LE MONDE

Tokyo Correspondant

Pour la première fois au Japon depuis 1943, se déroule un procès en présence d’un jury populaire. Lundi 3 août, au tribunal de Tokyo, cinq femmes et un homme ont été choisis parmi 73 personnes convoquées pour participer, aux côtés de trois magistrats professionnels, au procès de Katsuyoshi Fujii, accusé de meurtre. A neuf, ils devront se prononcer à la majorité sur la culpabilité de M. Fujii et sur la sentence à appliquer.

Le procès concrétise les efforts consentis pour réintroduire les jurys, que l’Archipel a connus entre 1928 et 1943. Au début des années 2000, et devant l’insistance de la Fédération des barreaux japonais, le gouvernement a choisi de le remettre en place, pour “renforcer la démocratie” en permettant “au citoyen de se percevoir comme un sujet non plus gouverné mais qui gouverne”. La présence de jurés doit également améliorer et humaniser le fonctionnement d’une justice souvent perçue comme distante et complexe. Les procédures, qui duraient souvent trois à quatre ans, ne devraient plus dépasser quelques jours. Elles se déroulaient au fil d’échanges, la plupart du temps écrits, au contenu souvent abscons pour le justiciable. Les débats progresseront désormais à l’oral. Entré en vigueur le 21 mai, le système est à l’essai pour trois ans.

RÉTICENCES

Ces bonnes intentions se heurtent pourtant à des oppositions tenaces. Certains magistrats et avocats redoutent la présence de non-professionnels, soupçonnés de céder trop facilement à leurs émotions. Les Japonais eux-mêmes, généralement peu enclins à donner leur avis, restent réticents à l’idée de juger un accusé. La majorité d’entre eux continuent de refuser de participer à un jury, ou souhaitent ne pas être choisis.

Le 17 juin, la Conférence des évêques catholiques du Japon a recommandé aux 7 600 religieux de l’Archipel de s’abstenir de participer aux jurys, quitte à payer l’amende – 100 000 yens (740 euros) maximum – prévue en cas de refus. Pour se justifier, les évêques ont invoqué le code de la loi canonique, qui interdit aux religieux toute participation à des “fonctions qui impliquent l’exercice du pouvoir civil”, administratif, législatif ou judiciaire. L’épiscopat a évoqué la notion de pardon, qui sous-tend la pensée chrétienne, et le fait que seul Dieu sait si une personne a péché. Cette prise de position n’est pas propre au clergé japonais. En Allemagne et en Italie, les religieux sont exemptés de participation aux jurys.

De son côté, le bureau du procureur de la préfecture de Saitama, au nord de Tokyo, envisageait à la mi-juillet de demander que le procès de Kazuya Ito, membre éminent d’un gang proche de la puissante organisation mafieuse Yamaguchi Gumi, se déroule en l’absence de jury. Il redoute que les jurés, citoyens ordinaires, ne fassent l’objet de pressions ou de menaces.

Lundi, pendant que le premier jury était constitué au tribunal de Tokyo sous intense couverture médiatique, une manifestation était organisée à proximité. Pour les participants, obliger des gens à devenir jurés constitue une violation du droit, garanti par la Constitution, à la liberté de pensée et de conscience. Ces débats n’empêchent pas la justice de suivre son cours. Le 27 juillet, 305 affaires ont fait l’objet d’un procès en présence d’un jury.

Philippe Mesmer

Article paru dans l’édition du 05.08.09.

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