Cambodge
Par LEXPRESS.fr, publié le 25/08/2009 15:10 – mis à jour le 25/08/2009 15:45
A Phnom Penh, le temps est venu pour les familles de témoigner contre l’ancien responsable khmer rouge, qui a fait torturer et assassiner 17 000 personnes.
Le premier procès d’un ancien responsable khmer rouge, qui s’est ouvert à Phnom Penh, au Cambodge, le 30 mars dernier, offre depuis une semaine la parole à des proches -notamment occidentaux- de victimes disparues dans l’antichambre de la mort “S-21”, l’emblématique centre de sécurité du Kampuchea démocratique que dirigeait d’une main de fer Duch. La puissante charge émotionnelle de leurs dépositions a remis au coeur des débats la tragédie qui s’est jouée dans ce petit royaume d’Asie du Sud-Est entre 1975 et 1979 et mis en lumière l’étendue de ses effets dévastateurs, trente ans après. Avec beaucoup de dignité et de colère aussi, ces parents de suppliciés ont tour à tour raconté leur continuelle quête de justice et de vérité, qui empoisonne leurs vies, et dit tous les espoirs qu’ils plaçaient dans ce tribunal à caractère international.
Image, extraite d’une vidéo, de l’ancien bourreau khmer rouge de “S-21”, Duch, lors de son procès, en avril 2009.
Venus honorer la mémoire d’un époux, d’un père ou d’un frère, des étrangers ont les premiers ouverts le feu, criant à la barre leur souffrance et leur dégoût de l’accusé, Duch, qu’ils ont violemment pris à partie. Sans concession, la Française Martine Lefeuvre est venue “rafraîchir la mémoire à quelqu’un d’amnésique”. “L’instigateur de ces tueries est un intellectuel, qui aurait pu enrayer le processus d’extermination, a froidement asséné cette veuve. […] Il a fait torturer et assassiner 17 000 personnes […] et, pour moi, il aurait dû se supprimer parce que s’il avait peur de mourir, ce n’était pas une raison pour continuer de torturer et d’assassiner. […] Avait-il oublié, ce professeur de mathématiques, de réfléchir, pour se gorger de sang, de cris des suppliciés, de cadavres, pendant neuf ans? Si ça ne s’appelle pas s’éclater dans un sale boulot, dites-moi à quoi ça ressemble!”
Le temps n’efface pas l’horreur dans les mémoires
Le Néo-zélandais Robert Hamill, la voix tremblante, n’a pas caché avoir voulu infliger à Duch les mêmes tortures que son frère a sans doute subies à S-21, et s’est directement adressé à l’accusé. “Cependant, si une partie de moi ressent cela, j’essaie de tourner la page. Et cette procédure y participe, merci pour cela. Aujourd’hui, dans le prétoire, je vous envoie le poids écrasant de ces émotions: la colère, le chagrin et la douleur. Et je place cette charge émotionnelle sur votre tête. C’est vous qui avez créé ce fardeau, que personne ne mérite, c’est vous qui devriez le porter et non pas les familles des gens que vous avez tués. Désormais, je ne ressens rien pour vous. Pour moi, au vu de ce que vous avez fait, vous ne faites plus partie de l’humanité.”
Les proches de victimes dont la vie s’est brutalement interrompue dans l’enfer de S-21 ont évoqué avec courage un visage aimé à jamais disparu ainsi que leur attente, déçue, de le revoir après des années de recherches. Ils parlent aussi d’un bonheur familial brisé ou encore de l’angoisse face à l’ignorance du sort réservé à ces persécutés, ne pouvant qu’imaginer les supplices les plus inhumains qui leur ont été infligés, comme l’a confié Antonya Tioulong, soeur de l’épouse du leader de l’opposition parlementaire Sam Rainsy, venue témoigner au nom de sa soeur tragiquement disparue. [NDLR: Antonya Tioulong est rédactrice en chef de la documentation de L’Express.]
Faute de corps restitué et de sépulture, tous se raccrochent aux photos précieusement gardées de ces êtres aimés, qu’ils ont produites en audience, pour leur redonner un visage. Ainsi Sa Vandy, un instituteur retraité, a invoqué l’esprit de ce frère que les Khmers rouges lui ont pris: “Je crois véritablement que tu es là et que tu écoutes les débats de cette Chambre parce que, cet après-midi, je prie pour que tu sois ici, pour que tu participes aux débats de manière à ce que tu puisses entendre et voir que j’ai essayé que justice soit rendue pour les actes criminels que tu as subis.”
Le temps n’efface rien à leur chagrin, ont martelé en choeur ces parties civiles. Sans exception, elles ont toutes choisi pour l’heure de fermer la porte au pardon. L’accusé, enseveli sous la voix des victimes, a fait montre d’une grande sobriété dans ses observations et adopté une attitude d’autoflagellation, disant accepter toutes les remontrances et tous les châtiments que ses pairs voudraient lui administrer. Il n’a cependant pas répondu à leurs interrogations. Il est resté impassible. Indéchiffrable.
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