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DÉBAT. Sept départements vont expérimenter les nouvelles cours criminelles. L’avis très opposé de deux ténors, Mes Hervé Temime et François Saint-Pierre.

Par Nicolas BastuckPublié le 09/05/2019 à 08:15 | Le Point.fr

A compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront a titre experimental, dans sept departements pilotes. Image d'illustration.
À compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront à titre expérimental, dans sept départements pilotes. Image d’illustration. © JACQUES DEMARTHON / AFP

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La création de cours criminelles départementales, chargées de juger (hors récidive) les crimes punis de 20 ans de réclusion maximum (viol, vol à main armée…), est l’une des mesures phares de la loi de programmation et de réforme de la justice, promulguée le 23 mars dernier. C’est aussi l’une de ses dispositions les plus controversées. Ces nouvelles juridictions seront composées d’un président et de quatre assesseurs, tous professionnels, deux d’entre eux pouvant être, en outre, magistrats honoraires ou exercer leurs fonctions à titre temporaire. Exit, donc, le jury populaire et ses six jurés citoyens tirés au sort sur les listes électorales ! Précisons qu’en appel, la cour d’assises classique, avec ses jurés citoyens, retrouve la plénitude de ses compétences, pour tous les crimes, quelle qu’en soit la gravité.

Dans un premier temps, et à compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront à titre expérimental, dans sept départements pilotes dont la liste vient d’être arrêtée : la Moselle, les Ardennes, le Calvados, le Cher, La Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines. Une évaluation, à laquelle sera associé « l’ensemble des acteurs judiciaires », devra être réalisée dans un délai de trois ans. Si ses conclusions sont positives, le dispositif sera étendu à l’ensemble du pays, pour tous les crimes passibles d’une peine de 15 ou 20 ans.

Lire aussi Réforme de la justice : un tribunal criminel qui fait débat

Totem judiciaire

Création révolutionnaire, le jury populaire criminel a été instauré en 1791. « Sa création est porteuse d’une charge démocratique particulière », note dans le dernier numéro de la revue AJ-Pénal le magistrat honoraire Alain Blanc, qui présida durant huit ans la cour d’assises de Paris. « Le peuple y contrôle et y domine numériquement les magistrats professionnels, ce qui donne lieu à des débats récurrents, opposant (…) les tenants de la légitimité politique des jurés populaires à ceux qui invoquent l’exigence de qualité et de fiabilité du droit ». Du reste, la procédure de la cour d’assises, fondée sur l’oralité des débats, donne lieu « à la confrontation de deux légitimités que l’on pourrait qualifier d’anthropologique : l’oral opposé à l’écrit, un peu comme l’opposition du cru au cuit », observe encore Alain Blanc.

Autant dire que par son histoire, sa fonction (juger les crimes), son fonctionnement et sa composition particulière, la cour d’assises est un sujet sensible. Plus que cela : un totem judiciaire, le symbole – fût-il idéalisé – d’un partage harmonieux du pouvoir entre le peuple et les juges. « En ce sens, toute réforme visant à en alléger le fonctionnement, à corriger certains effets pervers de sa procédure, est immédiatement suspectée par des ténors du barreau de vouloir (…) remettre en cause des acquis démocratiques », constate Alain Blanc. La création – encore expérimentale – des cours criminelles fait suite à d’autres réformes telles que l’instauration de l’appel des verdicts des cours d’assises (15 juin 2000) et l’obligation de motiver ces mêmes arrêts par écrit (2011), tant sur la culpabilité que sur le « quantum » de la peine prononcée.

Alors, pour ou contre la suppression du jury populaire  ? Nous avons posé la question à deux pénalistes de renom et recueilli leurs arguments : Hervé Temime, farouche opposant à la réforme, et François Saint-Pierre, adversaire résolu du « système archaïque » actuel.

Me Hervé Temime : « Les jurés sont les plus aptes à juger des affaires criminelles »

L’avocat Hervé Temime.© BERTRAND GUAY / AFP

« Ce que je pense de ces nouvelles cours criminelles départementales ? Le pire mal. Je n’en comprends pas la raison, si ce n’est peut-être qu’elles préparent les esprits à une disparition progressive du jury populaire, pour tous les crimes, en première instance comme en appel. Les motifs annoncés pour justifier de cette réforme sont dénués de tout fondement. Contrairement à ce qui est dit, elle ne permettra aucun gain de temps et ne favorisera aucune économie. Si nous voulions réduire les délais, il aurait été aussi simple, et surtout plus efficace, de multiplier le nombre de sessions des cours d’assises.

Surtout, je ne vois pas au nom de quoi on constituerait plusieurs catégories de crimes. Pourquoi un viol devrait être jugé par une juridiction composée de professionnels et un meurtre par la “vraie” cour d’assises ? J’espérais que le Conseil constitutionnel censurerait cette réforme, à mes yeux injustifiable. La cour d’assises actuelle, aussi critiquable soit-elle, est sans doute la juridiction où la justice est rendue avec le plus de soin, le plus de solennité et le plus de sérieux.

La réforme vise essentiellement les crimes sexuels et je trouve ça démagogique

Nous sommes dans une période où l’on mesure une distance assez grande entre les citoyens et l’institution judiciaire, que ce soit par la méconnaissance qu’ils en ont ou par le jugement sévère – sans doute trop sévère – qu’ils portent sur elle. C’est pourquoi il me paraît très dommageable de vouloir limiter leur rôle. Les problèmes juridiques à régler aux assises sont peu nombreux et pris en charge par les magistrats professionnels. Sur le fond, il est absolument évident que les jurés sont non seulement aptes, mais les plus aptes à juger les affaires criminelles. Pourquoi ? Parce qu’ils apportent une touche concrète à l’expression de la justice ; leur absence de professionnalisme est aussi un atout, en ce qu’elle exclut tout comportement routinier. Surtout, la justice est rendue “au nom du peuple français” ; on comprend mal, dès lors, que les Français puissent en être exclus !

Je ne fais pas du peuple souverain un dogme absolu mais force est de constater que la cour d’assises spéciale (composée de sept magistrats professionnels et compétente pour les crimes terroristes et de trafics de stupéfiants, NDLR) est très différente de la véritable cour d’assises. Elle n’offre pas la même solennité, ce caractère vraiment exceptionnel avec lequel la justice doit être rendue quand des peines lourdes, voire très lourdes sont en jeu. Pardon de le dire mais si les magistrats professionnels permettaient d’éviter les erreurs et les dysfonctionnements, ça se saurait  !

La réforme vise essentiellement les crimes sexuels et je trouve ça démagogique. Surtout, elle risque d’aggraver la coupure, pour ne pas dire la rupture entre le peuple et les institutions censées le représenter. Une loi comme celle-ci ne fera qu’aggraver ce sentiment et c’est très dommageable. »

Me François Saint-Pierre : « En finir avec cette vieillerie néo-pétainiste ! »

L’avocat Francois Saint-Pierre.© MEHDI FEDOUACH / AFP

« Je ne suis pas un défenseur acharné de ces nouvelles cours criminelles, qui ont le tort d’avoir été annoncées subrepticement et qui ciblent les affaires sexuelles, contribuant au morcellement de la justice. En revanche, je suis un partisan déterminé du renouveau de nos juridictions criminelles, tant la cour d’assises que nous connaissons est devenue totalement obsolète. La plupart de mes confrères ont à cœur de défendre cette vieillerie néo-pétainiste et je trouve ça pitoyable !

On nous dit que les Français sont attachés au jury populaire mais leur a-t-on posé la question ? On affirme qu’il s’agit d’une expérience fantastique ; c’est peut-être vrai pour certains mais pour d’autres, il peut s’agir d’un épisode de vie destructeur. Qui sait que la Suisse a abandonné ce système en 2011, à une large majorité, par référendum d’initiative populaire ?

En tout état de cause, c’est un abus de langage que de prétendre que les cours d’assises actuelles reposent sur un jury populaire. Nous avons des magistrats professionnels avec, à leurs côtés, des jurés tirés au sort, ce qui est complètement différent. Et savez-vous d’où nous vient ce système ? De la dictature de Vichy. 1941 ! Je sais, c’est désagréable à entendre mais c’est ainsi. Ce dispositif, jamais débattu démocratiquement, a été validé à la Libération sur simple ordonnance du gouvernement provisoire, et il n’a plus évolué depuis.

La réforme mise en place par le régime de Vichy a brisé la cour d’assises de la IIIe République et son jury autonome et souverain

Avant que les magistrats professionnels ne soient appelés à délibérer avec le jury populaire, celui-ci statuait seul sur la culpabilité de l’accusé, puis discutait de la peine et de l’octroi éventuel de circonstances atténuantes avec les “professionnels”. La réforme mise en place par le régime de Vichy a brisé la cour d’assises de la IIIe République et son jury autonome et souverain. Ce n’est pas moi qui le dis mais deux avocats parmi les plus illustres, Maurice Garçon et René Floriot. Que s’est-il alors passé  ? Les jurés vont se ranger derrière le président. C’était d’ailleurs le but : rationaliser les arrêts criminels, éviter leurs aléas. Avant cela, les verdicts incarnaient vraiment la réaction sociale face au crime ; ils représentaient viscéralement ce que pensait la société d’un crime ou d’une accusation. Après 1941, on ne peut plus parler de justice populaire.

La cour d’assises actuelle est placée sous l’autorité d’un président, qui concentre entre ses mains un pouvoir phénoménal. Lui seul détient le dossier et l’a étudié ; il accueille les jurés, planifie les audiences, présente l’exposé liminaire des faits ; il interroge l’accusé, les experts et les témoins, préside l’audience et en dirige la police, préside encore le délibéré et rédige le verdict, avec ses motivations. Cela fait beaucoup pour un seul, vous ne trouvez pas  ?

La police scientifique a connu un essor considérable qui rend totalement obsolète l’idée d’une “intime conviction”

Notre système personnalise à outrance le procès sur le président et il faut en sortir. Comment ? Par ce que j’appelle la rationalisation de la procédure accusatoire. En faisant condamner la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour défaut de motivation des verdicts, j’ai contribué à faire évoluer les choses. Mon but est de casser ce système archaïque qui fait un peu bandouiller (sic) quelques avocats passéistes.

D’abord, il faut en finir avec l’oralité des débats. Comment des jurés peuvent-ils se forger une opinion sur une expertise ADN compliquée, sans pouvoir disposer du rapport de l’expert ? La police scientifique a connu un essor considérable qui rend totalement obsolète l’idée d’une “intime conviction”. Ce qui compte maintenant, c’est la preuve. C’est pourquoi je suis partisan d’un basculement à l’anglo-saxonne, basé sur le système de la preuve “au-delà du doute raisonnable”.

Je l’ai dit, ces nouvelles cours criminelles sont loin d’être la panacée. En réalité, il ne s’agit que d’une étape, car le projet des magistrats, c’est une extension à toutes les affaires criminelles. En première instance, celles-ci seraient jugées par de professionnels et, en appel, par un jury populaire. J’y suis favorable. Deux procès à la suite devant un jury, avec des cours d’assises tournantes, c’est insupportable, on l’a vu encore récemment avec l’affaire Merah.

On pourrait imaginer un système avec deux procès de nature différente : en première instance, cinq magistrats professionnels pour juger ; en appel, un jury vraiment populaire qui serait seul à délibérer avec un président arbitre, garant d’un procès équitable où avocats et procureur interrogeraient directement les témoins, les experts et l’accusé. Ça aurait vraiment de la gueule ! »

DÉBAT. Sept départements vont expérimenter les nouvelles cours criminelles. L’avis très opposé de deux ténors, Mes Hervé Temime et François Saint-Pierre.

Par Nicolas Bastuck

Publié le 09/05/2019 à 08:15 | Le Point.fr

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À compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront à titre expérimental, dans sept départements pilotes. Image d’illustration. 

© JACQUES DEMARTHON / AFP

La création de cours criminelles départementales, chargées de juger (hors récidive) les crimes punis de 20 ans de réclusion maximum (viol, vol à main armée…), est l’une des mesures phares de la loi de programmation et de réforme de la justice, promulguée le 23 mars dernier. C’est aussi l’une de ses dispositions les plus controversées. Ces nouvelles juridictions seront composées d’un président et de quatre assesseurs, tous professionnels, deux d’entre eux pouvant être, en outre, magistrats honoraires ou exercer leurs fonctions à titre temporaire. Exit, donc, le jury populaire et ses six jurés citoyens tirés au sort sur les listes électorales ! Précisons qu’en appel, la cour d’assises classique, avec ses jurés citoyens, retrouve la plénitude de ses compétences, pour tous les crimes, quelle qu’en soit la gravité.

Dans un premier temps, et à compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront à titre expérimental, dans sept départements pilotes dont la liste vient d’être arrêtée : la Moselle, les Ardennes, le Calvados, le Cher, La Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines. Une évaluation, à laquelle sera associé « l’ensemble des acteurs judiciaires », devra être réalisée dans un délai de trois ans. Si ses conclusions sont positives, le dispositif sera étendu à l’ensemble du pays, pour tous les crimes passibles d’une peine de 15 ou 20 ans.Lire aussi Réforme de la justice : un tribunal criminel qui fait débat

Totem judiciaire

Création révolutionnaire, le jury populaire criminel a été instauré en 1791. « Sa création est porteuse d’une charge démocratique particulière », note dans le dernier numéro de la revue AJ-Pénal le magistrat honoraire Alain Blanc, qui présida durant huit ans la cour d’assises de Paris. « Le peuple y contrôle et y domine numériquement les magistrats professionnels, ce qui donne lieu à des débats récurrents, opposant (…) les tenants de la légitimité politique des jurés populaires à ceux qui invoquent l’exigence de qualité et de fiabilité du droit ». Du reste, la procédure de la cour d’assises, fondée sur l’oralité des débats, donne lieu « à la confrontation de deux légitimités que l’on pourrait qualifier d’anthropologique : l’oral opposé à l’écrit, un peu comme l’opposition du cru au cuit », observe encore Alain Blanc.Autant dire que par son histoire, sa fonction (juger les crimes), son fonctionnement et sa composition particulière, la cour d’assises est un sujet sensible. Plus que cela : un totem judiciaire, le symbole – fût-il idéalisé – d’un partage harmonieux du pouvoir entre le peuple et les juges. « En ce sens, toute réforme visant à en alléger le fonctionnement, à corriger certains effets pervers de sa procédure, est immédiatement suspectée par des ténors du barreau de vouloir (…) remettre en cause des acquis démocratiques », constate Alain Blanc. La création – encore expérimentale – des cours criminelles fait suite à d’autres réformes telles que l’instauration de l’appel des verdicts des cours d’assises (15 juin 2000) et l’obligation de motiver ces mêmes arrêts par écrit (2011), tant sur la culpabilité que sur le « quantum » de la peine prononcée.

Alors, pour ou contre la suppression du jury populaire  ? Nous avons posé la question à deux pénalistes de renom et recueilli leurs arguments : Hervé Temime, farouche opposant à la réforme, et François Saint-Pierre, adversaire résolu du « système archaïque » actuel.

Me Hervé Temime : « Les jurés sont les plus aptes à juger des affaires criminelles »

L’avocat Hervé Temime.© BERTRAND GUAY / AFP

« Ce que je pense de ces nouvelles cours criminelles départementales ? Le pire mal. Je n’en comprends pas la raison, si ce n’est peut-être qu’elles préparent les esprits à une disparition progressive du jury populaire, pour tous les crimes, en première instance comme en appel. Les motifs annoncés pour justifier de cette réforme sont dénués de tout fondement. Contrairement à ce qui est dit, elle ne permettra aucun gain de temps et ne favorisera aucune économie. Si nous voulions réduire les délais, il aurait été aussi simple, et surtout plus efficace, de multiplier le nombre de sessions des cours d’assises.

Surtout, je ne vois pas au nom de quoi on constituerait plusieurs catégories de crimes. Pourquoi un viol devrait être jugé par une juridiction composée de professionnels et un meurtre par la “vraie” cour d’assises ? J’espérais que le Conseil constitutionnel censurerait cette réforme, à mes yeux injustifiable. La cour d’assises actuelle, aussi critiquable soit-elle, est sans doute la juridiction où la justice est rendue avec le plus de soin, le plus de solennité et le plus de sérieux.

La réforme vise essentiellement les crimes sexuels et je trouve ça démagogique

Nous sommes dans une période où l’on mesure une distance assez grande entre les citoyens et l’institution judiciaire, que ce soit par la méconnaissance qu’ils en ont ou par le jugement sévère – sans doute trop sévère – qu’ils portent sur elle. C’est pourquoi il me paraît très dommageable de vouloir limiter leur rôle. Les problèmes juridiques à régler aux assises sont peu nombreux et pris en charge par les magistrats professionnels. Sur le fond, il est absolument évident que les jurés sont non seulement aptes, mais les plus aptes à juger les affaires criminelles. Pourquoi ? Parce qu’ils apportent une touche concrète à l’expression de la justice ; leur absence de professionnalisme est aussi un atout, en ce qu’elle exclut tout comportement routinier. Surtout, la justice est rendue “au nom du peuple français” ; on comprend mal, dès lors, que les Français puissent en être exclus !Je ne fais pas du peuple souverain un dogme absolu mais force est de constater que la cour d’assises spéciale (composée de sept magistrats professionnels et compétente pour les crimes terroristes et de trafics de stupéfiants, NDLR) est très différente de la véritable cour d’assises. Elle n’offre pas la même solennité, ce caractère vraiment exceptionnel avec lequel la justice doit être rendue quand des peines lourdes, voire très lourdes sont en jeu. Pardon de le dire mais si les magistrats professionnels permettaient d’éviter les erreurs et les dysfonctionnements, ça se saurait  !

La réforme vise essentiellement les crimes sexuels et je trouve ça démagogique. Surtout, elle risque d’aggraver la coupure, pour ne pas dire la rupture entre le peuple et les institutions censées le représenter. Une loi comme celle-ci ne fera qu’aggraver ce sentiment et c’est très dommageable. »

Me François Saint-Pierre : « En finir avec cette vieillerie néo-pétainiste ! »

L’avocat Francois Saint-Pierre.

© MEHDI FEDOUACH / AFP

« Je ne suis pas un défenseur acharné de ces nouvelles cours criminelles, qui ont le tort d’avoir été annoncées subrepticement et qui ciblent les affaires sexuelles, contribuant au morcellement de la justice. En revanche, je suis un partisan déterminé du renouveau de nos juridictions criminelles, tant la cour d’assises que nous connaissons est devenue totalement obsolète. La plupart de mes confrères ont à cœur de défendre cette vieillerie néo-pétainiste et je trouve ça pitoyable !

On nous dit que les Français sont attachés au jury populaire mais leur a-t-on posé la question ? On affirme qu’il s’agit d’une expérience fantastique ; c’est peut-être vrai pour certains mais pour d’autres, il peut s’agir d’un épisode de vie destructeur. Qui sait que la Suisse a abandonné ce système en 2011, à une large majorité, par référendum d’initiative populaire ?

En tout état de cause, c’est un abus de langage que de prétendre que les cours d’assises actuelles reposent sur un jury populaire. Nous avons des magistrats professionnels avec, à leurs côtés, des jurés tirés au sort, ce qui est complètement différent. Et savez-vous d’où nous vient ce système ? De la dictature de Vichy. 1941 ! Je sais, c’est désagréable à entendre mais c’est ainsi. Ce dispositif, jamais débattu démocratiquement, a été validé à la Libération sur simple ordonnance du gouvernement provisoire, et il n’a plus évolué depuis.

La réforme mise en place par le régime de Vichy a brisé la cour d’assises de la IIIe République et son jury autonome et souverain

Avant que les magistrats professionnels ne soient appelés à délibérer avec le jury populaire, celui-ci statuait seul sur la culpabilité de l’accusé, puis discutait de la peine et de l’octroi éventuel de circonstances atténuantes avec les “professionnels”. La réforme mise en place par le régime de Vichy a brisé la cour d’assises de la IIIe République et son jury autonome et souverain. Ce n’est pas moi qui le dis mais deux avocats parmi les plus illustres, Maurice Garçon et René Floriot. Que s’est-il alors passé  ? Les jurés vont se ranger derrière le président. C’était d’ailleurs le but : rationaliser les arrêts criminels, éviter leurs aléas. Avant cela, les verdicts incarnaient vraiment la réaction sociale face au crime ; ils représentaient viscéralement ce que pensait la société d’un crime ou d’une accusation. Après 1941, on ne peut plus parler de justice populaire.

La cour d’assises actuelle est placée sous l’autorité d’un président, qui concentre entre ses mains un pouvoir phénoménal. Lui seul détient le dossier et l’a étudié ; il accueille les jurés, planifie les audiences, présente l’exposé liminaire des faits ; il interroge l’accusé, les experts et les témoins, préside l’audience et en dirige la police, préside encore le délibéré et rédige le verdict, avec ses motivations. Cela fait beaucoup pour un seul, vous ne trouvez pas  ?

La police scientifique a connu un essor considérable qui rend totalement obsolète l’idée d’une “intime conviction”

Notre système personnalise à outrance le procès sur le président et il faut en sortir. Comment ? Par ce que j’appelle la rationalisation de la procédure accusatoire. En faisant condamner la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour défaut de motivation des verdicts, j’ai contribué à faire évoluer les choses. Mon but est de casser ce système archaïque qui fait un peu bandouiller (sic) quelques avocats passéistes.

D’abord, il faut en finir avec l’oralité des débats. Comment des jurés peuvent-ils se forger une opinion sur une expertise ADN compliquée, sans pouvoir disposer du rapport de l’expert ? La police scientifique a connu un essor considérable qui rend totalement obsolète l’idée d’une “intime conviction”. Ce qui compte maintenant, c’est la preuve. C’est pourquoi je suis partisan d’un basculement à l’anglo-saxonne, basé sur le système de la preuve “au-delà du doute raisonnable”.

Je l’ai dit, ces nouvelles cours criminelles sont loin d’être la panacée. En réalité, il ne s’agit que d’une étape, car le projet des magistrats, c’est une extension à toutes les affaires criminelles. En première instance, celles-ci seraient jugées par de professionnels et, en appel, par un jury populaire. J’y suis favorable. Deux procès à la suite devant un jury, avec des cours d’assises tournantes, c’est insupportable, on l’a vu encore récemment avec l’affaire Merah.

On pourrait imaginer un système avec deux procès de nature différente : en première instance, cinq magistrats professionnels pour juger ; en appel, un jury vraiment populaire qui serait seul à délibérer avec un président arbitre, garant d’un procès équitable où avocats et procureur interrogeraient directement les témoins, les experts et l’accusé. Ça aurait vraiment de la gueule ! »

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Réforme de la justice : un tribunal criminel qui fait débat

APublié le 24/11/2018 à 9h42. Mis à jour à 10h11 par Sudouest.fr avec AFPSudouest.fr avec AFP

Tribunal criminel départemental : l’Assemblée vote l’expérimentation
La Garde des Sceaux Nicole Belloubet a défendu la mesure à l’Assemblée nationale.BERTRAND GUAY/AFP

La mesure vise à créer des cours intermédiaires, entre les tribunaux correctionnels et les cours d’assises. 

L’Assemblée nationale a voté dans la nuit de vendredi à samedi l’expérimentation d’un tribunal criminel départemental, des élus de droite comme de gauche s’inquiétant d’une justice qui ne serait plus “rendue par le peuple”.

Cette expérimentation voulue par le gouvernement et votée lors de l’examen du projet de réforme de la justice, donnera naissance à des tribunaux à mi-chemin entre tribunal correctionnel et cour d’assises, composés de cinq magistrats, pour juger des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion. D’abord baptisées tribunal départemental, ces instances ont été renommées cours criminelles départementales. 

La mesure fait partie des sujets de mécontentement des avocats qui ont observé jeudi une “journée morte” des barreaux. Ils y voient une étape vers la disparition des cours d’assises, qui siègent avec un jury populaire.La rédaction vous conseilleLa voiture électrique est-elle vraiment écologique ?Violences en réunion à Mont-de-Marsan : des peines jusqu’à trois ans de prison ferme

On estime qu’environ 60% des affaires qui seront jugées dans ces instances concerneront des crimes sexuels, pour lesquels 80% des victimes sont des femmes. 

Les cours d’assises continueront à juger les crimes passibles de peines plus lourdes ou commis en état de récidive, et l’ensemble des crimes en appel. 

L’expérimentation est prévue entre le 1er janvier 2019 et le 1er janvier 2022, dans deux départements au moins et dix départements au plus. 

Voix discordantes 

Aux élus d’opposition, notamment UDI-Agir s’inquiétant d’un risque de “correctionnaliser des crimes comme des viols”, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a rétorqué que c’est “justement l’un des points forts” de la réforme, qui “va permettre de juger ces crimes que sont les viols comme des crimes“. 

“C’est une expérimentation qui pose un vrai problème”, a estimé de son côté Antoine Savignat (LR), y voyant notamment “la perte de souveraineté du peuple, la fin de la justice rendue par le peuple”. Ugo Bernalicis (LFI) a aussi jugé cette disposition comme “l’apothéose de l’idée de justice qui disparaît”, dénonçant le fait que le seul argument avancé est “celui des délais”. 

Mme Belloubet leur a notamment rétorqué que “même les magistrats professionnels rendent la justice au nom du peuple français”. 

  • Le Figaro.fr avec AFP 

Le Sénat a voté aujourd’hui l’expérimentation voulue par le gouvernement d’un tribunal criminel départemental, composé uniquement de magistrats professionnels, pour juger des crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion. Les cours d’assises continueront à juger les crimes passibles de peines plus lourdes ou commis en état de récidive, et l’ensemble des crimes en appel. Cette expérimentation, prévue par le projet de réforme de la justice, vise à répondre à l'”engorgement des cours d’assises”, a expliqué la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Elle sera mise en place dans au moins deux départements, et dix au maximum, choisis par arrêté de la garde des Sceaux.

“Ce sera une forme de cour d’assises” avec “des formalités allégées” et “cinq magistrats professionnels”, a-t-elle précisé, prédisant “un vrai succès” à ce nouveau tribunal. Le rapporteur LR François-Noël Buffet a défendu un dispositif permettant de “traiter de manière plus rapide un certain nombre de dossiers”, sans qu’ils soient correctionnalisés. “C’est une réponse au problème de la correctionnalisation des viols”, a estimé Marie Mercier (LR). Jacques Bigot (PS) a jugé “le principe de l’expérimentation intéressant”.

Le groupe CRCE (à majorité communiste) s’est prononcé contre, estimant que cette expérimentation actait “le désengagement de la cour d’assises”, sa présidente Eliane Assassi soulignant son attachement “au jury populaire”. Le sénateurs ont en revanche supprimé la procédure de comparution à délai différé, procédure intermédiaire entre la comparution immédiate et l’ouverture d’une information judiciaire, que souhaite instaurer le gouvernement. La ministre a défendu “une mesure de simplification absolument essentielle”, dont “l’efficacité pratique est extrêmement grande”.

» LIRE AUSSI – Le tribunal criminel : choisir entre les principes et le budget

Mais pour la commission des Lois du Sénat, cette procédure risquerait “d’entraîner une augmentation du nombre de personnes placées en détention provisoire, dans des conditions présentant moins de garanties qu’actuellement puisqu’aucun juge d’instruction ne serait saisi”. Pour Jacques Bigot (PS), “l’idée (du gouvernement), c’est que l’instruction c’est trop long”. “Ce qui vous intéresse, c’est que le procureur puisse demander une détention préventive”, a-t-il accusé, demandant de “respecter le principe qui existe aujourd’hui de renvoyer devant le juge d’instruction”.Le Figaro.fr avec AFP

Le gouvernement veut réserver les procès d’assises aux crimes « les plus graves ». Mais en quoi consiste cette juridiction particulière, qui associe les citoyens aux décisions ?

LE MONDE | 09.03.2018 à 13h53 • Mis à jour le 08.05.2018 à 16h02 |Par Adrien Sénécat et Anne-Aël Durand

Le projet de loi sur la réforme de la justice, présenté le 20 avril en conseil des ministres, a pour objectif d’« accélérer » le délai de jugement des affaires criminelles en réformant les assises, qui pourraient désormais être réservées aux crimes les plus graves, punis de plus de vingt ans de prison. Quels sont les enjeux de cette réforme ? Quels étaient le fonctionnement et le rôle des assises jusqu’à présent ? Le point en cinq questions.

 Lire aussi :   Nicole Belloubet veut un « tribunal criminel » à la place des assises

1. En quoi consistent les jurys d’assises ?

La cour d’assises, dont le nom est instauré sous Napoléon, en 1810, est l’héritage du tribunal criminel, mis en place à la Révolution française, sur le modèle anglo-saxon. Pour en finir avec la justice arbitraire de l’Ancien Régime, les accusés y sont jugés par leurs concitoyens, aidés de magistrats.

Le nombre de jurés a évolué dans le temps, passant de douze à neuf, puis désormais six citoyens tirés au sort sur les listes électorales. Agés d’au moins 23 ans, ils doivent savoir lire et écrire, et ne pas se trouver en incapacité (être sous tutelle, avoir déjà été condamné pour un crime ou un délit, ou être un fonctionnaire révoqué) ou dans des cas d’incompatibilité (parlementaire, membre du gouvernement, magistrat, policier ou gendarme, proche d’une des parties prenantes de la procédure…). Etre juré est un devoir civique et les jurés sont tenus de répondre à la convocation. Ils sont formés et indemnisés. Quatre peuvent être récusés par l’accusé et trois par le ministère public (que l’on appelle aussi « parquet »).

Outre ces jurés, la cour est aussi composée de trois juges professionnels, un président et deux assesseurs, qui sont des magistrats du tribunal de grande instance ou de la cour d’appel. Le ministère public y est représenté par l’avocat général.

Comme le jury d’assises est censé constituer une représentation du peuple français, son verdict a longtemps été incontestable (hors recours à la Cour de cassation ou à des révisions), mais la loi de 2000 sur la présomption d’innocence a instauré la possibilité de faire appel pour réexaminer l’affaire, devant une autre cour d’assises. Dans ce cas, le nombre de jurés populaires passe de six à neuf.

 Lire aussi :   Réforme de la justice : la lente érosion du rôle des jurés citoyens

2. Dans quel cas siègent-ils ?

La cour d’assises a pour objet de juger des majeurs ou des mineurs de plus de 16 ans qui sont accusés d’avoir commis des crimes de droit commun, c’est-à-dire les infractions les plus graves du code pénal, passibles de plus de dix ans de prison, alors que les délits sont jugés par les tribunaux correctionnels, composés de magistrats professionnels.

Il peut s’agir de meurtre ou d’assassinat (homicide prémédité), de torture, de viol, de vol avec violence, de trahison envers l’Etat, escroquerie en bande organisée…

Les crimes liés au terrorisme ou au trafic de drogue sont jugés par une cour d’assises spéciale, où les jurés sont remplacés par des magistrats professionnels. Ceux qui sont commis par un membre du gouvernement dans le cadre de ses fonctions sont jugés par la Cour de justice de la République (qu’Emmanuel Macron souhaite supprimer) où les jurés sont des parlementaires.

Il existe une cour d’assises dans chaque département mais ce n’est pas une juridiction permanente. Elle se réunit généralement tous les trois mois pour une quinzaine de jours, mais c’est le président qui décide de la durée accordée à chaque affaire. Les audiences sont en principe publiques, sauf si le jury décide d’un huis clos.

La cour d’assises peut prononcer des peines de prison, ferme ou avec sursis, des amendes ou des peines complémentaires (obligation de soins). Les arrêts rendus doivent être motivés par écrit.

3. Combien d’affaires sont jugées aux assises ?

En 2016, les cours d’assises ont rendu 3 280 verdicts dont 536 en appel, selon les chiffres du ministère de la justice. Soit environ 0,3 % des 1,2 million de décisions rendues par les juridictions pénales françaises.

Les principales données existantes montrent que les cours d’assises ne sont pas particulièrement clémentes avec les accusés. Entre 90 % et 95 % sont condamnés en premier ressort en moyenne.

Plus de 90 % des prévenus sont condamnés en cour d’assises

Ratio entre condamnés et acquittés en cour d’assises en premier ressort de 2010 à 2014 020406080100

Condamnés

Acquittés

20102011201220132014

SOURCE : MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Environ 90 % des affaires ayant fait l’objet de condamnation aux assises en 2014 étaient des crimes. Il s’agissait en premier lieu de viols (environ 38 %), de vols criminels (25 %) et d’homicides volontaires (16 %).

4. Quelles sont les critiques parfois formulées contre les assises ?

Une partie des difficultés des cours d’assises sont techniques. Depuis plusieurs années, les assises font face à un afflux de dossiers supérieur à leur capacité de traitement. Dans la mesure où il n’y a qu’une cour d’assises par département, cela se traduit par un « stock » de dossiers, c’est-à-dire d’affaires en attente de jugement, qui augmente au fil des années. On en comptait ainsi 1 800 au 31 décembre 2014 – ainsi que 530 en cour d’assises d’appel, chiffre en hausse de 42 % en trois ans, selon le ministère.

Cette situation est l’une des raisons qui poussent à la correctionnalisation de certains dossiers. Par exemple, des affaires de viols sont régulièrement requalifiées en agressions sexuelles, ce qui fait qu’ils sont ensuite jugés en correctionnelle, et non aux assises. Une différence qui réduit grandement le délai entre la fin de l’instruction et le jugement.

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D’autres critiques questionnent le fait même de faire participer des citoyens ordinaires au travail judiciaire. Certains pointent le supposé « aléa des verdicts » des décisions des cours d’assises ou critiquent le fait que les critères de sélection des jurés ne seraient pas suffisamment exigeants.

5. En quoi la réforme voulue par le gouvernement consiste-t-elle ?

L’idée du gouvernement est de réserver les cours d’assises en première instance aux crimes « les plus graves », ceux qui sont punis de plus de vingt ans de prison, explique la ministre de la justice, Nicole Belloubet. C’est le cas de l’ensemble des meurtres et assassinats (entre trente ans de prison et la perpétuité selon les cas), ainsi que des crimes commis en récidive.

Les crimes punis de vingt ans de réclusion ou moins, comme les viols et les vols criminels, ne seront plus renvoyés aux assises. Ils seront désormais jugés dans un nouveau « tribunal criminel départemental ». Mais ils seront transférés aux assises en cas d’appel.