Laurence de Charette
Un budget de 300 millions par an, près de 900 000 justiciables bénéficiant de cette assistance juridique gratuite : le système de l’aide juridictionnelle est au bord de l’implosion.
Dans le box de la 14e chambre du tribunal correctionnel de Paris, le jeune homme aux cheveux d’ébène tente de faire entendre sa cause aux trois magistrats. Le prévenu «se disant Abdelkarim Melloulah», palestinien, a été interpellé près de Montparnasse, avec une fausse carte de résident belge. Dans la petite salle d’audience, le public s’agite lorsque son avocat prend la parole : le conseil du jeune homme est complètement inaudible. L’avocat commis d’office, d’origine asiatique, ne parle qu’à peine le français… Il ânonne une argumentation commençant par «c’est très dur pour lui» et s’achevant par «demande la relaxe totale ». Sur le banc d’à côté, deux de ses confrères gardent la tête baissée, légèrement mal à l’aise.
«Le système des avocats commis d’office et de l’aide juridictionnelle coûte de plus en plus cher à l’État, mais pourtant, il ne donne satisfaction à personne !» analyse froidement un spécialiste de la Chancellerie. Le dispositif vise à donner à tous un égal accès à la justice en assurant le financement par l’État des frais d’avocat pour les plus démunis. En 1997, 890 000 personnes en ont bénéficié. Mais, même les avocats le reconnaissent, un prévenu bénéficiant de l’aide juridictionnelle sera la plupart du temps moins bien défendu qu’un autre. Pourtant, en dix ans, le montant consacré par l’État à cette enveloppe a augmenté de 72 % pour atteindre plus de 300 millions par an.
Ce jeudi, comme tous les jours au palais de Paris, plusieurs dizaines de prévenus ont été transférés dans la matinée au local «P12», pour y rencontrer un avocat commis d’office. De brefs échanges, deux ou trois heures au maximum avant l’audience. À Paris, ces permanences pénales sont recherchées par les jeunes avocats : même modestement rémunérées (en moyenne 192 euros pour un dossier correctionnel), elles assurent un minimum d’activité et permettent de «draguer» au passage d’autres clients à venir… «Certains jours, les jeunes avocats traînent dans les couloirs, devant les salles correctionnelles où les familles guettent le passage des leurs, dans l’espoir de récupérer un dossier», raconte un habitué du palais. Certaines permanences, quand elles sont rémunérées à l’acte, peuvent même s’avérer très lucratives : les membres de la commission Darrois, qui a planché sur le sujet, ont relevé le cas d’un avocat ayant touché près de 1 936 euros, après avoir assisté une dizaine de prévenus en une seule après-midi…
Manque de rigueur
Le système de l’aide juridictionnelle n’est en effet pas qu’un mécanisme de solidarité mais aussi un marché pour les professionnels du droit. Un marché qui devrait être amené à s’étendre encore – certains prédisent même un doublement de la dépense – avec la réforme annoncée de la procédure pénale qui doit renforcer le rôle de la défense face à un parquet menant l’enquête à la place du juge d’instruction.
Or, malgré son ampleur, la distribution de l’aide juridictionnelle, d’abord réservée aux personnes les plus démunies (moins de 911 euros de revenus mensuels) puis accordée selon un système dégressif, manque cruellement de rigueur. Dans les affaires pénales, les avocats commis d’office interviennent le plus souvent dans l’urgence, sans beaucoup de vérifications. Sur le formulaire ad hoc, les avocats parisiens ont tout simplement pris l’habitude de rayer d’un trait les questions portant sur les ressources du demandeur et d’inscrire un gros « zéro »…. pour ne pas prendre le risque de n’être payés ni par l’État, ni par le prévenu. Dans les affaires civiles (divorce, affaires familiales, etc.), les vérifications devraient être plus rigoureuses, puisque la demande se fait avant la procédure. Mais il reste de nombreuses failles dans le contrôle des bureaux d’aide juridictionnelle.
Ces bureaux ne prennent que très rarement en compte le changement de situation financière d’un justiciable alors que la loi prévoit un retrait de l’aide en cas d’augmentation des revenus. De même, lorsqu’une procédure se poursuit en appel, l’aide est automatiquement maintenue, sans vérification. Pas moins de 10 332 décisions de maintien de plein droit ont de cette façon été enregistrées en 2008, pour un budget de 3,4 millions d’euros. Et parfois, le montant en jeu du litige est moins élevé que la somme dépensée par l’État pour rémunérer les avocats…
Depuis peu de temps, les fonctionnaires ont reçu la consigne de demander au justiciable s’il ne bénéficie pas d’une assurance juridique qui pourrait prendre en charge les frais de justice. Mais le justiciable reste libre de sa réponse : or, il est parfois plus simple de solliciter l’État que l’assureur.
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