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Au théâtre Hébertot, jusqu’au 7 janvier 2018, Charles Tordjman signe une remarquable mise en scène d’une grande finesse de la célébrissime pièce de Reginald Rose, à partir d’une nouvelle adaptation de Francis Lombrail. Grâce à l’excellent jeu des douze acteurs, la tension qui caractérise ce texte est particulièrement palpable.

La pièce de Reginald Rose, 12 hommes en colère(Twelve angry men, 1953) a connu une postérité exceptionnelle. Cette heureuse fortune s’est par la suite trouvée entretenue par le film magistral qu’en avait tiré Sydney Lumet et dont la prestation inoubliable d’Henri Fonda a marqué des générations de juristes. Rose, puis Lumet, ont su, chacun dans l’art qu’ils maîtrisaient à merveille, c’est-à-dire théâtre et cinéma, restituer cette absolue nécessité du doute qui se révèle au cours du délibéré le plus fameux de l’histoire du cinéma. Il n’est plus tellement nécessaire de relater l’intrigue de 12 hommes en colère ; elle est si connue. On s’attend à un verdict expéditif. Il n’en sera rien. L’un des douze jurés veut discuter. Il ne souhaite pas que le sort du jeune accusé, qui encourt la peine de mort, soit réglé aussi vite, sans discussion. Progressivement, il parvient à faire douter les autres jurés. Il déconstruit l’accusation ; les certitudes vacillent.

La pièce est un classique, c’est certain. Mais il y a assurément quelque chose de neuf dans l’excellente mise en scène que propose Charles Tordjman. Tout d’abord, l’adaptation du texte de Rose est nouvelle et est proposée par Francis Lombrail qui poursuit le travail qu’il avait déjà initié avec Les Cartes du pouvoir, il y a quelques années. Et force est de constater qu’il permet au théâtre américain de fort bien s’acclimater à la scène française. En effet, l’adaptation fonctionne. C’est nerveux, rapide et efficace. La tension dans ce « thriller du détail », comme le dit joliment le programme, ne faiblit jamais. Les renoncements progressifs s’expriment les uns après les autres, juré après juré, jusqu’à l’apothéose finale, la chute de J3, qui lui aussi finit par révéler sa part d’humanité.

La mise en scène de Charles Tordjman est excellente, notamment parce qu’elle s’appuie sur une réelle sobriété sans pour autant s’y réfugier. Écrivons-le autrement : c’est parfois facile d’être sobre. Cela permet d’économiser les idées. Et c’est finalement devenu un travers de certaines mises en scène contemporaines donnant l’impression que la sobriété annihile l’imagination. Or on est bien loin de tout cela ici et, au contraire, la mise en scène révèle un parti pris très intéressant et réussi. La scène est ouverte et n’est pas brisée par la césure qu’aurait pu représenter une table. Les jurés sont assis sur une sorte de banc en forme de L, face à la salle, donnant un air de Cène, voire d’un tribunal athénien de type aréopage (c’est encore plus frappant lorsqu’ils procèdent aux différents votes). C’est intelligent, cela donne au public l’impression plus tangible d’être dans la salle du délibéré. Mieux, cela permet aux douze acteurs d’investir la totalité de la scène en occupant tout l’espace, accentuant cette impression d’y être. L’ensemble est en perpétuel mouvement, les acteurs évoluent en parfaite coordination, et Charles Tordjman a su donner à la pièce cette tonicité dramatique que l’on retrouve si bien dans le film de Sydney Lumet. La chaleur étouffante qu’avait imaginée Reginald Rose se ressent très bien ici, tout comme la tension entre J8 et les autres.

Les acteurs sont exceptionnels, chacun à leur manière. La prestation de Francis Lombrail est impressionnante, rappelant qu’il est un grand acteur, ce dont on avait notamment déjà pu se convaincre en 2014 dans Les Cartes du pouvoir, sous la direction de Ladislas Chollat. Mais tous doivent être cités : Jeoffrey Bourdenet, Antoine Courtray, Philippe Crubezy, Olivier Cruveiller, Adel Djemaï, Christian Drillaud, Claude Guedj, Roch Leibovici, Pierre-Alan Leleu, Pascal Ternisien, Bruno Wolkowitch. En effet, en vérité, les douze parviennent à se singulariser par un jeu très juste et parfois très drôle, tout en veillant à ne pas empiéter sur le rôle du juré voisin. Les interactions sont très bien maîtrisées.

C’est une pièce importante que 12 hommes en colère. Elle effleure de grands sujets, elle touche à l’homme, à la justice et à la faillibilité de l’être. Le délibéré du jury est un concentré, en vase clos, des passions humaines les plus diverses. C’est un lieu d’affrontement, de discussions, mais c’est aussi là que le doute prend corps, ce doute salutaire qui définit l’humanité. Avec de tels objectifs, la pièce de Rose n’est pas sans ambition. La version qu’en propose actuellement le théâtre Hébertot est à la hauteur du défi. Il est certain que 12 hommes en colère n’a pas fini d’être adapté et c’est tant mieux. Cette mise en scène fait partie de celles qu’il faut garder à l’esprit.

 

12 hommes en colère, théâtre Hébertot, jusqu’au 7 janvier 2018, 19 h

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