Enquête
LE MONDE | 19.06.09 | 15h19  •  Mis à jour le 19.06.09 | 19h44

ls sont arrivés sagement dans le prétoire avec leurs ordinateurs portables. Ils se sont assis sur les bancs de la presse, durs comme des stalles d’église, à côté de leurs confrères qui sortaient cahiers et stylos. Et ils ont commencé à envoyer par Internet tout ce qui se disait à l’audience. “Mardi 9 juin. Première journée du procès de Véronique Courjault devant la cour d’assises de Tours. 14 h 34. La cour prend place. Le président, Georges Domergue, fait sortir les caméras avant que l’accusée rentre dans le box. 14 h 35. Véronique Courjault arrive et sourit à son mari.” Les phrases s’affichaient aussitôt sur le site de La Nouvelle République. Le procès était vécu en direct par les internautes, minute par minute.
L'ouverture du procès de Véronique Courjault à Tours, le 9 juin 2009.

REUTERS/STEPHANE MAHE

L’ouverture du procès de Véronique Courjault à Tours, le 9 juin 2009.

Les deux journalistes se nomment Jean-Christophe Solon et Chantal Pétillat. Ils appartiennent la rédaction multimédia de La Nouvelle République. Deux autres journalistes de la rédaction “papier” ont couvert l’audience. L’idée leur est venue lors du procès de trois Tourangeaux anti-OGM jugés devant le tribunal correctionnel de Strasbourg. Le quotidien Les Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA) avaient alors fait un “live” du procès sur son site Internet. “Les DNA nous ont indiqué Covertlive, un logiciel pour l’instant gratuit, explique Chantal Pétillat. Les seules expériences qu’on avait jusqu’à présent étaient les matches de football que couvre la rédaction de Tours en live. Dans le cas du procès Courjault, c’était le plongeon dans l’inconnu. Nous avons proposé une couverture en direct parce que notre rôle est de faire de l’expérimentation dans un esprit de complémentarité entre le papier et Internet.”

Un journaliste de radio présent à Tours a alerté de cette initiative peu orthodoxe le ministère de la justice à Paris. Lequel a demandé à son service juridique d’étudier le cas. Le verdict est tombé : le code de procédure pénale ne l’interdit pas. Donc, c’est permis. CQFD. “Nous sommes dans le cadre d’une prise de notes avec transmission par Internet, explique Guillaume Didier, porte-parole du ministère. Ce n’est pas très éloigné de ce que ferait un journaliste de France Info qui quitterait l’audience tous les quarts d’heure pour faire un direct. En outre, les audiences sont publiques. Ce qui est interdit, ce sont les micros, les appareils photo et les caméras.”

Les journalistes chroniqueurs judiciaires de la presse écrite sont moins indulgents que la chancellerie sur ce suivi en direct. Il est vrai que, jusqu’à présent, les prétoires étaient un peu leur chasse gardée, l’audiovisuel étant banni de l’audience. Mais leurs objections soulèvent des questions de fond. Stéphane Durand-Souffland, président de l’Association de la presse judiciaire et journaliste au Figaro, pointe l’absence de recul et d’analyse. “Dans le compte rendu en live, il manque forcément les soupirs, les silences, les cris, les sanglots qui constituent la richesse des chroniques judiciaires, dit-il. Seule la chronique “classique” permet de trier entre le capital, l’intéressant et l’accessoire, les vrais rebondissements et les faux coups de théâtre.”

Pascale Robert-Diard, chroniqueuse judiciaire au Monde, met en garde contre un récit trop linéaire de l’audience, qui pourrait livrer une vision faussée des débats. “L’oralité des débats en cour d’assises donne aux mots un pouvoir absolu, note-t-elle. Mais très souvent ce pouvoir, qui va emporter l’intime conviction, vient de la confrontation entre plusieurs récits. L’intérêt du compte rendu de presse classique est de faire ressortir ces confrontations, ces contradictions s’il y en a et pas de livrer un récit strictement chronologique.”

Pour sa part, Julien Bénéteau, journaliste au Républicain lorrain, craint que ce système, s’il devait se généraliser, n’ait une influence sur le comportement des acteurs du procès. “Les avocats sont déjà très friands de contacts avec la presse, constate-t-il. Lorsqu’ils vont savoir que les débats sont retransmis en direct, ils vont vouloir en profiter pour se faire de la publicité. Il y a aussi le risque que les magistrats soient tétanisés. Dans un procès, l’avocat général doit parfois secouer verbalement l’accusé pour faire éclater la vérité judiciaire. Retransmis bruts de décoffrage, ses propos pourront le faire paraître méchant. Or, un parquetier est tellement soumis à sa hiérarchie qu’il peut être tenté de se montrer prudent.”

Les deux journalistes Web de La Nouvelle République mettent en avant les précautions qu’ils prennent, en particulier pour ne pas relater les détails les plus scabreux du procès. Dès qu’on tape une phrase, elle est en ligne. On n’est pas dans l’analyse, c’est du brut, mais on filtre tout de même comme on le ferait sur le papier, souligne Jean-Christophe Solon. Par exemple, lorsque c’est trop intime, que ça touche les enfants, ou que l’on décrit l’hystérectomie subie par Véronique Courjault, parce que ça n’apporte rien au débat. On met seulement les temps forts.”

Curieusement, certains magistrats sont plus indulgents que les journalistes sur cette nouvelle manière de couvrir les procès d’assises. C’est le cas de Laurent Le Mesle, procureur général de Paris. “La justice est rendue au nom du peuple français, devant le peuple français, insiste-t-il. C’est pourquoi les audiences sont publiques. La justice est beaucoup mieux rendue en France qu’on ne le dit souvent et je pense que cette initiative peut aider les Français à s’en rendre compte. En outre, je suis persuadé que ceux qui auront suivi le récit en direct sur Internet auront envie de lire la chronique judiciaire classique dans le journal.”

L’initiative a valu un certain succès d’audience au site de La NR. Le premier jour, 800 personnes suivaient en ligne, le lendemain 1 600 personnes et lundi 15 juin 3 000 personnes. Les deux journalistes comptent maintenant couvrir de la sorte des séances de conseils municipaux.

Patricia Jolly et Xavier Ternisien
Article paru dans l’édition du 20.06.09
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La justice comme le football…

Rédigé par Jack D Le 22 – juin – 2009AJOUTER COMMENTAIRES

Le procès Courjault a été l’occasion pour les journalistes multimédia de la «Nouvelle République» de faire, comme pour les rencontres de football, de la retransmission «live» des audiences sur le site de leur journal.

Munis d’ordinateurs portables connectés à Internet, avec l’aide du logiciel «COVERITLIVE», ils ont fait vivre, minute par minute, aux internautes les débats de cette affaire de bébés congelés à Séoul (Corée du Sud) qui posait, notamment, la question du déni de grossesse.

Extrait Procès Courjault (5° journée) :

10h39
Le président demande à Véronique Courjault de réagir aux questions des experts.
« C’est difficile, je ne suis pas psychologue» , se contente-t-elle de répondre.
10h41
Me Didier Leick, représentant l’association « L’enfant bleu – enfance maltraitée» , qui s’est constituée partie civile, interroge les experts.
10h42
Fulbert Jadech explique que le congélateur est souvent un mode utilisé, puis on ne change pas les corps de place, car on diffère, on diffère…

Cette «première» dans une Cour d’assises, comme toute nouveauté, a suscité des inquiétudes, des interrogations : c’est ainsi qu’un autre journaliste a alerté le ministère de la justice sur cette initiative.

Le ministère, après consultation de son service juridique, a fait savoir par la voie de son porte-parole que rien ne s’y opposait, que cette démarche s’inscrivait «dans le cadre d’une prise de notes avec transmission par Internet» en ajoutant «que les audiences sont publiques, ce qui est interdit, ce sont les micros, les appareils photos et les caméras».

Dans ce rapport entre Internet et justice, la Cour Européenne des Droits de l’Homme va encore beaucoup plus loin, puisqu’il y a un peu plus de deux ans, elle a autorisé l’introduction des caméras afin de retransmettre ses audiences publiques sur Internet pour permettre à chacun d’assister aux débats depuis son domicile ou son bureau.

La solution «Covert It Live» s’avère donc une voie médiane entre la décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme et le principe, posé par l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de l’interdiction «dés l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires» françaises, de l’emploi «de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image».

Sur ce suivi en direct, si certains magistrats pensent que cette nouvelle manière de rendre compte des débats judiciaires va aider les français à mieux appréhender la qualité de la justice rendue en leur nom, au sein des chroniqueurs judiciaires, deux camps semblent se faire jour.

Les plutôt «contre» qui font valoir l’absence de recul et d’analyse, l’influence sur le comportement des acteurs – notamment des avocats qui feront des effets pour se faire de la publicité – et les plutôt «pour» qui pratiquent et affirment prendre des précautions notamment pour ne pas relater des détails scabreux ou qui n’apportent rien à la compréhension de l’affaire.

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