SOURCE

Par : June Perot

Référence : Cass. crim., 17 avril 2019, n° 18-83.201, FS-P+B+I

Méconnaît le droit à un procès équitable le fait que le président de la cour d’assises ayant condamné l’accusé en première instance procède à l’interrogatoire, prévu par l’article 272 du Code de procédure pénale (Numéro Lexbase : L3660AZL), préalable au procès devant la cour d’assises statuant en appel, dès lors qu’au cours de cet interrogatoire, l’accusé, fût-il assisté d’un avocat, a la faculté de faire des déclarations spontanées sur le fond qui seront recueillies par procès-verbal, et de se désister de son appel.

Telle est la solution retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 17 avril 2019 (Cass. crim., 17 avril 2019, n° 18-83.201, FS-P+B+I Numéro Lexbase : A3541Y9Z).

Dans cette affaire, après avoir été condamné à une peine de douze années de réclusion criminelle des chefs de viols et délits connexes, un homme a interjeté appel. Le ministère public et les parties civiles ont également relevé appel. Dans la perspective de sa comparution, à compter du 23 avril 2018, devant la cour d’assises du Maine-et-Loire, désignée pour statuer en appel, l’intéressé a fait l’objet, le 19 décembre 2017, en présence de son avocat, de l’interrogatoire préalable prévu par l’article 272 du Code de procédure pénale.

Il a été procédé à cette formalité substantielle non pas par le magistrat désigné pour présider la cour d’assises à la date du 23 avril 2018, ce dernier étant indisponible, ni par l’un de ses assesseurs, ceux-ci n’étant pas encore désignés, mais par le président de la dernière session de l’année 2017. Toutefois, ce magistrat était également celui qui avait présidé la cour d’assises de la Sarthe l’ayant condamné en première instance.

En conséquence de quoi, l’avocat de l’accusé a sollicité, par conclusions déposées in limine litis, le renvoi du procès, motif pris de la nullité de l’interrogatoire préalable, celui-ci ayant été effectué par le président de la cour d’assises ayant condamné l’accusé en première instance.

Par arrêt du 23 avril 2018, la cour a rejeté la demande de renvoi en retenant que l’interrogatoire préalable n’entrait pas dans le champ d’application des incompatibilités prévues par l’article 253 du Code de procédure pénale (Numéro Lexbase : L4346AZY), et qu’au surplus cet interrogatoire ne portait pas atteinte à l’impartialité de la cour.

A tort selon la Haute juridiction qui, énonçant la solution susvisée, censure l’arrêt (cf. l’Encyclopédie «Procédure pénale», La procédure préparatoire aux sessions d’assises Numéro Lexbase : E7849EXY).

Copyright Lexbase

DÉBAT. Sept départements vont expérimenter les nouvelles cours criminelles. L’avis très opposé de deux ténors, Mes Hervé Temime et François Saint-Pierre.

Par Nicolas Bastuck

Publié le 09/05/2019 à 08:15 | Le Point.fr

SOURCE

À compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront à titre expérimental, dans sept départements pilotes. Image d’illustration. 

© JACQUES DEMARTHON / AFP

La création de cours criminelles départementales, chargées de juger (hors récidive) les crimes punis de 20 ans de réclusion maximum (viol, vol à main armée…), est l’une des mesures phares de la loi de programmation et de réforme de la justice, promulguée le 23 mars dernier. C’est aussi l’une de ses dispositions les plus controversées. Ces nouvelles juridictions seront composées d’un président et de quatre assesseurs, tous professionnels, deux d’entre eux pouvant être, en outre, magistrats honoraires ou exercer leurs fonctions à titre temporaire. Exit, donc, le jury populaire et ses six jurés citoyens tirés au sort sur les listes électorales ! Précisons qu’en appel, la cour d’assises classique, avec ses jurés citoyens, retrouve la plénitude de ses compétences, pour tous les crimes, quelle qu’en soit la gravité.

Dans un premier temps, et à compter du 1er septembre, les nouvelles cours criminelles fonctionneront à titre expérimental, dans sept départements pilotes dont la liste vient d’être arrêtée : la Moselle, les Ardennes, le Calvados, le Cher, La Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines. Une évaluation, à laquelle sera associé « l’ensemble des acteurs judiciaires », devra être réalisée dans un délai de trois ans. Si ses conclusions sont positives, le dispositif sera étendu à l’ensemble du pays, pour tous les crimes passibles d’une peine de 15 ou 20 ans.Lire aussi Réforme de la justice : un tribunal criminel qui fait débat

Totem judiciaire

Création révolutionnaire, le jury populaire criminel a été instauré en 1791. « Sa création est porteuse d’une charge démocratique particulière », note dans le dernier numéro de la revue AJ-Pénal le magistrat honoraire Alain Blanc, qui présida durant huit ans la cour d’assises de Paris. « Le peuple y contrôle et y domine numériquement les magistrats professionnels, ce qui donne lieu à des débats récurrents, opposant (…) les tenants de la légitimité politique des jurés populaires à ceux qui invoquent l’exigence de qualité et de fiabilité du droit ». Du reste, la procédure de la cour d’assises, fondée sur l’oralité des débats, donne lieu « à la confrontation de deux légitimités que l’on pourrait qualifier d’anthropologique : l’oral opposé à l’écrit, un peu comme l’opposition du cru au cuit », observe encore Alain Blanc.Autant dire que par son histoire, sa fonction (juger les crimes), son fonctionnement et sa composition particulière, la cour d’assises est un sujet sensible. Plus que cela : un totem judiciaire, le symbole – fût-il idéalisé – d’un partage harmonieux du pouvoir entre le peuple et les juges. « En ce sens, toute réforme visant à en alléger le fonctionnement, à corriger certains effets pervers de sa procédure, est immédiatement suspectée par des ténors du barreau de vouloir (…) remettre en cause des acquis démocratiques », constate Alain Blanc. La création – encore expérimentale – des cours criminelles fait suite à d’autres réformes telles que l’instauration de l’appel des verdicts des cours d’assises (15 juin 2000) et l’obligation de motiver ces mêmes arrêts par écrit (2011), tant sur la culpabilité que sur le « quantum » de la peine prononcée.

Alors, pour ou contre la suppression du jury populaire  ? Nous avons posé la question à deux pénalistes de renom et recueilli leurs arguments : Hervé Temime, farouche opposant à la réforme, et François Saint-Pierre, adversaire résolu du « système archaïque » actuel.

Me Hervé Temime : « Les jurés sont les plus aptes à juger des affaires criminelles »

L’avocat Hervé Temime.© BERTRAND GUAY / AFP

« Ce que je pense de ces nouvelles cours criminelles départementales ? Le pire mal. Je n’en comprends pas la raison, si ce n’est peut-être qu’elles préparent les esprits à une disparition progressive du jury populaire, pour tous les crimes, en première instance comme en appel. Les motifs annoncés pour justifier de cette réforme sont dénués de tout fondement. Contrairement à ce qui est dit, elle ne permettra aucun gain de temps et ne favorisera aucune économie. Si nous voulions réduire les délais, il aurait été aussi simple, et surtout plus efficace, de multiplier le nombre de sessions des cours d’assises.

Surtout, je ne vois pas au nom de quoi on constituerait plusieurs catégories de crimes. Pourquoi un viol devrait être jugé par une juridiction composée de professionnels et un meurtre par la “vraie” cour d’assises ? J’espérais que le Conseil constitutionnel censurerait cette réforme, à mes yeux injustifiable. La cour d’assises actuelle, aussi critiquable soit-elle, est sans doute la juridiction où la justice est rendue avec le plus de soin, le plus de solennité et le plus de sérieux.

La réforme vise essentiellement les crimes sexuels et je trouve ça démagogique

Nous sommes dans une période où l’on mesure une distance assez grande entre les citoyens et l’institution judiciaire, que ce soit par la méconnaissance qu’ils en ont ou par le jugement sévère – sans doute trop sévère – qu’ils portent sur elle. C’est pourquoi il me paraît très dommageable de vouloir limiter leur rôle. Les problèmes juridiques à régler aux assises sont peu nombreux et pris en charge par les magistrats professionnels. Sur le fond, il est absolument évident que les jurés sont non seulement aptes, mais les plus aptes à juger les affaires criminelles. Pourquoi ? Parce qu’ils apportent une touche concrète à l’expression de la justice ; leur absence de professionnalisme est aussi un atout, en ce qu’elle exclut tout comportement routinier. Surtout, la justice est rendue “au nom du peuple français” ; on comprend mal, dès lors, que les Français puissent en être exclus !Je ne fais pas du peuple souverain un dogme absolu mais force est de constater que la cour d’assises spéciale (composée de sept magistrats professionnels et compétente pour les crimes terroristes et de trafics de stupéfiants, NDLR) est très différente de la véritable cour d’assises. Elle n’offre pas la même solennité, ce caractère vraiment exceptionnel avec lequel la justice doit être rendue quand des peines lourdes, voire très lourdes sont en jeu. Pardon de le dire mais si les magistrats professionnels permettaient d’éviter les erreurs et les dysfonctionnements, ça se saurait  !

La réforme vise essentiellement les crimes sexuels et je trouve ça démagogique. Surtout, elle risque d’aggraver la coupure, pour ne pas dire la rupture entre le peuple et les institutions censées le représenter. Une loi comme celle-ci ne fera qu’aggraver ce sentiment et c’est très dommageable. »

Me François Saint-Pierre : « En finir avec cette vieillerie néo-pétainiste ! »

L’avocat Francois Saint-Pierre.

© MEHDI FEDOUACH / AFP

« Je ne suis pas un défenseur acharné de ces nouvelles cours criminelles, qui ont le tort d’avoir été annoncées subrepticement et qui ciblent les affaires sexuelles, contribuant au morcellement de la justice. En revanche, je suis un partisan déterminé du renouveau de nos juridictions criminelles, tant la cour d’assises que nous connaissons est devenue totalement obsolète. La plupart de mes confrères ont à cœur de défendre cette vieillerie néo-pétainiste et je trouve ça pitoyable !

On nous dit que les Français sont attachés au jury populaire mais leur a-t-on posé la question ? On affirme qu’il s’agit d’une expérience fantastique ; c’est peut-être vrai pour certains mais pour d’autres, il peut s’agir d’un épisode de vie destructeur. Qui sait que la Suisse a abandonné ce système en 2011, à une large majorité, par référendum d’initiative populaire ?

En tout état de cause, c’est un abus de langage que de prétendre que les cours d’assises actuelles reposent sur un jury populaire. Nous avons des magistrats professionnels avec, à leurs côtés, des jurés tirés au sort, ce qui est complètement différent. Et savez-vous d’où nous vient ce système ? De la dictature de Vichy. 1941 ! Je sais, c’est désagréable à entendre mais c’est ainsi. Ce dispositif, jamais débattu démocratiquement, a été validé à la Libération sur simple ordonnance du gouvernement provisoire, et il n’a plus évolué depuis.

La réforme mise en place par le régime de Vichy a brisé la cour d’assises de la IIIe République et son jury autonome et souverain

Avant que les magistrats professionnels ne soient appelés à délibérer avec le jury populaire, celui-ci statuait seul sur la culpabilité de l’accusé, puis discutait de la peine et de l’octroi éventuel de circonstances atténuantes avec les “professionnels”. La réforme mise en place par le régime de Vichy a brisé la cour d’assises de la IIIe République et son jury autonome et souverain. Ce n’est pas moi qui le dis mais deux avocats parmi les plus illustres, Maurice Garçon et René Floriot. Que s’est-il alors passé  ? Les jurés vont se ranger derrière le président. C’était d’ailleurs le but : rationaliser les arrêts criminels, éviter leurs aléas. Avant cela, les verdicts incarnaient vraiment la réaction sociale face au crime ; ils représentaient viscéralement ce que pensait la société d’un crime ou d’une accusation. Après 1941, on ne peut plus parler de justice populaire.

La cour d’assises actuelle est placée sous l’autorité d’un président, qui concentre entre ses mains un pouvoir phénoménal. Lui seul détient le dossier et l’a étudié ; il accueille les jurés, planifie les audiences, présente l’exposé liminaire des faits ; il interroge l’accusé, les experts et les témoins, préside l’audience et en dirige la police, préside encore le délibéré et rédige le verdict, avec ses motivations. Cela fait beaucoup pour un seul, vous ne trouvez pas  ?

La police scientifique a connu un essor considérable qui rend totalement obsolète l’idée d’une “intime conviction”

Notre système personnalise à outrance le procès sur le président et il faut en sortir. Comment ? Par ce que j’appelle la rationalisation de la procédure accusatoire. En faisant condamner la France devant la Cour européenne des droits de l’homme pour défaut de motivation des verdicts, j’ai contribué à faire évoluer les choses. Mon but est de casser ce système archaïque qui fait un peu bandouiller (sic) quelques avocats passéistes.

D’abord, il faut en finir avec l’oralité des débats. Comment des jurés peuvent-ils se forger une opinion sur une expertise ADN compliquée, sans pouvoir disposer du rapport de l’expert ? La police scientifique a connu un essor considérable qui rend totalement obsolète l’idée d’une “intime conviction”. Ce qui compte maintenant, c’est la preuve. C’est pourquoi je suis partisan d’un basculement à l’anglo-saxonne, basé sur le système de la preuve “au-delà du doute raisonnable”.

Je l’ai dit, ces nouvelles cours criminelles sont loin d’être la panacée. En réalité, il ne s’agit que d’une étape, car le projet des magistrats, c’est une extension à toutes les affaires criminelles. En première instance, celles-ci seraient jugées par de professionnels et, en appel, par un jury populaire. J’y suis favorable. Deux procès à la suite devant un jury, avec des cours d’assises tournantes, c’est insupportable, on l’a vu encore récemment avec l’affaire Merah.

On pourrait imaginer un système avec deux procès de nature différente : en première instance, cinq magistrats professionnels pour juger ; en appel, un jury vraiment populaire qui serait seul à délibérer avec un président arbitre, garant d’un procès équitable où avocats et procureur interrogeraient directement les témoins, les experts et l’accusé. Ça aurait vraiment de la gueule ! »

SUR LE MÊME SUJET

Réforme de la justice : un tribunal criminel qui fait débat