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Antécédents – La guerre avec les magistrats remonte à son passage au ministère de l’Intérieur (ici en 2003).
Par Gilles Gaetner, publié le 27/05/2009 16:16 – mis à jour le 28/05/2009 09:51
Dès son arrivée à l’Elysée, Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de vouloir réformer la justice. Quitte à s’attaquer de front aux magistrats et à prendre de vitesse Rachida Dati.
Sans crier gare, il annonce la mort du juge d’instruction. Sans prendre de gants, il compare les magistrats à des “petits pois”. Mine de rien, il ne se gêne pas non plus pour remettre en question une décision du Conseil constitutionnel. Que ses initiatives irritent les 8300 magistrats du pays, Nicolas Sarkozy s’en moque: lui, l’ancien avocat, n’est pas là pour leur plaire, mais pour que la justice fonctionne mieux, qu’elle soit moins laxiste, plus responsable et qu’elle prenne en considération le sort des victimes.
Ce dernier aspect confine pour lui à l’obsession. Surtout depuis ce jour de juin 2005 où Nelly Crémel, l’épouse d’un officier de la DGSE, a été tuée par deux hommes alors qu’elle effectuait son jogging dans une forêt de Seine-et-Marne. Quand il apprend que l’un des tueurs est en liberté conditionnelle, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, interpelle son collègue garde des Sceaux, Pascal Clément: “Que va-t-il advenir du magistrat qui a osé remettre un monstre pareil en liberté?”
Cette question pose le problème récurrent de la responsabilité des magistrats. Seulement voilà: Sarkozy ignore -ou feint d’ignorer- que la décision de remise en liberté, prise collégialement en 2003, est juridictionnelle et, à ce titre, peut difficilement déboucher sur une mise en cause des magistrats. Fort du soutien de l’opinion, c’est malgré tout à partir de ce drame que le candidat UMP à la présidentielle va bâtir la politique pénale destinée à être appliquée lorsqu’il entrera à l’Elysée. Ce fait divers marque aussi le début d’une guerre à couteaux tirés entre l’exécutif et les magistrats.
REUTERS/Ali Jarekji
Imprévisible, telle semble être la stratégie de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des juges. Rachida Dati elle-même va de surprise en surprise.
En septembre 2006, Nicolas Sarkozy récidive en critiquant le président du tribunal pour enfants de Bobigny et ses “juges laxistes”. Le conflit redouble d’intensité en mai 2007 avec l’arrivée de Rachida Dati Place Vendôme. Trop cassante avec les membres de son cabinet, trop sûre d’elle, même si elle manifeste une indéniable force de caractère lors de la réforme de la carte judiciaire, la ministre se coupe, à son tour, des magistrats, rétifs aux changements. A chaque crispation, Nicolas Sarkozy vient à son secours. Jusqu’à ce 28 octobre 2008, où, devant la colère des juges, il se substitue à elle. Fait unique dans les annales de la Ve République, il reçoit en personne la principale organisation professionnelle, l’Union syndicale des magistrats (USM). Suprême humiliation: la ministre doit patienter une demi-heure avant d’assister à l’entretien!
Un magistrat frondeur à l’UMP
Jean-Paul Garraud, député UMP de la Gironde et seul magistrat de l’Assemblée nationale, aime dire ce qu’il pense. Quitte à aller à contre-courant des desiderata de Nicolas Sarkozy. Il l’a prouvé début janvier, en s’opposant à la suppression du juge d’instruction et au rôle clef qui serait ainsi dévolu au parquet en matière d’enquête, comme le suggérait le président. L’élu girondin, qui se défend de rechercher l’épreuve de force avec l’Elysée, a même réussi à convaincre 97 députés de son camp de signer une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la réforme de l’instruction des affaires pénales.
A ses yeux, le principal problème de la procédure française n’est pas le juge d’instruction, mais le juge des libertés et de la détention (JLD), suspecté de dégainer le mandat de dépôt un peu trop facilement. Cette argumentation ayant porté ses fruits auprès de ses collègues, le président du groupe UMP, Jean-François Copé, s’est dit qu’une fronde pointait peut-être à l’horizon. Astucieusement, il a donc demandé à Garraud, en liaison avec son collègue de l’Ain, Etienne Blanc, de réfléchir à la réforme en organisant sur Internet une consultation de l’opinion et en recueillant le point de vue de magistrats et de parlementaires, y compris ceux de l’opposition, comme André Vallini (PS), ex-président de la commission sur l'”affaire Outreau”.
L’avocat qui n’aime pas les juges
Quelques semaines plus tard, voici que le président s’en prend au Conseil constitutionnel: d’après lui, ce dernier a eu tort, le 21 février, de refuser la rétroactivité de la loi sur la rétention de sûreté. Dès lors, le président se trouve devant une double difficulté: comment rassurer une opinion inquiète de voir des personnes potentiellement dangereuses recouvrer la liberté? Comment contourner la “décision de la cour suprême” du système français? Il demande au premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda, de lui trouver une solution miracle. Ainsi, la Cour de cassation, censée dire le droit et rien que le droit, se transforme en conseil de l’exécutif! Joli tour de passe-passe…
Imprévisible, telle semble être la stratégie de Nicolas Sarkozy vis-à-vis des juges. Rachida Dati elle-même va de surprise en surprise. Elle installe, en octobre 2008, le comité Léger, chargé de réfléchir à un nouveau code de procédure pénale, mais s’invitant dans un débat où personne ne l’attend, dès le 7 janvier, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation, le président annonce tout de go la suppression du juge d’instruction et son remplacement par un “juge de l’instruction”. Cette révolution annoncée prend de court l’institution. A commencer par la garde des Sceaux, qui n’a pas été prévenue des intentions du chef de l’Etat, dont seuls deux ou trois proches étaient dans la confidence, notamment son conseiller “justice”, Patrick Ouart, authentique vice-garde des sceaux…
Comment expliquer ce coup d’éclat présidentiel? D’abord, chacun sait que l’ancien avocat n’aime guère les juges d’instruction, trop inquisiteurs à ses yeux, surtout dans les dossiers politico-financiers. Ainsi, Nicolas Sarkozy ne s’est jamais privé de dire haut et fort qu’il n’apprécie pas le juge parisien Renaud Van Ruymbeke. Seul Philippe Courroye -aujourd’hui procureur à Nanterre- trouve grâce à ses yeux. La sortie du 7 janvier contre les juges d’instruction s’explique aussi par l’affaire Filippis, du nom de l’ex-directeur de la publication de Libération arrêté manu militari, le 28 novembre 2008, à la demande d’une juge un peu trop zélée dans une affaire de diffamation. Cette arrestation a profondément heurté le président.
Déroutant Sarkozy! Tantôt il se comporte en Père Fouettard, soucieux de relayer une opinion souvent critique à l’égard des magistrats, tantôt il veut moderniser une institution recroquevillée sur elle-même. Avec un objectif immuable: que les citoyens retrouvent confiance en la justice. C’est sans doute pour cette raison qu’il envisage de remplacer Rachida Dati par un ministre plus politique, moins versatile, maîtrisant mieux ses dossiers. Depuis l’annonce de sa candidature aux élections européennes, la garde des Sceaux est absente. Elle qui a, deux ans durant, tant rudoyé les magistrats. Souvent avec la bénédiction de l’Elysée…
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