AP Verena von Derschau
Surfant sur le bilan sévère du contrôleur général des lieux privatifs de détention, le débat permanent sur l’état des prisons françaises et après une visite dans les sous-sols insalubres du Palais de justice de Paris, les douze jeunes avocats de la conférence du barreau de Paris ont décidé de dénoncer publiquement les conditions de détention dans les cellules de la souricière et du dépôt en essayant de s’en servir pour faire annuler des procédures devant le tribunal correctionnel de Paris. Lire la suite l’article
Le premier acte s’est déroulé jeudi devant la 23e chambre qui gère ces procédures expéditives. Venus en force, ces douze conseils qui, durant une année, vont être commis d’office dans des affaires pénales pour défendre les plus démunis, ont plaidé collectivement l’annulation d’un dossier au motif que leur client devait attendre son jugement dans un lieu “indigne de notre justice”. En l’espèce, le prévenu était un jeune homme de 18 ans jugé pour des outrages et des violences envers des policiers lors d’une interpellation musclée dans le XXe arrondissement de Paris le 17 mars dernier.
“La presse en parle, l’Europe en parle, mais les politiques ne s’y intéressent pas. C’est un coup de pinceau avant que le commissaire européen arrive, des réformettes, c’est un déni de justice”, s’est exclamé Me Pierre Combles de Nayves qui a pris la parole au nom des douze secrétaires de la conférence. Cette manifestation collective a été décidée après une visite de ces lieux de détention où “sous nos pieds des gens attendent parfois vingt heures dans des conditions indignes”.
Or, arguent les jeunes défenseurs, dans l’indifférence totale des trois magistrats, le code de procédure pénale prévoit la comparution d’un détenu dans des conditions correctes après un séjour dans un local spécialement aménagé. “Il aurait dû être libre et propre”, a martelé Me Combles de Nayves.
Pour Me Cédric Labrousse, le dépôt est “une zone de non-droit”. Il avait réclamé une semaine avant l’audience la copie du registre du dépôt où les gendarmes consignent les faits et gestes des détenus. “Au dépôt, mon client a droit à voir un avocat, de s’alimenter, de contacter un proche et de voir un médecin. Je n’ai aucun moyen, et le tribunal n’a aucun moyen de vérifier que ces droits lui ont été notifiés”, s’est insurgé l’avocat.
Visiblement embarrassée, la procureure Flavie Le Sueur a dû admettre que “les magistrats sont conscients que les conditions d’accueil sont tout à fait indignes et parfaitement inacceptables”. “Ce n’est pas un quatre étoiles. Mais c’est le reflet de ce qu’est la justice française aujourd’hui. Nous n’avons des ramettes de papier au compte-gouttes, pas de clé USB, pas d’écrans plats. Voilà les conditions dans lesquelles on travaille ici”, a-t-elle souligné.
Sans prendre position, elle a laissé le choix au tribunal d’annuler le PV de comparution immédiate, “ou pas” ou de renvoyer l’affaire afin d’aller visiter le dépôt. Dans la soirée, le jeune prévenu a finalement écopé de trois mois ferme et a été remis en liberté. Sans publier ses motivations, le tribunal a rejeté les nullités soulevées. La peine étant relativement faible, l’histoire n’ira probablement pas en appel.
“On compte remettre ça”, promet d’ores et déjà Me Combles de Nayves. Les douze secrétaires de la conférence se disent “scandalisés” par l’indifférence des magistrats et espèrent bien tomber un jour sur une formation qui, à l’image de ce qui s’est passé récemment à Créteil, annulera des comparutions immédiates à cause des conditions de détention dans les dépôts insalubres des palais de Justice français. AP
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Froid, manque d’hygiène : en cellule à Bobigny
Détention. Le contrôleur des prisons publie ses recommandations après sa visite au dépôt du tribunal de grande instance.
Les toilettes sont bouchées et on trouve, par terre, une bouteille remplie d’urine. Les murs sont couverts de traces d’excréments. On aperçoit dans une pièce à côté un homme en train de se déshabiller pour être fouillé : les portes du local de fouille ne ferment pas, il ne peut pas se cacher. Il fait froid, l’odeur est «pestilentielle».
Geôles. On croirait là une description des geôles d’une dictature archaïque, mais non, il s’agit des observations faites par le contrôleur des prisons lors d’une visite au dépôt du tribunal de grande instance de Bobigny (Seine-Saint-Denis), le 13 octobre. Une semaine après avoir rendu public son rapport annuel, le très actif contrôleur Jean-Marie Delarue publie ce matin au Journal officiel les «recommandations» que lui ont inspiré cette visite à Bobigny. On y retrouve un certain nombre de points dénoncés dans son rapport, qui concernait l’ensemble des 52 lieux de privation de liberté visités depuis juillet 2008, notamment les conditions d’hygiène déplorables et l’absence totale d’intimité.
Au dépôt du tribunal de Bobigny, au moment de la visite de Jean-Marie Delarue et de son équipe, 50 personnes étaient présentes à l’intérieur du bâtiment, qui comporte 31 cellules. Le dépôt est l’endroit où sont transférées les personnes qui terminent une garde à vue et attendent d’être déférées au parquet ou jugées en comparution immédiate. La plupart ont déjà passé au moins une nuit, parfois plus, en garde à vue, où ils n’ont pu, note le contrôleur dans son rapport, ni se reposer, ni se laver.
«Ogre».On attendrait donc du dépôt qu’il soit un sas leur permettant de se préparer au rendez-vous avec le procureur ou à l’audience qui les attend : «Toute personne doit pouvoir comparaître dignement devant son juge ; cette exigence rejoint celle des droits de la défense», écrit le contrôleur dans ses recommandations. Hélas, c’est l’inverse. «Le sommeil est perturbé par un éclairage permanent des cellules y compris la nuit et par l’absence de véritable couchage» (ni matelas, ni couverture, la seule possibilité est de s’allonger sur des bancs en béton). «La toilette est impossible» et la nourriture insuffisante (pas de petit-déjeuner le matin, un seul sandwich pour la journée).
A nouveau, Jean-Marie Delarue demande à ce que «la pratique du retrait du soutien-gorge et de la paire de lunettes de vue» soit abandonnée. «La chronique des commissariats ou brigades recèle peu de récits d’attaques au soutien-gorge», notait-il ironiquement dans son rapport. Il insiste pour que la confidentialité des entretiens avec les avocats et travailleurs sociaux soit assurée – ce qui n’est pas le cas actuellement -, répète que les fouilles doivent respecter l’intimité. Et que, au dépôt de Bobigny comme dans les autres lieux de détention, l’exigence de sécurité, cet «ogre jamais rassasié», cesse de bafouer constamment les droits de l’homme.
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