LE MONDE
La réforme de la justice ne doit pas attendre les échéances électorales de 2007 : tel est le message des magistrats qui organisent une journée d’action dans tous les tribunaux, mardi 14 mars. Devant le travail de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau, et après le traumatisme provoqué par l’audition de l’ancien juge d’instruction de l’affaire, Fabrice Burgaud, la magistrature veut participer au débat national et procéder à “un travail de reconquête”, selon les mots d’un membre du parquet de Paris.

Trois organisations sont à l’initiative de la journée de mardi, à laquelle se sont joints des avocats : l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) et FO-magistrats.

“Opposer l’institution judiciaire, le Parlement et les citoyens est stérile et dangereux pour la démocratie”, soulignent les trois syndicats qui réclament des “mesures d’urgence pour assurer la présomption d’innocence, renforcer les droits de la défense et réduire la détention provisoire”.

Les syndicats demandent ainsi une réforme de la garde à vue pour permettre à l’avocat d’assister à tous les interrogatoires de son client. Mais aussi une modification des textes sur le placement en détention provisoire, afin de rendre cette décision collégiale et de supprimer le critère de l’ordre public qui permet de justifier l’incarcération des personnes.

Mardi, des débats publics, des invitations faites aux parlementaires de visiter les tribunaux et des rassemblements sont prévus dans les palais de justice. A Bobigny, Xavier Gadrat, juge aux affaires familiales, représentant du SM, espère qu’une réflexion durable s’installera avec les avocats : “Il ne faut pas en rester à un constat et à des lamentations, mais proposer des changements. Il faut réfléchir aux réformes, et que tout le monde s’y mette.”

A Paris, plusieurs députés membres de la commission parlementaire, dont son président, André Vallini, étaient attendus au tribunal, dans les services du juge des libertés et de la détention, de la chambre de l’instruction ou encore du parquet.

“Avec le bouillonnement qui a suivi le dénouement de l’affaire d’Outreau, on espère tous qu’il sorte un grand bien de ce grand mal”, témoigne Thierry Bloch, président d’une section de la chambre de l’instruction, que le contexte pousse à s’exprimer publiquement. “Je ne regrette pas d’être magistrat, je ne suis pas malheureux. Mais je voudrais pouvoir travailler mieux, déclare-t-il. Nous avons laissé les choses se dégrader et notre tort est de ne pas avoir assez dit que la justice était faillible. On attend trop de nous. Il faut que le citoyen connaisse la réalité du fonctionnement judiciaire.”

Un avocat qui connaît bien le fonctionnement de la chambre de l’instruction souligne : “Que la parole se libère, c’est bien, mais que la pratique suive, ce serait mieux.” Avocats et magistrats soulignent qu’il ne peut y avoir de réformes sans moyens. Ils font valoir que la justice pénale est prise dans une logique de gestion des flux incompatible avec la qualité : développement des procédures rapides, audiences surchargées, recul des décisions collégiales au profit du juge unique.

Comment restaurer la confiance des citoyens, fortement déjà érodée avant le fiasco d’Outreau ? “Nous devons avoir conscience que l’on fait nécessairement des mécontents et des dégâts considérables sur la vie des gens”, ajoute M. Bloch. Les dossiers de pédophilie, comme celui d’Outreau, “aucun magistrat ne les aime”. “Ils sont très difficiles : on ne peut pas raisonner comme pour un vol, en se disant : “Mieux vaut un coupable en liberté qu’un innocent en prison”. Et le juge n’a pas le droit de dire : “Je ne sais pas”. Il doit décider, même s’il sait qu’il n’y a que des mauvaises solutions”, rappelle M. Bloch. Pour lui, “la société doit faire des choix : elle ne peut pas vouloir la sécurité à 100 % quand quelqu’un est arrêté selon le principe de précaution et ne pas vouloir d’innocents en prison”.

Nathalie Guibert
Article paru dans l’édition du 14.03.06