Chronique Juridique

Emmanuel Pierrat

Claude Lucas

Braqueurs ou criminels, certains écrivains se repentent dans leurs livres ou relatent des faits qui peuvent se retourner contre eux en cas de procès.Un livre peut parfois se retourner très durement contre son auteur, notamment dans un procès criminel. Fin juillet 2018, l’écrivain chinois Liu Yongbiao a ainsi été condamné pour quatre meurtres datant de 1995, non élucidé jusqu’à l’été 2017, mais que le romancier avait mis en scène dans un roman paru quinze ans après les faits.

Tout a commencé, à Huzhou, non loin de Shanghaï, par un cambriolage dans un hôtel, au cours duquel avaient été tués, à coups de matraques, un client, les propriétaires de l’établissement ainsi que leur petit-fils de 13 ans. C’est dix ans après ce drame que Liu Yongbiao a signé sa première fiction. En 2010, il publie un roman policier Un douloureux secret, avec une introduction annonçant que son livre suivant, qu’il envisageait d’intituler Le Sublime Écrivain qui tuait, mettrait en scène des crimes parfaits…

L’ADN a permis, plus de vingt ans après les faits, de remonter jusqu’au romancier et à un complice. Dans la foulée de son arrestation, en août 2017, un test ADN concluant et, surtout, des aveux ont largement facilité la fin de l’enquête et le renvoi devant une juridiction. Le livre seul n’aurait peut-être pas suffi à le déclarer coupable.

Liu Yongbiao a remis aux policiers une lettre destinée à son épouse, dans laquelle il relate les meurtres et lui confie : « Désormais, je peux enfin être libéré du tourment qui me fait souffrir si longtemps ».

Risque pénal

En France aussi, il existe un risque pénal inhérent à tout texte autobiographique : celui-ci peut en effet constituer une preuve contre son auteur quand des faits répréhensibles y sont relatés.

L’ouvrage Suerte, l’exclusion volontaire, qu’a signé Claude Lucas, auteur depuis lors de plusieurs livres mais aussi et alors braqueur, publié en 1999 dans la célèbre collection Terre humaine éditée par Plon, a ainsi été utilisé pendant le procès de son auteur.

Le journaliste Michel Henry, qui a suivi les audiences, en 1996, pour Libération, y a décrit des scènes glaçantes : « Dans le box, Lucas prévient : « Suerte, c’est un roman. Je n’ai pas à rendre compte de la personnalité de mon personnage. Je n’ai pas envie qu’on développe ma personnalité à partir de ce que je dis dans mon livre. Je voudrais faire la distinction entre le roman et la réalité. »» Le président : « Ce sera à vous de rectifier. »

Car Suerte peut aussi carrément le desservir. Lucas y a mis en scène les victimes de hold-up avec prise d’otages, pour les tourner en dérision. Or, les otages des deux braquages qu’on lui reproche sont assis devant lui. Lucas s’explique : « Dans le livre, je n’ai pas voulu me donner un bon visage. Si j’ai tourné les victimes en dérision, c’est pour crédibiliser mon personnage. Montrer à quel point on peut être un salaud. Qu’il y a une grosse part de cynisme quand on fait ce travail. Je ne cherchais pas à adoucir les angles, mais à présenter celui qui commet un hold-up dans sa brutalité. »

Le président : « Vous avez réussi. » Lucas : « Vous voyez, je voulais faire un véritable travail littéraire. Ne pas tricher. »

Aveux par écrit

Spéculons un instant sur le sort de Redoine Faïd, autre braqueur, qui s’est enfui de la prison de Réau, début juillet 2018. S’il est arrêté et jugé à nouveau, son livre, Braqueur, des cités au grand banditisme – coécrit en 2010 avec mon frère, le journaliste Jérôme Pierrat -, sera disséqué par la cour d’assises. 

Tous les textes sont donc des objets de droit. Les écrits autobiographiques (mémoires, journaux, autobiographie, correspondances…) le sont d’autant plus qu’ils se présentent comme des transcriptions d’une réalité bien souvent intime. Ils peuvent à ce titre aisément porter atteinte aux droits des personnes mentionnées, empiéter sur la vie privée des personnes qui y sont citées (ex-épouse, aventures sexuelles, etc.) ou se révéler diffamatoires, voire injurieux, envers les protagonistes (relations professionnelles, famille, etc.). De même, publier sa vie peut donner lieu pour certaines professions (avocats, médecins, militaires, diplomates, …) à des entorses, voire à de véritables violations du secret professionnel ou de l’obligation de réserve.
Il faut rappeler que la qualification de « fiction » ne met en rien l’auteur et son éditeur à l’abri des foudres de la justice. La publication d’un texte litigieux sous le label « roman » n’atténue en effet que très faiblement la responsabilité de l’auteur et de son éditeur si le texte fait référence à des situations ou des personnes réelles.

Enfin, en parallèle des mémoires de criminels, c’est l’autofiction qui est devenue un des genres éditoriaux les plus périlleux judiciairement ; à ce titre elle est bien souvent la victime, avant publication, d’un véritable phénomène d’auto-censure, durant lequel le livre est d’abord soumis à un cabinet d’avocats qui doit d’abord le caviarder pour éviter d’avoir à défendre son auteur à la barre.

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09/11/2017

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Au théâtre Hébertot, jusqu’au 7 janvier 2018, Charles Tordjman signe une remarquable mise en scène d’une grande finesse de la célébrissime pièce de Reginald Rose, à partir d’une nouvelle adaptation de Francis Lombrail. Grâce à l’excellent jeu des douze acteurs, la tension qui caractérise ce texte est particulièrement palpable.

La pièce de Reginald Rose, 12 hommes en colère(Twelve angry men, 1953) a connu une postérité exceptionnelle. Cette heureuse fortune s’est par la suite trouvée entretenue par le film magistral qu’en avait tiré Sydney Lumet et dont la prestation inoubliable d’Henri Fonda a marqué des générations de juristes. Rose, puis Lumet, ont su, chacun dans l’art qu’ils maîtrisaient à merveille, c’est-à-dire théâtre et cinéma, restituer cette absolue nécessité du doute qui se révèle au cours du délibéré le plus fameux de l’histoire du cinéma. Il n’est plus tellement nécessaire de relater l’intrigue de 12 hommes en colère ; elle est si connue. On s’attend à un verdict expéditif. Il n’en sera rien. L’un des douze jurés veut discuter. Il ne souhaite pas que le sort du jeune accusé, qui encourt la peine de mort, soit réglé aussi vite, sans discussion. Progressivement, il parvient à faire douter les autres jurés. Il déconstruit l’accusation ; les certitudes vacillent.

La pièce est un classique, c’est certain. Mais il y a assurément quelque chose de neuf dans l’excellente mise en scène que propose Charles Tordjman. Tout d’abord, l’adaptation du texte de Rose est nouvelle et est proposée par Francis Lombrail qui poursuit le travail qu’il avait déjà initié avec Les Cartes du pouvoir, il y a quelques années. Et force est de constater qu’il permet au théâtre américain de fort bien s’acclimater à la scène française. En effet, l’adaptation fonctionne. C’est nerveux, rapide et efficace. La tension dans ce « thriller du détail », comme le dit joliment le programme, ne faiblit jamais. Les renoncements progressifs s’expriment les uns après les autres, juré après juré, jusqu’à l’apothéose finale, la chute de J3, qui lui aussi finit par révéler sa part d’humanité.

La mise en scène de Charles Tordjman est excellente, notamment parce qu’elle s’appuie sur une réelle sobriété sans pour autant s’y réfugier. Écrivons-le autrement : c’est parfois facile d’être sobre. Cela permet d’économiser les idées. Et c’est finalement devenu un travers de certaines mises en scène contemporaines donnant l’impression que la sobriété annihile l’imagination. Or on est bien loin de tout cela ici et, au contraire, la mise en scène révèle un parti pris très intéressant et réussi. La scène est ouverte et n’est pas brisée par la césure qu’aurait pu représenter une table. Les jurés sont assis sur une sorte de banc en forme de L, face à la salle, donnant un air de Cène, voire d’un tribunal athénien de type aréopage (c’est encore plus frappant lorsqu’ils procèdent aux différents votes). C’est intelligent, cela donne au public l’impression plus tangible d’être dans la salle du délibéré. Mieux, cela permet aux douze acteurs d’investir la totalité de la scène en occupant tout l’espace, accentuant cette impression d’y être. L’ensemble est en perpétuel mouvement, les acteurs évoluent en parfaite coordination, et Charles Tordjman a su donner à la pièce cette tonicité dramatique que l’on retrouve si bien dans le film de Sydney Lumet. La chaleur étouffante qu’avait imaginée Reginald Rose se ressent très bien ici, tout comme la tension entre J8 et les autres.

Les acteurs sont exceptionnels, chacun à leur manière. La prestation de Francis Lombrail est impressionnante, rappelant qu’il est un grand acteur, ce dont on avait notamment déjà pu se convaincre en 2014 dans Les Cartes du pouvoir, sous la direction de Ladislas Chollat. Mais tous doivent être cités : Jeoffrey Bourdenet, Antoine Courtray, Philippe Crubezy, Olivier Cruveiller, Adel Djemaï, Christian Drillaud, Claude Guedj, Roch Leibovici, Pierre-Alan Leleu, Pascal Ternisien, Bruno Wolkowitch. En effet, en vérité, les douze parviennent à se singulariser par un jeu très juste et parfois très drôle, tout en veillant à ne pas empiéter sur le rôle du juré voisin. Les interactions sont très bien maîtrisées.

C’est une pièce importante que 12 hommes en colère. Elle effleure de grands sujets, elle touche à l’homme, à la justice et à la faillibilité de l’être. Le délibéré du jury est un concentré, en vase clos, des passions humaines les plus diverses. C’est un lieu d’affrontement, de discussions, mais c’est aussi là que le doute prend corps, ce doute salutaire qui définit l’humanité. Avec de tels objectifs, la pièce de Rose n’est pas sans ambition. La version qu’en propose actuellement le théâtre Hébertot est à la hauteur du défi. Il est certain que 12 hommes en colère n’a pas fini d’être adapté et c’est tant mieux. Cette mise en scène fait partie de celles qu’il faut garder à l’esprit.

 

12 hommes en colère, théâtre Hébertot, jusqu’au 7 janvier 2018, 19 h

  1. L’auberge rouge et ses 53 meurtres
  2. Les sœurs Papin, le «crime de classe» des «arracheuses d’yeux»
  3. Violette Nozière, l’empoisonneuse parricide
  4. Raoul Villain, l’homme qui a tué Jaurès
  5. Meg, la «pompe funèbre» de Félix Faure et le crime du 6 bis de l’impasse Ronsin

Information publiée le 26 février 2017 par Marc Escola

Vidal, le tueur de femmes – Une biographie sociale
Philippe Artières, Dominique Kalifa

Date de parution : 02/03/2017 Editeur : Verdier (Editions) Collection : Verdier Poche ISBN : 978-2-86432-922-0 EAN : 9782864329220 Format : Poche Présentation : Broché Nb. de pages : 365 p.

 

En décembre 1901, Henri Vidal, un hôtelier de Hyères âgé de 34 ans, agresse à coups de couteau deux prostituées, puis assassine une autre fille publique ainsi qu’une jeune Suissesse. Arrêté parce qu’il voyageait sans billet, celui que le pays surnomme très vite « le Tueur de femmes » est condamné à mort par la cour d’assises de Nice, puis gracié et envoyé au bagne de Cayenne où il meurt en 1906.

Dès ces crimes commis, l’assassin devient l’objet d’une imposante production discursive : faits divers, chroniques judiciaires, témoignages, expertises, ainsi qu’une autobiographie rédigée en prison. À partir de ces matériaux, et sans rien ajouter aux paroles des contemporains, les auteurs ont réalisé un montage qui permet de dérouler le film de cette existence, mais qui montre aussi comment une société, dans sa diversité et ses contradictions, construit la figure d’un criminel.

Publié en 2001, longtemps indisponible, ce livre singulier, dont le forme suscita l’étonnement, interroge à la fois l’écriture du passé, la nature du récit biographique, les incertitudes et la fragilité de l’histoire.

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