Le 8 octobre 1997, s’ouvre devant la cour d’assises de Bordeaux le procès de Maurice Papon pour complicité de crimes contre l’humanité.
Pendant six mois, historiens, résistants, fils et filles de victimes, hommes politiques vont tenter d’établir le rôle de l’accusé et de Vichy dans l’arrestation puis la déportation de 1690 juifs à Bordeaux et sa région, entre 1942 et 1944.

De la remise en liberté de Papon aux plaidoiries, retour sur les principaux moments et témoignages du procés. Six mois de débats intenses, au terme desquels le haut fonctionnaire sera condamné à dix ans de réclusion criminelle.

L ‘affaire Papon

“L’affaire Papon” a éclaté le 6 mai 1981, entre les deux tours de l’élection présidentielle. Le Canard Enchaîné publiait ce jour-là un article intitulé :

Quand un ministre de Giscard faisait déporter des juifs.

L’hebdomadaire satirique publie ensuite les 13 et 20 mai 1981 des documents signés Papon, qui tendent à prouver sa responsabilité dans la déportation de 1690 juifs de Bordeaux à Drancy, et de-là vers Auschwitz, entre 1942 et 1944.

La Une du Canard Enchaîné du 13 mai 1981. / © F3A
La Une du Canard Enchaîné du 13 mai 1981. / © F3A

Papon, grand serviteur de l’Etat

La révélation qui vise le ministre du Budget de Valéry Giscard d’Estaing, est un coup de tonnerre.
Préfet, maire, député, ministre, Maurice Papon, grand serviteur de l’Etat, a connu durant des décennies les honneurs de la République.

Il est demeuré près de neuf années (1958-1967) à la tête de la Préfecture de police de Paris, en particulier durant la guerre d’Algérie. C’est lui le « patron » lors de la répression des manifestations d’Algériens le 17-20 octobre 1961 (des dizaines de morts) et de celle au métro Charonne, le 8 février 1962 (9 morts) 

 

14 ans d’instruction

Une première plainte est déposée le 8 décembre 1981 pour “crimes contre l’humanité” au nom de la famille Matisson-Fogiel, concernant huit personnes, arrêtées et internées à Bordeaux et exterminées à Auschwitz.

Un Jury d’honneur composé d’anciens résistants rend cependant le 15 décembre une sentence plutôt favorable à Papon.
Il lui reproche d’avoir contribué à des arrestations et déportations, et de ne pas avoir démissionné en juillet 1942, mais conclut qu’il a participé à la Résistance par une attitude “courageuse”.

Après de nouvelles plaintes et l’ouverture d’une information judiciaire en juillet, Papon est inculpé en janvier 1983 de “crimes contre l’humanité”.

► Revoir la déclaration à la presse de Maurice Papon suite à son inculpation le 19 janvier 1983 à Bordeaux :

Bordeaux : déclaration de Maurice Papon en janvier 1983

 Revoir l’interview de Maurice Papon recueillie par Jean-Pierre Dinan le 15 janvier 1983 pour France 3 Aquitaine :

Si j’avais à refaire ce que j’ai fait, je le referai

Bordeaux : Interview de Maurice Papon au micro de Jean-Pierre Dinan le 15 janvier 1983.

 

En 1987, une erreur de procédure du juge d’instruction provoque l’annulation, en février, de toute l’instruction.
La chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux est désignée pour reprendre l’affaire.

En 1988, nouvelle inculpation. Recevant à l’Elysée l’association Résistance-Vérité-Justice qui soutient Papon, le président François Mitterrand qualifie l’affaire de “règlement de comptes politique” et la longueur de l’instruction d'”attentatoire à la démocratie”.

En 1996, la chambre d’accusation de la cour d’appel de Bordeaux renvoie Maurice Papon devant la cour d’assises pour complicité de crimes contre l’humanité, contre l’avis initial du procureur général.

Les temps forts

Le plus long procès criminel de l’après-guerre

► Revoir le reportage de Zinedine Boudaoud et Christian Gaudin sur la cérémonie orgnaisée par les parents de victimes de déportations la veille du procès de Maurice Papon le 7 octobre 1997 :

Bordeaux : cérémonie à Mérignac en mémoire des juifs déportés

La remise en liberté pour raison de santé

Maurice Papon, 87 ans, se constitue prisonnier la veille du procès. Dès l’ouverture, le procureur général Henri Desclaux annonce qu’il retient désormais l’intégralité des faits reprochés, dont la complicité d’assassinat, jusque-là exclue.

Le même jour, le principal avocat de Papon, Jean-Marc Varaut, demande sa remise en liberté. Il l’obtient le 10 octobre, pour raisons de santé, sous les protestations des parties civiles.

 Ecoutez les réactions des parties civiles lors de la remise en liberté de Maurice Papon le 10 octobre 1997. Reportage de Jean-François Meekel et Bernard Hosteins :

Bordeaux : procès Papon, réactions à sa remise en liberté

Papon, “persona non grata” dans les hôtels bordelais, est contraint de déménager à plusieurs reprises.

 Revoir le reportage de Philippe Denis et Pierre Dick sur la polémique autour de l’hérgement de Maurice Papon :
Papon, “persona non grata” dans les hôtels bordelais, est contraint de déménager à plusieurs reprises.

► Revoir le reportage de Philippe Denis et Pierre Dick sur la polémique autour de l’hérgement de Maurice Papon :

Bordeaux : procès Papon polémique hébergement

 

De grandes figures du gaullisme à la rescousse

L’accusé reçoit, dans les premiers jours du procès, l’appui de grandes figures du gaullisme, venus témoigner.

Ainsi, Philippe Séguin, ancien président de l’Assemblée nationale, dénonce ce procès comme un prétexte à faire “celui du général De Gaulle et celui de la France”.

L’ex-Premier ministre Pierre Messmer prône le pardon et exonère Papon de toute responsabilité dans la répression de manifestations liées à la guerre d’Algérie, en octobre 1961, alors qu’il était préfet de police. C’est un “procès dans le procès”, dit-il.

► Revoir le reportage de Jean-François Meekel et Bernard Hosteins sur le témoignage à décharge de l’ex-Premier ministre Pierre Messmer :

Bordeaux : procès Papon soutien de l’ex-Premier ministre Pierre Messmer

 

Bataille d’historiens

Lorsque la parole est ensuite donnée aux historiens, s’opposent l’Américain Robert Paxton et le Français Henri Amouroux.
Le premier insiste sur la responsabilité des autorités françaises. “Sans l’aide de la police française, les Allemands n’auraient pu repérer les juifs et les arrêter”, dit-il.

Pour Henri Amouroux en revanche, “on ne peut pas écrire l’histoire en noir et blanc”.

A l’historien Jean-Pierre Azéma, selon  qui “nul n’était obligé d’aller contre sa conscience”, Maurice Papon réplique: “Je n’ai pas démissionné car je voulais rester sur le champ de bataille”.

 Revoir le reportage de Jean-François Meekel sur le témoignage des historiens lors du procès :

Bordeaux : témoignages des historiens Robert Paxton et Henri Amouroux lors du procès Papon

► Revoir les témoignages de Jean Pierre-Bloch, ancien résistant et homme politique, et de Samuel Pisar, écrivain et survivant de la Shoah :

Bordeaux: interviews de Jean Pierre-Bloch et Samuel Pisar au procès Papon 1997

Le 10 janvier 1944, près de 400 juifs de Bordeaux, Libourne, Arcachon et Bayonne sont enfermés dans la Grande Synagogue de Bordeaux, transormée en prison.
Ils seront déportés à Drancy puis à Auschwitz.

© CC by patrick janicek via Flickr
© CC by patrick janicek via Flickr

 

Des témoignages poignants

La cour d’assises de Bordeaux entend ensuite les témoignages, souvent poignants, de parents de victimes dont on projette les photos sur grand écran.

Eliane Dommange, partie civile au procès Papon, tient contre sa poitrine la photo de ses parents déportés à Auschwitz. / © F3A
Eliane Dommange, partie civile au procès Papon, tient contre sa poitrine la photo de ses parents déportés à Auschwitz. / © F3A
Arrestations de juifs à Bordeaux en 1942. / © F3A
Arrestations de juifs à Bordeaux en 1942. / © F3A

Nous sommes des survivants, nous espérons de ce procès d’être des vivants

lance Maurice Matisson, dont huit proches ont été déportés dans un convoi organisé par Maurice Papon.

► Revoir le reportage de Jean-François Meeckel et Bernard Hosteins réalisé lors du procès en décembre 1997 :

Bordeaux: Extrait reportage sur les victimes de Maurice Papon

“Ces évènements d’il y a 50 ans, je n’ai jamais pu les oublier, j’ai vécu avec, c’est une plaie qui ne peut pas se refermer”, dit Hersz Librach, dont le cousin, Léon Librach, a été déporté de Bordeaux en 1942.

Je veux bien me repentir, mais de quoi ? De quelle faute ? J’ai eu des insuffisances, des maladresses, j’ai eu des échecs comme un vrai combattant

déclare l’accusé.

► Revoir le reportage sur les parents de juifs arrêtés à Bordeaux et déportés à Auschwitz :

Bordeaux : procès Papon témoignages des enfants de déportés

 

Le verdict

Le 9 mars, commencent les plaidoiries des parties civiles. Me Alain Jakubowicz réclame la perpétuité. Me Arno Klarsfeld soutient que Papon n’a pas eu de volonté meurtrière et que la peine doit être moindre.

Les 18 et 19 mars, le procureur général Henri Desclaux et l’avocat général Marc Robert requièrent 20 ans de réclusion.

Les avocats de la défense, Mes Marcel Rouxel, Francis Vuillemin et Jean-Marc Varaut réclament l’acquittement.
Le procès est interrompu durant trois jours par le décès de Mme Papon.

► Revoir le compte rendu d’audience lors de la plaidoirie de Me Jean-Marc Varaut :

Bordeaux: procès Papon plaidoirie de la défense Me Jean-Marc Varaut

Le 2 avril au matin, après une nuit blanche et dix-neuf heures de délibéré, le verdict tombe : dix ans de réclusion criminelle et la privation des droits civils, civiques et de famille.

► Revoir le reportage de Vincent Calcagni et Jean-Pierre Darot sur le verdict :

Bordeaux : verdict procès Papon le 2 avril 1998

Le 3 avril, en audience civile, Maurice Papon est condamné à verser environ 4,6 MF.

Le 21 octobre 1999, la Cour de cassation refuse d’examiner son pourvoi parce qu’il s’est enfui en Suisse au lieu de se constituer prisonnier la veille de l’audience. La condamnation devient définitive.

Maurice Papon est arrêté, extradé de suisse le jour-même et interné à Fresnes (Val-de-Marne).

En 2000, le président Jacques Chirac rejette les demandes de grâce médicale.

La justice le remettra en liberté le 18 septembre 2002 en raison de son état de santé. Il meurt le 17 janvier 2007.

Maurice Papon malade : son état de santé aura souvent été au cœur des débats lors de son procès à Bordeaux. / © F3A
Maurice Papon malade : son état de santé aura souvent été au cœur des débats lors de son procès à Bordeaux. / © F3A

 

Un procès historique

Le procès de Maurice Papon appartient déjà à l’Histoire. Et l’histoire retiendra que l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde a été condamnée pour complicité de crimes contre l’humanité au terme de six mois d’audience. Et rien n’était écrit d’avance…

Pour Me Gérard Boulanger, l’avocat qui déposa les toutes premières plaintes de l’affaire Papon, où il défendit 27 parties civiles, considère que ce procès a bénéficié “d’une fenêtre de tir ” historique unique”.

Ce procès était inenvisageable plus tôt sans une prise de conscience suscitée par les procédures Barbie et Touvier, il était impossible plus tard, estime l’avocat bordelais qui a consacré 17 ans de sa vie et trois livres à l’affaire.

C’est le procès d’un crime de bureau, d’un tueur stylographique, le seul de ce genre en France sur des crimes contre l’humanité

selon Me Gérard Boulanger interrogé le 29 septembre 2017 par nos confrères de l’AFP.

20 ans après le procès, la plupart des acteurs du procès sont décédés, notamment Michel Slitinsky, sans lequel le procès n’aurait pas pu avoir lieu.

La revue de presse du verdict du procès Papon

 

Que reste-t-il, 20 ans après du procès Papon ?

A cette question, Me Boulanger répond :

Sur le leg, j’avais plaidé à l’époque qu’après le verdict, l’Histoire de France ne serait plus la même. Cela a pu être le cas après coup, aujourd’hui je ne suis pas si sûr.

Car depuis, même s’il reste de la mémoire, on vit une drôle d’époque où un évèvement chasse l’autre. et je serais curieux de voir une enquête sur “Qu’évoque pour vous le nom de Papon ?” J’aurais peur d’être déçu”.

► Revoir le reportage de Guillaume Decaix sur le procès Papon, 20 ans après :

Bordeaux : procès Papon, 20 ans après

L’itinéraire cabossé

Une véritable exécution

La mort d’une grand-mère

Une mère accusée de viol

Un coup de pied fatal

Il a tenté de tuer sa compagne

Une remorque de parfums

Le bébé secoué

Dans une station-service

 

 

 

En cas de condamnation par la cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé ; mais en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent. 

Crim. 8 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 15-86.914

Crim. 8 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-80.389

Crim. 8 févr. 2017, FS-P+B+I, n° 16-80.391

Par trois arrêts du 8 février 2017, la chambre criminelle a affirmé que, selon l’article 365-1 du code de procédure pénale, « en cas de condamnation par une cour d’assises, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui l’ont convaincue de la culpabilité de l’accusé » et elle a ajouté « qu’en l’absence d’autre disposition légale le prévoyant, la cour et le jury ne doivent pas motiver le choix de la peine qu’ils prononcent dans les conditions définies à l’article 362 » du même code. Elle a, sur le fondement de ce principe, cassé pour violation de la loi les arrêts d’assises qui lui étaient soumis en ce qu’ils avaient motivé la peine prononcée. En d’autres termes, la chambre criminelle affirme que, si les cours d’assises doivent motiver la déclaration de culpabilité, elles ont l’interdiction, à peine de nullité, de motiver la peine prononcée, la présence d’une motivation de la peine, aussi succincte soit-elle, constituant un motif de cassation. Ces décisions appellent deux séries d’observations, tenant à la motivation des arrêts d’assises et à la cassation des arrêts en cause.

La motivation des arrêts d’assises a été instaurée par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, à la suite des positions exprimées par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Le Conseil constitutionnel n’avait vu aucune contrariété à la Constitution dans l’absence de motivation des arrêts d’assises (Cons. const., 1er avr. 2011, n° 2011-113/115 QPC, Dalloz actualité, 5 avr. 2011, obs. S. Lavric  ; D. 2011. 1154, point de vue W. Mastor et B. de Lamy  ; ibid. 1156, point de vue J.-B. Perrier  ; ibid. 1158, chron. M. Huyette  ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot  ; AJ pénal 2011. 243, obs. J.-B. Perrier  ; Constitutions 2011. 361, obs. A. Cappello  ; RSC 2011. 423, obs. J. Danet ). En revanche, la CEDH avait critiqué cette absence de motivation, qui est contraire au droit au procès équitable protégé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme lorsque les questions posées combinées avec l’acte d’accusation ne permettent pas de comprendre les raisons ayant conduit à la condamnation (CEDH 16 nov. 2010, Taxquet c. Belgique, n° 926/05 ; Dalloz actualité, 25 nov. 2010, obs. O. Bachelet  ; D. 2011. 47, obs. O. Bachelet , note J.-F. Renucci  ; ibid. 48, note J. Pradel  ; Just. & cass. 2011. 241, étude C. Mathon  ; AJ pénal 2011. 35, obs. C. Renaud-Duparc  ; RSC 2011. 214, obs. J.-P. Marguénaud ). Il n’était pas en soi nécessaire de prévoir une motivation explicite des arrêts d’assises : si les questions sont suffisamment précises et nombreuses pour comprendre les raisons ayant conduit à la condamnation, il n’y a pas violation de l’article 6 de la Convention européenne (CEDH 10 janv. 2013, Légillon c. France, n° 53406/10, D. 2013. 615 , note J.-F. Renucci  ; AJ pénal 2013. 336, note C. Renaud-Duparc ). Le législateur a cependant préféré prévoir une motivation plus explicite qui doit être rédigée par le président ou l’un des magistrats assesseurs en cas de condamnation et qui consiste « dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l’article 356, préalablement aux votes sur les questions » (C. pr. pén., art. 365-1). La Cour de cassation exerce ainsi un contrôle de la motivation des arrêts d’assises d’appel frappés de pourvoi et n’hésite pas à casser l’arrêt lorsque la motivation sur la déclaration de culpabilité est insuffisante ou contradictoire (Crim. 20 nov. 2013, n° 12-86.630, Bull. crim. n° 234 ; Dalloz actualité, 5 déc. 2013, obs. S. Fucini  ; D. 2013. 2779  ; AJ pénal 2014. 81, obs. P. de Combles de Nayves  ; Dr. pénal 2014. Comm. 13, obs. A. Maron et M. Haas ; 16 déc. 2015, n° 15-81.160, Dalloz actualité, 21 janv. 2016, obs. J. Gallois  ; AJ pénal 2016. 209  ; 16 nov. 2016, n° 15-86.106, Dalloz actualité, 6 déc. 2016, obs. L. Priou-Alibert ).

Seule la déclaration de culpabilité doit être motivée et la loi n’impose pas la motivation de la peine prononcée. En 2013, la Cour de cassation a refusé de renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, en affirmant que « l’absence de motivation des peines de réclusion criminelle et d’emprisonnement prononcées par les cours d’assises, qui s’explique par l’exigence d’un vote à la majorité absolue ou à la majorité de six ou de huit voix au moins lorsque le maximum de la peine privative de liberté est prononcé, ne porte pas atteinte au droit à l’égalité devant la justice garanti par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les personnes accusées de crime devant les cours d’assises étant ainsi dans une situation différente de celles poursuivies devant le tribunal correctionnel » (Crim. 29 mai 2013, n° 12-86.630, préc.). Une telle motivation était assez contestable dans la mesure où l’exigence d’une motivation de la déclaration de culpabilité enlevait toute pertinence à l’argument du jury pour justifier l’absence de motivation de la peine. Le contraste entre la motivation en matière criminelle et celle en matière correctionnelle est saisissant : d’une part, en matière correctionnelle, le tribunal doit spécialement motiver le prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis (C. pén., art. 132-19, al. 2). D’autre part, à la suite de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014, l’article 132-1, alinéa 2, du code pénal précise que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée », l’alinéa suivant ajoutant que, « dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale, conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l’article 130-1 ». Dans une série d’arrêts récents, la chambre criminelle en a déduit que, contrairement à sa jurisprudence antérieure, toutes les peines, tant principales que complémentaires, doivent être motivées par référence aux éléments mentionnés par l’article 132-1 du code pénal (Crim. 1er févr. 2017, n° 15-83.984, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. C. Fonteix  ; 1er févr. 2017, n° 15-85.199, Dalloz actualité, 16 févr. 2017, obs. S. Fucini  ; 1er févr. 2017, n° 15-84.511, Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. S. Lavric ). Ainsi, alors que le législateur va vers l’exigence d’une plus grande motivation des peines en matière correctionnelle, que la Cour de cassation exerce un contrôle de la motivation et que la cassation est encourue si un arrêt en matière correctionnelle ne motive pas la moindre peine complémentaire par référence aux éléments de l’article 132-1 du code pénal, le prononcé d’une peine criminelle n’a pas à être motivé.

Le fait que la loi n’exige pas des cours d’assises la motivation de la peine prononcée n’est pas véritablement contestable. Si l’article 132-1 du code pénal affirme en termes généraux que « toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée », l’article 365-1 du code de procédure pénale affirme de manière très précise que la motivation des arrêts d’assises ne porte que sur « les principaux éléments qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Si l’absence de motivation de la peine en matière criminelle est critiquable compte tenu du mouvement constaté en matière correctionnelle, elle résulte de l’intention clairement exprimée par le législateur.

Mais une autre chose est davantage contestable dans les arrêts commentés : la chambre criminelle casse et annule les arrêts qui lui étaient déférés, en ce qu’ils contenaient des éléments portant sur la motivation de la peine. Elle vise pour ce faire, outre l’article 365-1, l’article 591 du code de procédure pénale : autrement dit, la chambre criminelle casse et annule ces arrêts pour violation de la loi. Le seul fait, par exemple, que la feuille de motivation contienne la phrase « l’absence de remise en cause de l’accusé n’est pas apparue comme un gage de réadaptabilité » entraîne la cassation de l’arrêt, malgré la présence par ailleurs d’une motivation quant à la culpabilité. On peut en effet s’en étonner car la Cour de cassation ne se contente pas de dire que la motivation de la peine n’est pas exigée : elle va jusqu’à interdire une telle motivation. Elle avait d’ailleurs déjà procédé de la sorte avant la création de l’article 365-1 du code de procédure pénale, lorsque l’arrêt d’assises contenait des énonciations relatives à la culpabilité ou à la peine prononcée autres que les réponses aux questions posées (Crim. 15 déc. 1999, nos 99-83.910 et 99-84.099, Bull. crim. nos 307 et 308 ; D. 2000. 50 ). Pourtant, cette motivation aurait pu être analysée comme un motif surabondant, c’est-à-dire un motif inutile « qui n’est pas nécessaire pour soutenir le dispositif de la décision, parce que celle-ci comporte d’autres motifs qui suffisent à la justifier (J. Boré et L. Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz Action, n° 113.11). Cela aurait conduit la chambre criminelle à rejeter les pourvois en l’absence d’autres motifs de cassation, l’article 365-1 du code de procédure pénale ayant été respecté dès lors que la motivation contient, à tout le moins, les éléments qui ont convaincu la cour de la culpabilité. D’ailleurs, aucun des demandeurs au pourvoi, dans les trois arrêts commentés, n’avait soulevé cet argument : ils contestaient la motivation quant aux prétendues insuffisances ou contradictions qu’elle contenait quant à la culpabilité. Ne pas exiger la motivation de la peine en matière criminelle est une chose ; l’interdire et casser l’arrêt d’assises qui y procède en est une autre, la Cour de cassation exprimant par là qu’une motivation de la peine prononcée en matière criminelle est une cause de nullité. Les conséquences à tirer de ces arrêts sont claires : le président ou l’assesseur qui rédige la feuille de motivation a interdiction, à peine de nullité, d’énoncer le moindre élément de motivation concernant la peine prononcée. Cette jurisprudence doit cependant conduire à une réflexion plus profonde sur l’éventuelle opportunité d’élargir la motivation des arrêts d’assises à la peine prononcée, motivation qui est matériellement possible malgré la présence d’un jury comme l’est devenue celle portant sur la culpabilité.

Site de la Cour de cassation

par Sébastien Fucini

 

24|08|2017

 

Source 

Le président de la cour d’assises des Alpes-maritimes, à la demande de la défense de l’accusé, ordonne, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, le versement aux débats d’un rapport d’expertise privée établi par un médecin convoqué à l’audience pour être entendu en qualité de témoin et aucune réserve ni réclamation n’est formulée par les parties sur cette production de pièce nouvelle.
Le principe du contradictoire, dans une procédure orale, implique que toutes les pièces versées aux débats soient communiquées tant aux parties qu’à leurs conseils respectifs.
Par ailleurs, il n’a été porté aucune atteinte au principe de l’oralité des débats dès lors qu’il ne résulte pas des mentions du procès-verbal que le rapport ait été lu ou même évoqué avant l’audition du médecin.
Il résulte des énonciations du procès-verbal que le président, après avoir rappelé à l’accusé son droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire, l’a ensuite interrogé et reçu ses déclarations conformément à l’article 328 du Code de procédure pénale.
En informant ainsi l’accusé du droit de se taire avant de l’interroger, le président de la cour d’assises n’a méconnu aucune disposition légale ou conventionnelle, dès lors que le président n’a pas à renouveler les formalités prévues par cet article au cours des débats lors d’interrogatoires successifs de l’accusé.

 Arrêt

Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 16-86656

Meurtres

 

 

 

 

Viols

 

 

 

Tentatives de meurtres