Notes – Jean-Paul Jean – 13 février 2009 La réforme de la procédure pénale s’est engagée dans la précipitation, après l’annonce de la suppression du juge d’instruction par le Président de la République le 7 janvier dernier.
Selon Jean-Paul Jean, magistrat, professeur associé à l’Université de Poitiers et membre du groupe de travail “Justice et Pouvoirs” de Terra Nova, plutôt qu’une rupture illusoire, c’est une réforme pragmatique qu’il faut engager, dans le respect des libertés, de l’égalité et de l’efficacité de la procédure pénale.

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L’annonce mercredi 7 janvier par le Président de La République de la suppression du juge d’instruction est pour le moins inhabituelle : le comité de réflexion sur la rénovation des codes pénal et de procédure pénale, présidé par le magistrat Philippe Léger, n’a pas encore rendu son rapport, et la déclaration du chef de l’Etat a déjà provoqué la démission de deux de ses membres. Alors que s’est ouverte la procédure disciplinaire initiée contre le juge Burgaud, jugé pour le fiasco de l’affaire d’Outreau, le climat actuel ne prête pas à la sérénité. Or, les enjeux majeurs de la réforme de la procédure judicaire n’autorisent pas la précipitation. Il convient de prendre la distance nécessaire à la réflexion.

Les changements opérés depuis une décennie ont profondément modifié la procédure pénale. Les juges d’instruction, de moins en moins saisis, ont vu leurs prérogatives se réduire en faveur de celles du parquet et de la police. La procéduralisation croissante de l’instruction a conduit à la réduction du temps judiciaire consacré au traitement de fond et à la recherche de la vérité. Quant au transfert du pouvoir de placer en détention provisoire au Juge des Libertés et de la détention, il n’a pas suffit à limiter l’usage excessif de cette pratique.

Ce bilan appelle une réforme pragmatique du système pénal, guidée par le respect de l’égalité, des libertés, et de l’efficacité de la procédure pénale. Plutôt qu’une rupture illusoire, il conviendrait d’assurer une continuité réformiste, en limitant le rôle du juge d’instruction aux seules affaires qui nécessitent son intervention, et en poursuivant la modernisation du schéma global d’organisation de la justice pénale, pour concilier l’efficacité dans la lutte contre la criminalité et la protection des libertés.

Le juge d’instruction est trop souvent perçu à travers son mythe . Bien d’autres réalités se cachent derrière l’image du « petit juge » solitaire, chevalier blanc s’attaquant aux puissants, qui a marqué la période des affaires politico-financières des années quatre-vingt-dix. C’est à partir de ces réalités qu’il faut réfléchir sereinement à la fonction de juge d’instruction au regard des principes qui gouvernent l’enquête pénale.

La finalité de l’instruction préparatoire est de permettre le jugement d’une affaire pénale dans les meilleures conditions possibles : un délai raisonnable, les éléments de droit et de fait rassemblés contradictoirement pour un débat à l’audience publique permettant de statuer sur la culpabilité et, dans le cas où celle-ci est établie, sur la peine. L’intervention du juge d’instruction est obligatoire en matière de crime et nécessaire pour les délits concernant des affaires complexes ou dans lesquelles lui seul peut réaliser certaines investigations.

Les choix effectués depuis une décennie, sous deux majorités politiques différentes, ont profondément modifié la procédure pénale et recomposé la place des différents acteurs du système judiciaire . On peut résumer ainsi ces évolutions : les 616 juges d’instruction français sont de moins en moins saisis, et leurs prérogatives ont fortement diminué, tandis que celles du parquet et de la police se sont élargies, le tout sous un contrôle de plus en plus formel et ponctuel des juges du siège.

–  Des juges de moins en moins saisis : 30.800 affaires nouvelles en 2006 contre 43.600 en 1997, 7,4 % des crimes et délits poursuivis en 1996, 4,3 % en 2006.

–  Des instructions préparatoires de plus en plus lentes : avant d’aboutir à un jugement, 35 mois pour une affaire de moeurs ou financière.

–  Des juges de plus en plus concurrencés par le parquet : tant qu’une mesure de contrainte n’est pas nécessaire, les bureaux des enquêtes des grands parquets traitent les affaires en enquête préliminaire en demandant au juge des libertés et de la détention (JLD) les autorisations d’actes portant atteinte aux libertés (écoutes, perquisitions…). Ainsi, suite à une dénonciation de TRACFIN, l’affaire mettant en cause Julien Dray sans qu’il puisse avoir accès à la procédure aurait à l’évidence fait l’objet, il y a encore peu, d’une ouverture d’information. Les juges d’instruction parisiens spécialisés en matière économique et financière dénoncent la diminution de leurs saisines dans les affaires sensibles et une maîtrise totale du parquet sur la gestion de ces contentieux. En 2006, les 14 juges du pôle financier ont reçu 200 affaires nouvelles, 165 en 2007, et… 90 en 2008.

Si les juges d’instruction sont de moins en moins saisis par les parquets, leurs cabinets sont encore  encombrés de plaintes avec constitution de partie civile dont beaucoup n’ont d’autre but que de retarder une procédure civile ou commerciale ou de faire procéder à des investigations financées sur frais de justice. Ainsi, à Paris, en matière économique et financière, 60% des dossiers de cabinets d’instruction étaient ouverts à l’initiative des parties civiles, dont 80% se terminaient par un non-lieu. La loi du 5 mars 2007, en obligeant préalablement à saisir le parquet pour enquête et éventuelles poursuites, avant toute ouverture d’information , a utilement fait diminuer le nombre de ces procédures.

Les cabinets d’instruction sont également surchargés du fait d’une procéduralisation croissante qui conduit à multiplier les actes formels sans aucun intérêt pour ce qui constitue la mission première du juge, la recherche de la vérité. Les réformes législatives successives ont multiplié les possibilités d’intervention et de recours des parties, parquet, mis en examen, parties civiles. D’où une augmentation des saisines de la chambre de l’instruction en incidents, demandes d’actes et de nullité de procédure qui s’ajoutent aux contentieux relatifs à la détention provisoire et au contrôle judiciaire.

Le résultat de ce formalisme inadapté imposé par le législateur est une part de plus en plus réduite du temps judiciaire consacré au traitement des questions de fond. A la durée excessive des procédures d’instruction elles-mêmes, vient s’ajouter celle du délai d’audiencement pour que l’affaire soit jugée au fond, du fait de l’encombrement des tribunaux correctionnels et des cours d’assises. La France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, ainsi l’arrêt Crétello du 23 janvier 2007 constatant 5 ans de détention provisoire dont 17 mois entre la fin de l’instruction et l’ouverture du procès.

La loi Guigou du 15 juin 2000 a retiré au juge d’instruction son pouvoir le plus important, celui de placer en détention provisoire, transféré au JLD qui statue ponctuellement sur les demandes transmises par le juge d’instruction, voire par le parquet en cas de refus de saisine par le juge d’instruction, cette dernière possibilité étant issue de la loi Perben II du 9 mars 2004. Le juge d’instruction conserve la possibilité de placer le mis en examen sous contrôle judiciaire (cautionnement, interdiction professionnelle…), ainsi que, disposition favorable aux libertés, de remettre une personne en liberté à tout moment.

Toutefois le recours trop important à la détention provisoire et sa durée excessive, comme dans l’affaire d’Outreau, constituent toujours des vices majeurs de notre système. Malgré les textes, les pressions et les habitudes sont fortes. Le caractère exceptionnel de la détention provisoire, affirmé par l’article 137 du code de procédure pénale, n’est plus qu’un vœu pieux quand 3 personnes sur 4 entrent en prison à ce titre.

1 – QUESTIONS-CLES POUR DES AXES DE REFORME

Si l’on estime nécessaire une nouvelle réforme de notre système pénal pour les affaires complexes, celles qui aujourd’hui sont instruites par un juge ou devraient l’être, une approche ponctuelle n’est plus permise.

Peut-on penser l’instruction préparatoire et le magistrat qui en aura la charge en évitant le réflexe corporatiste (on attaque le juge d’instruction parce qu’il s’attaque aux puissants !), l’immobilisme (pourquoi changer alors que l’on envie notre système à l’étranger ?) et l’anglophobie primaire (il faut refuser le système accusatoire car le droit anglo-saxon nous envahit !) que l’on trouve très souvent exprimés de façon explicite ou implicite ?

Une autre approche est possible, fondée sur un pragmatisme conciliant le respect des principes du procès équitable et l’efficacité dans la lutte contre la criminalité. On peut réfléchir à l’amélioration de la phase préparatoire au jugement en partant de quatre questions clés. Avec un juge d’instruction plutôt que sans, la procédure pénale est-elle plus efficace ? Les libertés sont-elles mieux garanties ? L’égalité des armes entre accusation et défense, et l’égalité des citoyens devant la loi sont-elles mieux assurées ? Les ingérences politiques dans l’établissement de la vérité judiciaire sont-elles limitées ?

1.1 – LE TRAITEMENT DES DOSSIERS COMPLEXES EST-IL PLUS EFFICACE AVEC UN JUGE D’INSTRUCTION QUE SANS ?

Si l’on étudie les délais d’instruction, la réponse est non. Lorsque l’on analyse la valeur ajoutée du travail du juge d’instruction, la réponse est variable. Dans trop de dossiers, le juge d’instruction se contente de reprendre ou de compléter à la marge les investigations policières, voire de leur donner un cadre juridique pendant le temps de la détention provisoire. Pour une grande partie de ces dossiers qui passent actuellement par l’instruction, même pour des affaires  criminelles susceptibles d’aboutir en cour d’assises, il suffirait de saisir un juge de l’instruction qui autoriserait les principaux actes portant atteinte aux libertés, ordonnerait des compléments d’enquête et des expertises, statuerait en premier ressort sur les détentions provisoires et les mesures de contrôle judiciaire et s’assurerait par un débat public et contradictoire entre le parquet, les parties civiles et les mis en cause, que l’affaire est en état d’être jugée. L’essentiel est que le juge du fond soit saisi rapidement pour une audience publique qui devra nécessairement prendre plus de temps qu’aujourd’hui, puisqu’il faudra entendre les principaux témoins, procéder aux confrontations. L’oralité des débats, comme en cour d’assises, redeviendra la règle effective. Compte tenu des temps d’audience nécessaires, cela implique un redéploiement des moyens et des modes d’organisation modernes, que le système judiciaire peut intégrer si la pédagogie, les moyens humains et budgétaires précèdent et accompagnent la réforme. Egalement si, par ailleurs, pour dégager du temps d’audience, on traite selon le mode de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, en débat public, des affaires graves mais dans lesquelles les faits sont reconnus.

1.2 – AVEC UN JUGE D’INSTRUCTION, LES LIBERTES SONT-ELLES MIEUX GARANTIES ?

Non, du fait de « la justice de cabinet » à laquelle on doit toujours préférer le débat public qui empêche les pressions expresses ou diffuses. Mais l’atteinte première aux libertés par la détention provisoire n’est plus le fait du juge d’instruction. Et malheureusement l’on doit constater que l’instauration du JLD, ce juge sans statut saisi ponctuellement, s’il a complexifié la procédure, n’a en rien fait diminuer la détention provisoire.

1.3 – L’EGALITE DES ARMES ET L’EGALITE DES CITOYENS DEVANT LA JUSTICE PENALE SONT-ELLES MIEUX ASSUREES AVEC UN JUGE D’INSTRUCTION ?

Oui. Dans un système de type inquisitoire comme le nôtre, le coût des procédures est à la charge de l’Etat, à la différence du système accusatoire de common law où les personnes modestes ne peuvent pas réellement assurer leur défense, ou documenter leur plainte en ce qui concerne les victimes. Beaucoup dépend de la qualité, des moyens et des prérogatives de la défense. Il faut donc créer un service public de défense pénale, financé sur le budget de l’aide juridictionnelle, intégrant des avocats seniors encadrant des plus jeunes assurant un minimum de cinq ans d’activité, avec un statut leur garantissant une totale indépendance. Le coût sera élevé, mais sans investissement lourd, l’égalité des armes ne sera qu’un leurre et seules les personnes disposant des moyens financiers suffisants pourront se permettre le recours aux services d’avocats spécialisés, l’appui d’experts et la mise en œuvre de contre-enquêtes.

1.4 – L’EXISTENCE DU JUGE D’INSTRUCTION PERMET-ELLE DE LIMITER LES INGERENCES POLITIQUES DANS L’ETABLISSEMENT DE LA VERITE JUDICIAIRE ?

Oui, car le juge d’instruction est celui qui peut conduire ses investigations lorsque des puissants sont en cause, notamment dans les affaires politico-financières. Nombre d’affaires de corruption, de financement illégal de partis politiques, d’abus de biens sociaux, impliquant le pouvoir socioéconomique ou des personnalités ayant les réseaux d’appui suffisants n’auraient jamais pu aboutir, voire n’auraient même pas été initiées si des juges d’instruction n’avaient pas été saisis. Là réside le principal risque si les procureurs se voient confier l’initiative de toutes les investigations. Le garde des sceaux, encore plus depuis la loi du 9 mars 2004, veut s’affirmer comme « le chef des parquets ». Les procureurs généraux sont nommés de façon discrétionnaire en conseil des ministres, la hiérarchie des parquets étant renforcée dans le cadre d’un processus de nomination très encadré qui promeut aux postes de responsabilité les plus proches du pouvoir en place. Les ministres de la Justice ne respectent plus les avis non conformes du Conseil supérieur de la magistrature, contrairement à la période 1997-2002. L’intervention du politique dans les affaires ne peut donc être contrebalancée que par l’indépendance des magistrats en charge des affaires sensibles ainsi que par la transparence des procédures et des décisions.

2 – DE DELICATS EQUILIBRES

La principale conséquence de la suppression du juge d’instruction serait le transfert de toutes les initiatives et des fonctions d’investigation au parquet, même dans les affaires les plus sensibles. Ce choix serait lourd de conséquences. Il ne pourrait évidemment, pour éviter les interventions du politique, garantir les libertés et être compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme , s’effectuer qu’après avoir accordé un statut garantissant l’indépendance des magistrats du parquet dans la conduite des enquêtes. Cette orientation semble difficilement compatible avec celles fixées par le président de la République, et en tous cas serait en contradiction totale avec les dispositions résultant de la loi du 9 mars 2004 .

L’hypothèse de la suppression du juge d’instruction implique donc préalablement une réforme  pour garantir l’indépendance des magistrats du parquet dans la conduite des affaires individuelles. Le statut de la police judiciaire devrait aussi être renforcé dans la loi, pour éviter les pressions de la hiérarchie politique et administrative du ministère de l’Intérieur qui a désormais autorité sur toutes les forces de police et de gendarmerie.

En fin de compte, plutôt qu’une rupture illusoire, ne serait-il pas plus raisonnable d’assurer une continuité réformiste et de rester en cohérence avec les conclusions de la commission parlementaire tirant les leçons de l’affaire d’Outreau ? Et donc mettre en œuvre, comme prévu par la loi du 5 mars 2007, la collégialité de l’instruction, autour des pôles de l’instruction, à compter du 1er janvier 2010. Le juge d’instruction ne serait pas supprimé, mais son rôle serait limité aux seules affaires dans lesquelles il apporte une réelle valeur ajoutée, par la nécessité d’investigations nouvelles, la grande complexité de l’affaire ou pour prévenir les risques d’intervention politique dans un dossier sensible.

Quand les faits sont reconnus, même en matière criminelle, il n’y a aucune raison de saisir un juge d’instruction pour allonger inutilement les délais de comparution à l’audience de jugement. Ce pourrait être un magistrat du siège, président du tribunal ou son délégué, obligatoirement saisi par le parquet, qui effectuerait le choix de saisir ou non un juge d’instruction. Pour tous les autres dossiers, un juge de l’instruction, à l’instar d’un juge de la mise en état en matière civile pourrait simplement, en audience publique, valider le fait que la procédure peut être transmise au tribunal pour être jugée au fond, avec une volonté forte d’accélérer les délais et de supprimer les temps morts de la procédure. Ce même magistrat exercerait également, avec un statut fixé par la loi, les fonctions actuellement dévolues au JLD. Mais, quelles que soient les solutions retenues, il convient d’améliorer le statut les magistrats du parquet pour garantir leur rôle constitutionnel de garant des libertés, leur impartialité dans la conduite des enquêtes et empêcher toute ingérence du politique dans les affaires individuelles.

Ces réformes, enfin, doivent s’articuler avec une conception rénovée de l’organisation judiciaire. La suppression de la fonction d’instruction – et donc aussi du JLD – dans tous les petits tribunaux permet une rationalisation et une économie de moyens. Le schéma global d’organisation de la justice pénale, heureusement repensé depuis la mise en place des pôles financiers et des assistants spécialisés en 1998, puis par les juridictions interrégionales spécialisées créées par la loi du 9 mars 2004, pourrait ainsi poursuivre sa modernisation et favoriser la coopération dans l’espace judiciaire européen, en conciliant efficacité dans la lutte contre la criminalité et protection des libertés. Au sein de cette justice spécialisée, des juges d’instruction moins nombreux, mais ayant fait l’objet d’une formation continue et d’un recrutement ad hoc, travaillant en équipe, assistés de collaborateurs de haut niveau, tiendraient toute leur place.

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