Articles

Méconnu, le rôle préventif d’un tribunal de commerce est pourtant essentiel en période de crise. Rencontre entre Didier Chenet, président du Synhorcat, et Christian de Baecque, président du tribunal de commerce de Paris.

Didier Chenet : Le tribunal de commerce, c’est qui, c’est quoi ?

Christian de Baecque : J’ai coutume de dire que c’est le partenaire institutionnel des entreprises. Il a trois activités, de mairie, de tribunal et d’hôpital. Le tribunal du commerce est d’abord un lieu de passage obligatoire pour toutes les entreprises puisque c’est là qu’on enregistre son existence. C’est le tribunal, par l’intermédiaire du greffe, qui établit l’état civil des entreprises. Deuxième mission, l’activité de tribunal. On a tendance à penser que c’est le lieu où l’on condamne. Dans le cadre du tribunal du commerce, nous ne sommes saisis que parce qu’il y a quelqu’un qui demande à ce que quelqu’un d’autre soit condamné. C’est le lieu où les entreprises viennent résoudre leurs litiges.

D. C. : Vous êtes le médiateur entre les deux…

C. de B. : Ce n’est pas tout à fait le terme, parce que nous n’essayons pas d’obtenir un accord entre les parties. Nous venons trancher un litige. Nous permettons aux gens qui n’ont pas trouvé de compromis par eux-mêmes d’obtenir justice. La quasi-totalité des litiges portent sur des sommes d’argent. La troisième activité, je la qualifie d’hôpital. C’est un terme qui peut paraître un peu violent, mais je le prends volontairement puisqu’il s’agit de traiter les difficultés des entreprises.

D. C. : On va chez le médecin comme à l’hôpital pour être soigné !

C. de B. : Si on tarde à aller voir un docteur, si on attend le dernier moment, on a peu de chance de s’en sortir ! Nous proposons un service de prévention. Nous recevons les chefs d’entreprise qui le souhaitent -malheureusement ils ne font pas encore assez – et nous essayons d’établir avec eux une sorte d’état des lieux. Cette prévention est surtout axée sur les très petites entreprises. Les dirigeants d’entreprises plus importantes ne sont jamais tout à fait seuls. Ils ont des conseils extérieurs, un état major…

D. C. : Cette notion de prévention est méconnue. Et puis, aller au tribunal fait toujours un peu peur.

C. de B. : Dans ce cas là, il ne faut pas craindre le tribunal. C’est un message à faire passer. Il faut rappeler que les interlocuteurs qu’ils auront sont eux-mêmes chefs d’entreprises, grands cadres ou ingénieurs. Ils comprennent les besoins des entreprises. Pour la plupart, ils ont eu dans leur vie professionnelle des hauts et des bas. À notre époque, il est quasiment impossible ne d’avoir qu’une succession de succès dans sa vie professionnelle. Ils sont donc en mesure de comprendre et leur but n’est pas de sanctionner l’entreprise. Leur objectif est d’aider le chef d’entreprise à passer ces difficultés. Et on est triste, car 90% des entreprises qui viennent nous voir aujourd’hui sont mortes. On se trouve dans un constat de pompes funèbres ou de médecin légiste. Ça ne fait pas plaisir au juge, qui n’a qu’un objectif, sauver l’entreprise. L’échec de l’autre est un échec pour tous.

D. C. : Comment devient-on juge ?

C. de B. : Les juges sont des hommes et des femmes issus du monde de l’entreprise et présentés par les fédérations professionnelles. Il faut avoir au moins 30 ans et avoir exercé pendant au moins cinq ans une activité de direction. En résumé, être noté sur un Kbis depuis cinq ans. En région parisienne, il existe une formation d’une soixantaine d’heures. Les notions juridiques à connaître ne sont pas très compliquées. Les litiges que nous tranchons reposent sur deux articles de droit. Je vais vous les simplifier : tout le monde effectue de bonne foi le contrat qu’il a signé ou qui n’est pas signé, mais qui est tacite. Et toute personne qui cause un préjudice à quelqu’un doit le réparer. Le droit s’arrête là. Après, ce sont des faits d’espèce. La fonction porte beaucoup sur l’expérience. D’ailleurs, un juge ne juge pas tout seul avant plusieurs années. Il est élu par les délégués consulaires. Il doit savoir écouter, avoir un esprit de synthèse et beaucoup plus de bon sens que de connaissances juridiques. Il faut aussi savoir que le système français est basé sur un système accusatoire. Celui qui fait une demande doit prouver ce qu’il demande. Le juge ici n’est pas un juge d’instruction, qui va faire une inquisition. Il n’est pas là pour faire une enquête. En fonction des éléments qui vont lui être donnés et expliqués par les parties, il prendra une décision. Ce sont des divorces commerciaux qu’il traite. La durée du mandat est de quatorze ans. Au bout, on ne peut pas être reconduit dans le même tribunal avant un an. C’est une charge bénévole. C’est une demi-journée de chef d’entreprise, plus 15 à 20 heures chez soi.

D. C. : Pour revenir à l’aspect préventif, la démarche est quand même complexe. Quand on va chez le médecin, on est obligé de tout lui dire, sinon il ne pourra pas nous guérir… Qu’est-ce qui garantit aux chefs d’entreprises la confidentialité ? Est-ce également un service payant ?

C. de B. : La prévention est totalement gratuite et le dirigeant est reçu de manière confidentielle. Le juge ne reçoit pas en tant que juge mais en tant que chef d’entreprise et il est seul. Personne d’autre n’assiste à l’entretien. La confidentialité est facile dans les grandes villes. Ailleurs, c’est plus complexe, bien sûr. Néanmoins, un juge peut recevoir dans un autre lieu.

D. C. : Il vous arrive aussi de convoquer un dirigeant.

C. de B. : À Paris, nous avons environ 3 000 convocations et 200 visites spontanées. Nous envoyons une convocation à partir des éléments que nous donne le greffe : dépôts de compte, pertes régulières et dans certains cas après des procédures d’alertes par le commissaire au compte ou d’inquiétude des salariés. La convocation a un caractère un peu difficile. On veut à la fois être un peu directif pour que la personne vienne nous voir mais nous ne voulons pas avoir un côté trop méchant car nous sommes dans la prévention.… Malheureusement, un tiers des personnes ne vient pas et c’est regrettable pour l’avenir de l’entreprise.

D. C. : À quel moment venir ?

C. de B. : Prenons un exemple. Il y a des grands travaux qui vont être faits dans votre rue et qui vont durer six mois. Vous aurez forcément une baisse de chiffre d’affaires, c’est à ce moment-là qu’il faut venir. En disant : “Est-ce que je ne pourrais pas renégocier les prêts que j’ai obtenus avec le banquier sous l’autorité du tribunal, parce que durant six mois je vais avoir obligatoirement des baisses de chiffres d’affaires ?” Il y a bien d’autres cas comme le ravalement de votre immeuble.

D. C. : Bon nombre de chefs d’entreprises ignorent complètement qu’on peut venir pour se faire aider vis-à-vis de son banquier…

C. de B. : Le tribunal ne va pas être celui qui propose, il va vous diriger vers telle ou telle personne. Il va vous dire : vous pouvez obtenir un échelonnement de la banque ou du propriétaire, en fonction des besoins de l’entreprise. Attention, il ne va pas trouver de remèdes à un chiffre d’affaires qui s’écroule par ce qu’il n’y a plus la clientèle. Dans tous les cas de figure, il faut venir le plus en amont possible. Il est essentiel d’anticiper les difficultés. Le rôle du tribunal est de lui dire voilà ce qui peut être fait… On n’est pas un conseil, mais un miroir. On dit à l’entreprise : “Regardez-vous et voilà ce que vous devez voir.” On lui donne des pistes, c’est une aide au diagnostic et des introductions. C’est ensuite au chef d’entreprise de choisir.
Propos recueillis par Sylvie Soubes

Le 20/02/2009 à 11:35 | © AFP

Un jugement du tribunal de commerce de Paris ayant mis en liquidation judiciaire plusieurs sociétés d’un chef d’entreprises a été rétracté par la même instance quinze ans après, a-t-on appris de sources concordantes vendredi.

Le chef d’entreprise, Pierre Mouselli, 56 ans, demande à la justice, selon son avocat, Michaël Zibi, de le “rétablir dans ses droits”.

M. Mouselli est en lutte depuis plusieurs années contre la liquidation judiciaire de ses entreprises prononcée par le tribunal de commerce en juin 1993.

Il dirigeait alors trois sociétés de fourrure et était propriétaire d’une griffe réputée, Pierrot-le-Loup.

Le 12 janvier dernier, M. Mouselli a obtenu satisfaction auprès du tribunal de commerce à qui il demandait la révision du jugement de 1993.

Dans ses attendus, que l’AFP a consultés, le tribunal met en cause un juge du tribunal de commerce de l’époque qui a été en quelque sorte juge et partie dans cette affaire “en se nommant” par exemple juge-commissaire des trois sociétés de M. Mouselli.

Il dénonce des “manoeuvres particulièrement graves de ce juge” contre lui et relève “l’augmentation artificielle de l’état du passif” des trois sociétés tandis que l’actif a été “fortement minimisé” afin de “constater un état de cessation des paiements puis de transformer un redressement possible en liquidation judiciaire dans des conditions parfaitement anormales”.

Le tribunal, fait rare selon des spécialistes, dénonce les “circonstances inhabituelles” de la liquidation qui “caractérisent à l’évidence une grave fraude au sens” de l’article du Code de procédure pénale relatif à ces infractions.

Fort de cette décision, M. Mouselli veut “être rétabli” et a saisi la justice.

Selon une source proche du dossier, un juge a été saisi et “étudie cette demande”.

Cette source fait valoir que la brigade financière a déjà enquêté sur M. Mouselli, suite à une plainte de celui-ci pour “malversations”.

Selon le rapport de synthèse de la police datant de 2008, consulté par l’AFP, ces malversations n’ont pas été mises en évidence par la financière.