L’historienne Mara Goyet, selon laquelle le fait divers relèverait d’une « malsaine attention » analyse le phénomène à travers d’étranges anecdotes.

LE MONDE |

« Sous le charme du fait divers », de Mara Goyet, Stock, 208 pages, 18 euros.

Un ornithorynque… Dans les années 1960, ­Roland Barthes emprunte l’image de cet animal pour le rapprocher d’un autre objet extraordinaire : le fait divers. Catégoriser ce type d’informations n’est point aisé. Comme l’ornithorynque, on n’arrive à définir le fait divers que par accumulation des ­caractéristiques trouvées dans d’autres espèces ou par exclusion. «C’est le classement de l’inclassable», estimait le sémiologue. Plus de cinquante ans après Barthes, l’historienne Mara Goyet revient sur le sujet dans son dernier essai et prend à contre-pied le sociologue Pierre Bourdieu, pour qui le fait divers ne fait que diversion en absorbant du temps «au détriment des informations pertinentes pour l’exercice de la démocratie».

Le fait divers relèverait d’une «malsaine attention », souvent condamné pour son éloignement de la réalité. Auteure du blog « Alchimie du collège », elle en propose une étude par le biais d’objets : du piolet qui a tué Trotski au congélateur de Véronique Courjault, reconnue coupable de trois infanticides. L’ouvrage de Mara Goyet est un voyage au cœur d’étranges anecdotes, source d’inspiration des romanciers.

Une alternative de lecture de notre temps

L’auteur rend ainsi justice à ce briseur de tabous : «Le fait divers évoque des choses dont on ne pourrait pas parler à table : les pulsions, la haine, la mort, la folie. » Il met au jour une faille ignorée et provoque des polémiques, notamment dans les pays totalitaires, qui se sont toujours méfiés de la dimension chaotique qu’il renferme. L’analyse de Mara Goyet va encore plus loin. Selon elle, le fait divers offre une autre lecture de notre temps.

Ainsi, estime-t-elle, les attentats de janvier et de novembre 2015, ont subi une « fait-diversification ». La diffusion en continu de ces événements a créé une sphère « en instantané » qui dégage l’horreur de l’époque. Tout est objet de zoom ou replay pour nous empêcher d’avoir une vue d’ensemble. On disqualifie le regard qui peut remettre de l’ampleur historique sur le fait. On se concentre sur les « microclimats » qui en découlent : la carte d’identité d’un des terroristes oubliée dans la voiture, la chambre froide où se sont cachés les otages. « Un événement terrifiant est transformé en une suite de noms, de dates, de lieux, d’objets ; un monde qui ressemble à celui des faits divers. » Cette métamorphose permettrait de miniaturiser la terreur et d’affronter la violence sans la regarder.

Cette manière d’appréhender le monde par le fait divers nous permet de mieux affronter un monde en lambeaux. Autrement dit, le fait divers nous aide au quotidien dans la compréhension d’un monde aussi fragmenté que l’anatomie d’un ornithorynque.

« Sous le charme du fait divers », de Mara Goyet, Stock, 208 pages, 18 euros

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