Si le dispositifdes enquêtes spéciales dédiées aux affaires sensibles est retenu, plusieurs affaires pourraient être suivies par un juge de l’enquête et des libertés. Crédits photo : Le Figaro
Il s’appliquerait aux enquêtes mettant en cause des élus ou des institutions de l’État.
La réforme de la procédure pénale supprimant le juge d’instruction pourrait créer un cadre judiciaire particulier pour tous les dossiers sensibles. Ce dispositif, à ce jour inédit dans le droit français, n’est pour l’heure qu’une piste de travail. Mais plusieurs personnes en charge des modalités pratiques de la réforme y voient plusieurs avantages. Il s’agirait de traiter de façon spécifique les affaires qui mettent en cause des élus ou des institutions de l’État. Cet aménagement permettrait de garantir l’indépendance des investigations aux yeux de l’opinion et de lever toute suspicion de mainmise politique sur la justice.
Cette «idée» des enquêtes spéciales dédiées aux affaires sensibles a initialement été avancée par des magistrats mais elle doit à présent être discutée au sein des groupes de travail mis en place au ministère de la Justice.
Aujourd’hui, les affaires politico-judiciaires et les dossiers qui sont parfois désignés comme des «affaires d’État» suivent le circuit ordinaire des enquêtes : le dossier peut faire l’objet d’une enquête préliminaire, confiée à un magistrat du parquet, ou d’une information judiciaire, confiée à un juge d’instruction. La réforme de la procédure pénale prévoyant la suppression du juge d’instruction sous sa forme actuelle, il est prévu que toutes les enquêtes seront dirigées par le parquet et contrôlées par un juge de l’enquête et des libertés (JEL).
Demain, si le dispositif des enquêtes spéciales est retenu, plusieurs affaires pourraient donc être déviées de ce circuit pour être suivies par un JEL. Ce magistrat du siège exercerait, pour ces seules affaires, un pouvoir hier dévolu au juge d’instruction. Ces derniers mois, ce sont principalement l’enquête visant Julien Dray ou encore les dossiers concernant Jacques Chirac qui ont fait apparaître nécessaire cette alternative. Il semble ainsi nécessaire de donner des garanties à l’opinion publique, un récent sondage indiquant que 71 % des personnes interrogées étaient opposées à la suppression du juge d’instruction.
Au ministère de la Justice, où sont recherchées les meilleures options techniques pour mettre en musique la réforme programmée, on insiste cependant sur le fait qu’il s’agit uniquement d’une idée parmi d’autres. Officiellement, souligne le porte-parole de la Chancellerie, «elle n’a été ni évoquée ni retenue pour le moment». Michèle Alliot-Marie, au début du mois, avait elle-même souligné qu’elle ne souhaitait pas discuter sur un texte qui n’existe pas encore. «Le bavardage n’est pas méthode», avait, elle, lancé en référence aux pistes de travail déjà évoquées publiquement.
Dans les faits, cet aspect inédit de la réforme suscite déjà des interrogations : qu’est-ce qu’une affaire sensible ? À partir de quand un dossier doit-il bénéficier de telles garanties ? Certaines grandes affaires, comme Urba, n’avaient débuté que par un banal accident de chantier… Aujourd’hui, la seule classification officielle qui existe concerne les dossiers signalés : ce sont les affaires qui «remontent» jusqu’au ministère pour son information. Y figurent les dossiers de terrorisme, de corruption ou encore de criminalité organisée mais il peut s’agir également d’un scandale mettant en cause un élu local ou d’une affaire troublant l’ordre public mais où les investigations ne présentent pas un degré de complexité élevé. Certains experts insistent également sur la nécessité de préserver la spécialisation de magistrats concernant les affaires de santé ou encore de terrorisme. Les pôles de l’instruction pourraient ainsi survivre à la réforme. En tout état de cause, un dossier porteur du label «sensible» serait ensuite renvoyé au tribunal et traité comme n’importe quel autre.
C’est au ministère de la Justice, au cours des réunions à venir entre juristes et parlementaires, que la piste de ces enquêtes spéciales sera retenue ou rejetée. D’ici là, l’idée fera l’objet d’un débat à la fois technique et politique. La Chancellerie a déjà indiqué que le projet de loi définitif devrait être présenté au début de l’année prochaine.
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«Des dossiers qui empoisonnent la justice»
Ce sont «quelques dizaines d’affaires qui empoisonnent chaque année la vie judiciaire», expliquait en 2007 un haut magistrat, regrettant que ces dossiers «ne peuvent être traités dans des conditions psychologiquement satisfaisantes lorsque la carrière des magistrats décideurs est largement conditionnée par des choix du pouvoir exécutif». Deux professionnels réagissent aux projets actuels de réforme.
Marc Trévidic, juge d’instruction antiterroriste et président de l’Association française des magistrats instructeurs : «On se rend compte que, dans ce débat, tout est ouvert sauf la suppression annoncée du juge d’instruction et le statut du parquet, dont les magistrats demeurent hiérarchiquement dépendant de la Chancellerie. À nos yeux, il est indispensable que la direction d’enquête des affaires sensibles soit confiée à un magistrat du siège, comme c’est le cas aujourd’hui avec le juge d’instruction. Cela ne concerne pas toutes les affaires mais 4 % d’entre elles, celles qui précisément sont aujourd’hui confiées aux magistrats instructeurs. Il faut qu’elles le restent. L’éventualité de traiter à part les affaires sensibles se heurte à une difficulté : on ne peut pas faire le tri a priori. Il existe des dossiers classiques qui recèlent à terme tous les ingrédients des domaines sensibles mais cela n’éclate pas immédiatement… C’est la réalité quotidienne du travail des juges d’instruction. »
Jean-Yves Leborgne, avocat et ancien président de l’Association des avocats pénalistes : «Dans les dossiers sensibles, le problème qui apparaît aujourd’hui aux yeux de l’opinion est le fait que le parquet, par une inertie critiquable, ne renvoie pas au tribunal des affaires ou encore ne les poursuit pas. On peut imaginer que la réforme prévoie que le juge de l’enquête et des libertés (JEL) puisse avoir l’initiative de déclencher des poursuites puis, dans un deuxième temps, de donner l’injonction au parquet de renvoyer un dossier au tribunal. Cette hypothèse ne remettrait pas en cause l’architecture générale de la réforme. Mais je suis hostile à la possibilité de donner au juge de l’enquête et des libertés les pouvoirs que le juge d’instruction aurait perdus du fait de sa disparition. Quant à la possibilité de réserver ces aménagements aux seules affaires sensibles, cela me paraît répondre à une préoccupation bien légitime mais je ne vois pas pourquoi on ferait une exception pour elles seules. L’architecture de la réforme ne serait pas remise en cause si l’ensemble des enquêtes, désormais confiées au parquet, étaient soumises au juge de l’enquête et des libertés.» M. D.
Il est temps,
Car dans cette affaire d’Etat entre les mains de MAM (et maintenant du bâtonnier – finalement non -, du premier ministre, du président de l’assemblée nationale et des syndicats de magistrats), où justice presse et politique se mélangent et qui dure depuis 15 ans, tout le monde s’écrase, et la presse ne fait pas son travail !
En réponse à votre article (afp)
La Chancellerie a indiqué mercredi que la création d’un cadre d’enquête particulier pour les enquêtes dites “sensibles”, évoquée dans un article du Figaro, ne fait “pas partie des hypothèses de travail” de la réflexion en cours sur la réforme de la procédure pénale.
http://www.easydroit.fr/news.afp/2009-11-18_affaires-judiciaires-sensibles-pas-de-reflexion-sur-un-regime-particulier-chancellerie_7547/