l’horizon 2011, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), créé par le Conseil de sécurité des Nations unies après le génocide des Tutsi et l’élimination d’opposants hutu en 1994, devrait fermer ses portes. Il offre un bilan contrasté. Perçu comme un Tribunal de vainqueurs, il ne s’est pas affranchi de l’opposition ethnique entre Hutu et Tutsi en réunissant les victimes dans un même combat face aux extrémistes.
Lors d’un colloque intitulé “Le TPIR, modèle ou contre-modèle de la justice internationale ?”, une cinquantaine de représentants du Tribunal international, réunis à Genève pendant trois jours, ont tenté d’établir, à huis clos, un premier bilan. Depuis sa création, le 8 novembre 1994, 90 responsables et exécutants du génocide – ministres, officiers supérieurs, préfets, miliciens, etc. – ont été mis en accusation. Sur le papier, les travaux du Tribunal sont un succès.
En réalité, quinze ans après sa création, le Tribunal ne s’est pas affranchi de la dualité rwandaise – Hutu-Tutsi – terreau du génocide, des massacres et des dictatures successives. “Réconcilier les criminels avec les victimes, cette réconciliation-là, je n’en veux pas !, a affirmé lors du colloque Nkiko Nsgengimana, expert auprès du Tribunal. Pour moi, la vraie réconciliation, c’est entre les victimes. Elles sont les otages des extrémistes hutu et tutsi.”
Faute de preuves, le procureur a échoué à poursuivre les membres de l’Akazu, cercle d’initiés liés à la famille présidentielle et qui détenait les rênes du pouvoir hutu en avril 1994. Il a fait l’impasse sur les crimes de guerre de l’Armée patriotique rwandaise (APR), aujourd’hui en place à Kigali, après s’être emparée du pouvoir en repoussant les auteurs du génocide, en juillet 1994. “Comment reconstruire culturellement, politiquement, institutionnellement, un système où chaque Rwandais puisse se sentir un peu sûr, puisse ne plus avoir la hantise de la disparition collective ?, interroge M. Nsengimana. Comment garantir que l’on ait un système qui assure, de manière absolue, le droit à la vie ?”
Pour Joseph Ngarambe, “quelque 30 personnes déjà jugées, cela reste fort. Mais a-t-on foi dans l’avenir chez nous ? Est-on réconciliés ?”. Expert du bureau du procureur, il se décrit comme un exilé. “J’ai été exilé sous le régime des Hutu, aujourd’hui c’est le régime tutsi qui s’en défend hypocritement. Les mêmes critères sont là. Le chemin reste long, et le risque est grand que l’on bascule de nouveau dans la violence.”
Ouverte au cours de l’année 2000 par la procureure Carla Del Ponte, l’enquête conduite contre les membres de l’armée au pouvoir, et qui portait sur 13 sites de crimes, s’est soldée par un échec, au terme d’un long bras de fer engagé par les autorités rwandaises. Son successeur, le Gambien Hassan Bubacar Jallow a préféré la négociation avec Kigali. Pour lui, ces crimes doivent être jugés par le Rwanda.
Avec l’aval du procureur, quatre hommes de l’APR ont donc été jugés à Kigali pour l’assassinat de 14 religieux, mais l’organisation Human Right Watch a dénoncé la validité du procès. Par ailleurs, et même s’il est tenu par une résolution du Conseil de sécurité de se pencher sur ces crimes, le procureur affirme que l’enquête se poursuit, mais estime ne pas disposer de preuves suffisantes.
Ancien rapporteur spécial des Nations unies sur le Rwanda, le professeur René Degni-Segui se demande, dès lors, “si la réconciliation peut-être possible si on y voit une justice de vainqueurs (…), j’ai bien peur qu’on ne puisse y voir la réconciliation, si on ne poursuit pas également l’autre partie, sans pour autant jouer les équilibristes”. Il pointe encore l’opacité des procès tenus par le TPIR, dont les jugements ne sont pas traduits en kinyarwanda. “Si la population n’a pas accès aux jugements, est-ce que vraiment cela aura une portée pour la réconciliation nationale ?”
Optimiste, “le pire est derrière moi”, dit-il, François-Xavier Nsanzuwera, rescapé du génocide et substitut du procureur, voit dans les jugements “une promesse” pour les futures générations. “Une promesse que leur avenir ne sera pas comme le passé violent de leurs parents. C’est important pour les survivants. C’est important pour les jeunes Rwandais.”
Lui aussi rescapé, le journaliste Thomas Kamilindi raconte : “Je voyais ces tueurs comme des dieux, je veux dire des dieux du mal, donc des intouchables (…). Quand le jugement est tombé contre l’un de ceux qui a envoyé ses tueurs à l’Hôtel des Mille Collines, où j’étais réfugié, j’ai pleuré d’émotion. J’étais comme libéré de quelque chose que je ne peux pas décrire.”
A deux ans de la clôture des travaux, le procureur prévoit de remettre certains accusés, faute de temps, à des juridictions nationales. Mais à ce jour, les juges ont refusé qu’ils soient déférés à Kigali, estimant que les procédures y sont inéquitables. “Le crime de masse le plus jugé de toute l’Histoire”, selon le magistrat Antoine Garapon, a entraîné plusieurs Etats européens à s’emparer de dossiers rwandais, refusant d’extrader vers Kigali des personnes arrêtées sur leur sol. En 2011, le Tribunal se retirera de ce paysage politico-judiciaire sans être parvenu à se distancer du mea culpa onusien, prononcé après son échec à empêcher le génocide de 1994.
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