DENYS DE BÉCHILLON ET MARC GUILLAUME (*)
Le Club des juristes A partir du 1 er mars, tout justiciable pourra contester la conformité avec la Constitution d’une disposition législative. Le Conseil constitutionnel vient de préciser le fonctionnement de ce nouveau dispositif.
L’article 61-1 de la Constitution confère à tout justiciable le droit de soutenir qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Cet article, issu de la révision constitutionnelle de l’été 2008, nécessitait d’être précisé dans une loi orga-nique. Celle-ci vient d’être examinée par le Conseil constitutionnel, qui l’a jugée, le 3 décembre, globalement conforme à la Constitution.
Rappelons à grands traits le dispositif retenu par le Parlement. La question de constitutionnalité peut être soulevée au cours de n’importe quel procès. Le juge saisi du litige procède sans délai à un premier examen, destiné à s’assurer que l’argumentation présente un minimum de consistance. Il vérifie d’abord que la loi contestée est applicable au litige ; ensuite, que la disposition considérée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution ; enfin, que le doute sur sa constitutionnalité n’est pas dépourvu de caractère sérieux.
Si ces critères sont réunis, la question de constitutionnalité est renvoyée, selon le cas, à la Cour de cassation ou au Conseil. Elles disposent de trois mois pour déterminer si le Conseil constitutionnel doit être saisi. Dans l’affirmative, lui seul pourra dire si la disposition législative porte atteinte à la Constitution et prononcer son abrogation.
Dans sa décision du 3 décembre dernier, le Conseil constitutionnel a précisé le sens et la portée de divers éléments de ce dispositif. Prenons les principaux. En premier lieu, il a confirmé que la question de constitutionnalité ne pourra pas être posée devant la cour d’assises, essentiellement pour éviter les manoeuvres dilatoires en cours d’audience. Mais le justiciable n’est pas privé pour autant du droit de poser une question de constitutionnalité pendant toute la durée de l’instruction, ou après que la sentence a été rendue.
Problème inédit
En deuxième lieu, le Conseil précise ce que veut dire l’idée selon laquelle une disposition législative déjà déclarée conforme à la Constitution ne peut être contestée à nouveau « sauf changement des circonstances » : il faut qu’ait eu lieu soit une évolution des règles constitutionnelles elles-mêmes, soit une mutation du contexte de droit ou de fait en fonction duquel la loi a été élaborée.
En troisième lieu, le Conseil éclaire diverses facettes de la situation relative de la Constitution et des traités internationaux. D’une part, c’est la supériorité de la Constitution dans l’ordre national qui justifie que ces questions soient traitées par priorité si le requérant soutient en même temps que la loi est contraire à la Constitution et au droit international ou communautaire. D’autre part, rien ne s’oppose à ce que, lorsque le Conseil aura conclu à la validité d’une disposition, le justiciable puisse continuer à discuter sa conformité aux traités devant les juridictions nationales puis, le cas échéant, devant la Cour européenne des droits de l’homme. La priorité au débat constitutionnel n’est donc ni un cul-de-sac ni un dispositif dirigé contre le droit européen.
En quatrième lieu, le Conseil a indiqué ce que signifie qu’il puisse être saisi lorsque « la question est nouvelle ou présente une difficulté sérieuse ». Il faut soit qu’une loi pose un problème inédit, au sens où elle met en cause une règle dont le Conseil n’a pas encore eu l’occasion de faire application, soit qu’elle pose un problème suffisamment important pour justifier de n’être pas « filtré » par la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat.
En cinquième lieu, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation pour garantir que le justiciable puisse toujours bénéficier de l’abrogation obtenue par lui. Il a également admis que certains éléments de procédure soient complétés par décret. Le dispositif voulu par le constituant de 2008 est donc prêt à fonctionner. Ce sera le 1er mars 2010. Une page essentielle de l’histoire juridique française se tournera ce jour-là.
Procédure “coûteuse pour le justiciable, car il faut prendre un avocat devant la juridiction suprême et le Conseil constitutionnel; il faut imaginer la situation de la partie perdante, qui sera condamnée non seulement à payer l’ensemble de ses frais de procès, mais aussi ceux du ou des défendeurs: quand on voit que, désormais, les avocats (parisiens) n’hésitent plus à demander, pour de «petites» affaires civiles, 5000 euros de frais de procès, il y a là potentiellement de quoi ruiner plus d’un justiciable qui ne bénéficierait pas de l’aide juridictionnelle (trop chichement accordée en France, par ailleurs…);”
http://droit.lesdemocrates.fr/2009/12/11/la-question-prioritaire-de-constitutionnalite-a-peine-promulguee-deja-depassee/