Drame de la résidence Saint-Michel à Arras
| COUR D’ASSISES DU PAS-DE-CALAIS |
Il y a plusieurs types d’accusés. Il y a les muets, qui ne lâchent rien ; il y a les bavards, qui donnent force détails ; il y a les violents, dont on devine vite le profil. Les contrits, qui pleurent et regrettent. Et il y a les gens qu’on a du mal à cerner. Soufyane Mammou, accusé d’avoir poignardé Maxime Bouvet, 22 ans, en mai 2008 à la résidence Saint-Michel, fait partie de ces derniers. Hier, pour la première journée de son procès, il a paru distant à la douleur, pour mieux se défendre.
Il a pourtant tellement souffert de son geste. Durant sa garde à vue au commissariat, il n’a pas feint l’anéantissement quand il a appris le décès de Maxime Bouvet. Les regrets qu’il a exprimés à la maman de Maxime n’étaient pas fabriqués. Mais, sans doute pour se protéger, Soufyane Mammou a fait preuve d’une grande maîtrise, hier, devant les jurés de la cour d’assises de Saint-Omer, qui doivent le juger pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Tellement de maîtrise qu’il s’est permis, chose rare, de poser des questions, de rectifier, de demander à ce qu’on remontre des photos des lieux au jury.
Vexations
Lors de cette longue et pénible journée d’hier, qui a vu les deux familles verser des larmes naturelles, on a pu entendre le récit des faits du 10 mai 2008. Une grande tension régnait entre Maxime et Soufyane, pour des motifs futiles, quand on voit les conséquences. Rien qui n’explique ou n’excuse le coup de couteau. D’ailleurs, l’accusé l’a reconnu : « Je ne demande pas pardon car on ne peut pardonner ce que j’ai fait. C’est un gâchis. J’ai brisé deux familles ».
À l’origine, il y a une série de vexations entre Maxime le « grand » et Soufyane le « petit ». Dans les quartiers, le « petit » doit le respect au grand. Or, lors d’une soirée, peu avant les faits, le petit a mis une gifle au grand, pour une histoire de cigarette. Le 7 mai, pour l’anniversaire de Soufyane, tous les amis s’étaient rassemblés pour un barbecue sur le parking de Champion. Là, Maxime et Soufyane s’étaient « un peu pris le chou », dira un ami, à cause d’une bagarre entre deux jeunes du quartier. Dans les jours qui ont suivi, les noms d’oiseaux ont continué de fuser.
Versions différentes
Le matin du 10 mai, Soufyane prend un coup de boule par Maxime, qui a mal vécu la gifle. Ensuite, c’est une bagarre ultraviolente qui se déroule derrière la station Total. Une automobiliste témoin a parlé hier d’un jeune blond (Maxime) qui avait l’allure d’un « boxeur. Il frappait si fort, j’ai cru qu’il allait le démolir ! J’ai demandé qu’ils arrêtent, le grand m’a dit que ça allait être mon tour si je restais ». Et Soufyane, la tête au carré, « un peu humilié », a-t-il fini par concéder hier, est monté chez lui se débarbouiller après avoir pris une raclée. Et s’est muni d’un couteau… ce qu’il n’a pas vraiment expliqué hier. Ses parents lui ont pourtant enseigné les vertus du travail, du respect. Ses frères sont là pour lui. Soufyane a dit qu’il pensait juste à se défendre. Mais Maxime n’était pas armé. Les faits sont allés vite, ont confié les témoins du drame. Selon les deux frères de Soufyane, Maxime était énervé et après s’être libéré de l’emprise de l’aîné, aurait fondu sur Soufyane. Mais deux autres témoins, amis de Maxime, ont soutenu que c’était Soufyane qui s’était avancé vers la victime, après lui avoir pris le bras en lui disant « c’est pas fini ». Les souvenirs ont-ils tous résisté de la même façon au temps ? Les jurés devront se forger leur opinion.
vendredi 25.09.2009, 04:49 – La Voix du Nord
vendredi 25.09.2009, 04:49 – À LA COUR D’ASSISES DE SAINT-OMER PAR SAMUEL COGEZ
La douleur d’une mère
– Rien n’apaisera la douleur de Murielle, la maman de Maxime. Elle l’a confié hier : « Ma vie est brisée, celle de mes filles aussi.
C’est pour elles que je reste debout. C’est affreux de vivre ce qu’on vit depuis. Soufyane, lui va pouvoir continuer sa vie, vivre ses projets. Moi, je n’ai plus de fils. J’essaie de survivre, difficilement. Il ne méritait pas de finir comme ça. Rien n’excuse le geste de Soufyane. J’attends juste que justice soit faite, même si ça ne change rien. Qu’il parte un an ou dix ans en prison, Maxime ne reviendra pas. Si il y avait un motif, mais là, pour des broutilles, des bagarres… On ne règle pas ses comptes comme ça. Maxime était très protecteur, c’était un battant ».
– Tandis que sa mère pleurait, Soufyane a lâché quelques mots : « Il n’y a pas de mots. Maxime ne méritait pas ça. C’était quelqu’un de bien ».
Une lecture de l’autopsietrop pointue…
Le médecin légiste, certes très professionnel, n’a épargné aucun détail de l’autopsie de Maxime Bouvet. Ses proches et ses petites soeurs en particulier s’en seraient bien passés. On aura simplement appris que Maxime n’a pas eu de chance. Il est mort d’une hémorragie abdominale. « C’est une malchance, ça aurait pu être une plaie intestinale sans trop de gravité. Même un centimètre plus bas, ça aurait tout changé, le couteau ne touchait pas l’artère ».
L’ASEJ épinglée
L’enquête de personnalité a permis de dresser le profil de maxime Bouvet. Un jeune parfois impulsif et caractériel, parfois violent, aussi. Mais également serviable, protecteur, volontaire, ayant le sens de la famille. L’enquêtrice de personnalité qui a rédigé le rapport n’a pu être entendue. Elle n’était pas là et a été remplacée par une collègue. « Si ça continue, on se passera de l’ASEJ », a déclaré le président, agacé de ne pouvoir aller plus loin.
Cour d’assises du Pas-de-Calais : six ans ferme requis contre l’auteur d’un coup de couteau mortel
vendredi 25.09.2009, 18:03 – La Voix du Nord
| Artois |
Ce vendredi soir, Soufyane Mammou, jeune Arrageois de 20 ans, attend la peine qui sera prononcée son encontre.
L’avocat général de la cour d’assises du Pas-de-Calais a requis six années de prison ferme pour l’auteur de ce coup de couteau mortel, survenu le 10 mai 2008.
Un coup fatal au jeune Maxime Bouvet, 22 ans à l’époque, qui s’était brouillé avec celui qui était autrefois un copain.Le verdict doit tomber dans les heures qui viennent.
Plus de détails dans votre édition d’Arras, demain samedi, et sur Internet dans les heures à venir.
S. C.
Drame du quartier Saint-Michel : cinq ans de prison qui n’effaceront jamais la douleur de deux familles
samedi 26.09.2009, 04:51 – La Voix du Nord
| COUR D’ASSISES DU PAS-DE-CALAIS |
La famille de Maxime Bouvet voulait des réponses. Elle n’a pas été satisfaite. Elle a entendu des regrets sincères, mais des explications assez floues sur l’origine du coup. La journée d’hier a permis de dresser le portrait de deux jeunes respectés à Saint-Michel, quartier où tout le monde essaie de s’en sortir, mais où aucun ne veut perdre la face.
Cinq ans de prison, dont deux à effet immédiat. C’est le verdict rendu hier par les jurés de la cour d’assises à Saint-Omer. Un verdict qui ne satisfait personne. Ni les proches de Soufyane, qui voient ses efforts de réinsertion malmenés et ont perdu un ami encore moins la famille de Maxime, qui ne pourra plus jamais profiter du bonheur de le voir, de lui parler, de partager ses projets, comme celui du stade de football, en bonne voie.
Hier, dans un premier temps, les personnalités des deux jeunes ont été dépeintes. Soufyane, scolarité chaotique, pas féru d’études, « dissipé, désinvolte », qui dispose pourtant de réelles capacités et d’une intelligence au-dessus de la moyenne. Un jeune serviable, calme, qui ne trouvait pas de sens à sa scolarité et s’est fait exclure de Gambetta après des tags injurieux contre son proviseur. Ses proches et amis ont défilé à la barre pour parler d’un jeune qui ne s’était jamais battu. Ses copines diront qu’il était une « amusette », loin du caïd, manquant de confiance en lui. Confirmation du psychologue, qui a évoqué une personnalité « fragile », un « ego » important.
Maxime, proche de sa famille
Maxime était un jeune très attentif à sa famille, depuis des événements douloureux qui ont marqué son passé. Serviable, investi dans le quartier, hyperactif, il voulait s’en sortir. Tableau un peu trop idyllique battu en brèche par le président de la cour d’assises. « Ce ne sont pas que des jeunes sympas. Arrêtez de nous raconter un conte de fée », a-t-il lancé à l’éducateur du quartier, Frédéric Blondel, qui couve tant ces jeunes.
Car la réalité du quartier, c’est aussi les stups, quelques bagarres, des ego froissés, des susceptibilités, des vies difficiles et très publiques, de par la configuration du quartier, tourné sur lui-même. Alors il ne faut pas perdre la face quand on vit « les uns sur les autres ».
Même si on ne dégaine pas la batte ou la barre de fer quand ça dégénère, dira l’éducateur, encore abasourdi.
L’avocat de la mère et des soeurs de Maxime a salué leur courage et a dû trouver les mots pour exprimer leur douleur. « C’était un bon gars qui ne méritait pas ça. Il se donnait les moyens pour s’en sortir. Il aimait la vie, s’amuser, faire du sport, il était plus qu’un fils. Quelle que soit la décision, cela ne ramènera pas Maxime. Les regrets de M. Mammou ne sont pas suffisants. Je ne crois pas qu’il ait agi par peur ».
« C’est un quartier entier qui a été bouleversé, a requis Alexandra Mattioli, l’avocate générale, inspirée. Tout ça ne correspondait ni à la victime, ni à l’auteur. C’est un acte incompréhensible. Ce ne sont pas des petites frappes. Et Maxime n’était pas un grand délinquant. Mais je ne crois pas que Soufyane ait agi par peur. Il lui a donné une gifle avant, il lui a répondu, tenu tête, l’a suivi derrière la station essence. Et ses frères étaient là quand il a frappé. Il aurait pu agir autrement. Appeler la police, un copain, réfléchir. Maxime et Soufyane ont été rattrapés par le fonctionnement de cette cité, avec cette notion de respect. Il a pris le couteau pour ne pas perdre la face ».
« Une vie perdue, une vie qui se joue, a résumé Didier Robiquet, avocat de Soufyane Mammou. Face à un gâchis, il ne faut pas ordonner le saccage de la vie de Soufyane. Il a agi sous la loi de la cité. Ce n’est pas Chicago, mais Saint-Michel. Là-bas, appeler la police après s’être fait casser la figure, ça ne se fait pas. Soufyane a été frappé, roué de coups dix minutes avant le drame. Il était battu, blessé, victime de violences graves. Il a eu peur, aussi. C’est ce mélange de peur, de frustration, de colère et d’humiliation qui lui ont fait prendre ce couteau. S’il n’avait pas rencontré Maxime tout de suite, rien ne serait arrivé. Il a cru qu’il allait être à nouveau agressé. C’est sa vérité. Ce devait être un coup qui fait peur, c’est devenu un coup mortel. Soufyane a beaucoup changé depuis. Il est devenu un adulte ». Et de réclamer la clémence pour éviter à son client l’univers carcéral, « école de la récidive ». Le jury a condamné Soufyane Mammou à cinq ans de prison, dont deux en peine immédiate. Les deux parties ont jusqu’au 5 octobre pour faire appel. •
SAMUEL COGEZ
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