Une étonnante déconstruction de joute verbale. Expérimental ; impressionnant
Christian Merlhiot, par son travail et son engagement dans le collectif pointligneplan, situe son œuvre entre arts plastiques et cinéma. Son Procès d’Oscar Wilde a bien quelque chose d’expérimental, saisissant le dialogue dudit procès à travers l’unique acteur Nasri Sayegh, dans un dispositif proche du théâtre. Dans la pénombre bleutée du film, la silhouette du héros, qui semble comme dessinée au crayon, travaille sur le texte avant de l’incarner dans un dispositif étonnant qui mêle les intérêts esthétiques, moraux et artistiques. Il y a brisure entre le sujet et son expression, puisque Merlhiot choisit de ne pas donner dans la reconstitution, une brisure qui ne transcende pas le sujet mais propose une résonnance particulière, esthétique et intellectuelle.
Trouver sa voix
Etrange procès que celui auquel nous propose d’assister Christian Merhliot. Sur un fond musical qui va de Bela Bartok à Aphex Twin, il nous fait entendre les mots échangés entre Oscar Wilde et Lord Queensberry puis entre l’écrivain et l’avocat inquisiteur. L’un, puis l’autre, le dispositif est celui du monologue. D’abord, le personnage est traducteur du texte, de l’anglais vers l’arabe, avant d’emprunter les oripeaux de l’avocat ou de Wilde pour les incarner indépendamment l’un de l’autre. Merlhiot offre une forme nouvelle au texte, démarche qui peut sembler parfois limitée, quand filmer une voix (le réalisateur cadre un moment sur l’enregistreur que le personnage tient en main) n’offre aucun envoûtement, comme un parti pris trop gratuit. On émet l’hypothèse que la traduction arabe met en exergue un texte non dénué d’actualité dans certains pays où l’homosexualité est toujours condamnée. Le film ne refuse pas toute politisation. Le dispositif est également une façon de mettre en valeur la parole en tant que telle, autant le discours inquisiteur de l’avocat fonctionnant comme une démonstration, que le propos de défense de Wilde, aussi construit qu’un essai littéraire.
Valse avec Wilde
Si certains choix de mise en scène, comme faire prononcer les mots de Wilde comme s’il était dans un demi-sommeil, sont plus intrigants qu’éclairants, la puissance du film réside pour beaucoup dans une esthétique pleine d’ombres, proche du dessin, rare. On regrette que le mystère ne soit pas plus appuyé, on voudrait ne jamais voir le visage de l’acteur de trop près ou éclairé, tant le jeu de pénombres et de cadres exigus provoque l’intérêt dans la beauté. On pense aux dessins de Valse avec Bachir sans pouvoir en rapprocher le propos. La luminosité nocturne, toujours ourlée d’un bleu sombre, fait de bien des plans des vignettes, de la bande dessinée, accentue également la sensualité du personnage, principal lien entre la forme du film et le fond.
Christian Merlhiot brise la temporalité, brise le dialogue et la distinction des personnages, et propose une version et une vision étonnante d’une joute juridico-littéraire. Bien sûr, c’est déroutant, ça laisse parfois perplexe, mais Le procès d’Oscar Wilde est une incursion impressionnante et véritablement plaisante dans un cinéma qui interroge l’image, la langue, le propos, sans s’enfermer dans la contemplation.
Lucie PEDROLA
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