défectueux.

Erreurs d’identification des suspects, aveux obtenus sous la contrainte, négligences de la police, refus de tests ADN, procureurs zélés, jurés partiaux… et même avocats commis d’office qui dorment au cours des audiences ! Les rapports et témoignages sont accablants. En Amérique, ce sont avant tout la réalité des tribunaux et les nombreuses déficiences systémiques qui plaident contre la peine de mort. Imposer les tests ADN constituerait une première étape nécessaire pour limiter les erreurs judiciaires. Une étude du FBI a démontré que, sur 8’000 suspects arrêtés grâce à des indices scientifiques (cheveux, fibres, sperme…), 2’000 ont été par la suite disculpés sur la foi de tests ADN. L’Innocence Project, créé en 1992 par deux avocats à la faculté de droit Benjamin-Cardozo, de New York, s’en est même fait une spécialité : grâce à ses actions judiciaires, 153 condamnés ont déjà été exonérés du châtiment suprême.

L’objectif ultime reste bien entendu l’abolition. Cette décision relève de chacun des Etats fédérés et le chemin politique pour y parvenir semble encore long, tant les certitudes morales des habitants du Texas ou de l’Idaho seront difficiles à ébranler. Assainir leur système judiciaire constitue au moins cette première étape possible qui permettra d’épargner de nombreux innocents. La peine de mort reste pour l’Amérique comme une petite vérole qui lui colle à la peau, qui entame sa crédibilité à travers le monde et alimente l’antiaméricanisme.

Puisque George W. Bush triomphe aujourd’hui dans les urnes, n’oublions pas les combats de ceux qui luttent contre la peine capitale et contribuent à ce que les Etats-Unis retrouvent le chemin d’une justice plus humaine.

Geoffroy Didier, chercheur à Harvard law school et avocat. Tribune libre publiée dans le quotidien Libération, Paris, 29 décembre 2004.

Mohammed Bouyeri, l'assassin du réalisateur néerlandais Theo Van Gogh, ferait partie du réseau terroriste Hofstad.(Photo: AFP)

Mohammed Bouyeri, l’assassin du réalisateur néerlandais Theo Van Gogh, ferait partie du réseau terroriste Hofstad.
(Photo: AFP)
Ce lundi s’ouvre à Amsterdam le procès du réseau terroriste Hofstad. Quatorze inculpés se succèderont à la barre, jusqu’à la mi-février, au cours d’audiences séparées. Parmi eux, Mohammed Bouyeri, 27 ans, l’assassin de Theo van Gogh, un cinéaste connu pour ses critiques à l’encontre de l’islam.

De notre correspondante aux Pays-Bas

La justice néerlandaise cherchera à démontrer que Mohammed Bouyeri, déjà condamné à la prison à vie en juillet dernier, n’a pas agi seul. Se trouve au coeur du procès qui commence ce lundi son appartenance à un réseau plus vaste, Hofstad (la cité de la cour de justice, hofstad en néerlandais), baptisé ainsi par la police en raison de ses bases à La Haye. Composé en majorité de jeunes Néerlando-marocains qui se seraient radicalisés au contact les uns des autres, ce réseau est accusé d’avoir  «conspiré en vue de commettre des actes sérieux de terrorisme».

Comme ses comparses, Mohammed Bouyeri fait peur, aux Pays-Bas, par la violence de son acte et un fanatisme qui le pousse, encore aujourd’hui, à écrire des pamphlets contre l’islam modéré, depuis les quartiers d’isolement où il purge sa peine. Ce jeune islamiste radical incarne aussi un terrorisme «local» en contradiction totale avec l’esprit de tolérance de la société dans laquelle il a grandi. Si son rôle avant le meurtre de Theo van Gogh a été sous-estimé par les services secrets, qui avaient pourtant infiltré le réseau Hofstad, c’est qu’il avait très peu de contacts à l’étranger.

Contrairement à d’autres inculpés, comme Nourredin el Fatmi, 22 ans, arrêté et relâché au Portugal en 2004, ou encore Jason Walters, 19 ans, soupçonné d’avoir suivi une formation au Pakistan, Mohammed Bouyeri passait pour second couteau, un simple porteur de messages. Il a bien essayé de se rendre en Tchétchénie, mais il a été refoulé à la frontière russe et a dû faire demi-tour, a révélé le journaliste néerlandais Emerson Vermaat dans son livre De Hofstadgroep, paru en octobre 2005.

Le meurtre comme le plus haut but à atteindre

Central aux yeux de l’opinion néerlandaise, l’aspect purement «local» ou non du groupe sera minutieusement examiné au cours du procès. Et ce, d’autant plus que Mohammed Reha, un Belge d’origine marocaine arrêté le 16 novembre au Maroc, a affirmé avoir été en contact avec Samir Azzouz, qui aurait refusé la participation de combattantes basées en Belgique à un attentat suicide en préparation aux Pays-Bas.

En attendant le dénouement du procès, prévu pour le 24 février 2006, «la nationalisation du terrorisme semble relever d’une attitude très calviniste de remise en question de soi-même», critique le sociologue Paul Scheffer. «Comme le terrorisme allemand des années soixante-dix a pu être influencé par la guerre du Vietnam, ces jeunes musulmans sont très au courant de la situation en Tchétchénie, en Palestine ou en Irak, poursuit-il. Ils en tirent une motivation plus forte que les frustrations vécues ici, aux Pays-Bas».

Le procès s’est ouvert sur l’interrogatoire de Malika, proche du groupuscule. Elle fait partie des cinq jeunes femmes, parmi lesquelles des ex-épouses des inculpés, qui ont livré des témoignages compromettants pour eux à la police. En septembre, Malika avait affirmé que le groupe s’était radicalisé au cours de l’été 2004, et qu’il se rencontrait régulièrement chez Mohammed Bouyeri. Nawal, une autre jeune femme, a, quant à elle, confirmé les soupçons qui pèsent sur un Syrien de 43 ans, Redouan al-Issa. Leader présumé du groupe, il a quitté le pays le 2 novembre 2004, le jour du meurtre de Theo van Gogh, et s’est volatilisé depuis.

Nawal a aussi confessé que jusqu¹à une période récente, elle considérait le meurtre comme le plus haut but à atteindre, et se considérait capable d’assassiner une personnalité telle que Ayaan Hirsi Ali. Cette députée conservatrice d‘origine somalienne, partie en croisade contre l’islam après les attentats du 11 septembre, vit sous haute protection depuis le meurtre de son ami Theo van Gogh. Des menaces de mort explicites à son encontre avaient été laissées par Mohammed Bouyeri sur le corps de sa victime, dans une lettre transpercée d’un poignard.

par Sabine  Cesso

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