L’affaire Nadia Yassine débute le 2 juin 2005, à la suite d’un entretien accordé à l’hebdomadaire marocain “Al-Ousbouiya al-jadida”. Dans cette interview, elle exprime clairement ses positions concernant la monarchie et le système de gouvernance du Maroc.
Elle déclare préférer “la république à la monarchie”, cette dernière “ne [convenant] pas aux Marocains”, avant d’ajouter que “les jours de la monarchie sont comptés” dans le pays. Poursuivie pour “atteinte à la monarchie”, son procès débute le 28 juin 2005. À peine ouvert, il est immédiatement reporté. À son arrivée au tribunal, quelque 300 militants sont là pour lui manifester leur solidarité, de même que les télévisions du monde entier, venues couvrir l’événement.
Dans cette affaire, le plus embarrassant pour le trône marocain n’est pas tant la surmédiatisation du procès que l’attitude de Nadia Yassine qui n’hésite pas à apparaître en public, la bouche couverte d’un bâillon blanc marqué d’une croix rouge. Une façon de montrer que le droit à la liberté d’expression est bafoué dans le royaume…
Une erreur colossale ?
Le fait de poursuivre Nadia Yassine pour “atteinte à la monarchie” a été considéré par de nombreux experts comme une erreur colossale de la part des autorités marocaines. Le “makhzen” – terme populaire utilisé pour désigner le pouvoir royal et ses élites – aurait sous-estimé le charme contagieux de cette grand-mère de 52 ans, passée véritable experte dans l’art de communiquer avec les médias.
Il faut dire que Nadia Yassine a un beau pedigree. Son père, cheikh Abdessalam Yassine, aujourd’hui âgé de plus de 80 ans, est le fondateur du virulent mouvement antimonarchiste Justice et Bienfaisance (Al Adl Wal Ihsane). Grand spécialiste de l’islam, révéré bien qu’idéologiquement imprévisible, ce dernier a passé une bonne partie de sa vie en prison pour avoir critiqué le pouvoir royal marocain. Femme intelligente, bonne cliente pour la presse internationale, Nadia a su tirer parti de cet héritage de manière audacieuse.
“Ce procès est un don, un cadeau, à Al Adl Wal Ihsane, déclare Aboubakr Jamai, de la Fondation Nieman de journalisme de l’université d’Harvard. Nadia Yassine utilise de manière astucieuse les questions d’ouverture et de liberté d’expression, car elle met le palais dans une situation gênante : dans son cas, réprimer irait à l’encontre des valeurs adoptées par l’Occident.”
La communauté internationale suit de près ce procès. Compte tenu des polémiques déclenchées par l’affaire, la justice marocaine semble, elle, avoir fait le choix de l’inaction depuis quatre ans. Depuis la première audience du procès, en juin 2005, de nombreuses autres ont été repoussées. “Ils n’ont pas du tout envie de la juger, estimait Ali Amar, directeur du “Journal hebdomadaire”, l’année dernière. Ils préféreraient que rien ne soit jamais arrivé…”
Pardonner à Nadia Yassine semble par ailleurs peu probable pour l’instant, car il faudrait d’abord que celle-ci soit condamnée. Pour Jamai, “l’affaire devrait être débattue au tribunal. Or la seule déclaration de Nadia concernant la supériorité de la république sur la monarchie – une idée largement partagée dans la société actuelle -, cela donnerait matière à un débat intéressant. Mais il s’agit de la dernière chose souhaitée par la monarchie.”
Nadia Yassine risque entre trois et cinq ans de prison, ainsi qu’une amende de 10 000 à 100 000 dirhams (l’équivalent de 900 à près de 9000 euros).
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