Mardi 17 novembre ébute à l’Assemblée nationale le débat autour du projet de loi sur la récidive des criminels sexuels. Dans l’année qui vient, c’est plus globalement l’ensemble de la justice pénale qui devrait être réformée

Avocats des parties civiles du procès AZF, à Toulouse, le 3 mars dernier (Photo Cabanis/AFP).

http://www.la-croix.com/img/la-croix/commun/logo_lacroix_06.gifMichèle Alliot-Marie prévoit d’aboutir – en janvier prochain – à un projet de loi inspiré des préconisations du comité Léger. Comme elle l’a fait savoir ce week-end, la suppression du secret de l’instruction devrait y figurer. Et s’ajouter à la suppression du juge d’instruction et à la révision des droits de la défense.

Si les réformes se multiplient, les Français continuent, eux, d’être critiques vis-à-vis de l’institution judiciaire. En cause ? La lenteur des enquêtes, les conditions de détention provisoire, souvent indécentes, la complexité des textes et des procédures, etc.

La Croix a demandé à plusieurs personnalités leurs solutions pour réconcilier les Français avec leur justice. Dix idées pour rétablir la confiance

« Permettre un vrai débat citoyen sur le fonctionnement de la justice » : Simone Gaboriau, présidente de chambre à la Cour d’appel de Paris

« Nous apparaissons trop, pour l’opinion publique, comme une institution incapable de se remettre en question. Et, en effet, nous méconnaissons totalement les attentes de nos citoyens vis-à-vis de nous autres magistrats. Voilà pourquoi il faudrait mettre en place une conférence regroupant magistrats et justiciables, afin de permettre un vrai débat citoyen. Ce serait l’occasion de répondre aux critiques qui nous sont souvent adressées. Les tribunaux pourraient par ailleurs, comme cela se fait déjà à l’étranger, faire circuler des questionnaires permettant de sonder la population. Certains de mes collègues redoutent de telles initiatives, de peur que le public n’en profite pour contester nos jugements. À tort. Les justiciables sont beaucoup plus matures qu’on ne l’imagine. »

« Créer un procureur général de la Nation » : Thierry Wickers, président du Conseil national des barreaux

« Aux dires des justiciables, la justice aurait des difficultés à se montrer réellement indépendante du pouvoir politique. Si la disparition du juge d’instruction se confirme, il va en effet devenir urgent de repenser le statut du parquet. La plupart des professionnels du droit réclame que le procureur – s’il doit diriger seul les enquêtes – ne soit plus sous l’autorité hiérarchique de la chancellerie. C’est à cette condition seulement que l’impartialité des investigations pourra être assurée. Pour ce faire, certaines voix réclament la création d’un « procureur général de la Nation ». Ce dispositif, pour lequel d’autres pays ont déjà opté, a le mérite de faire dépendre l’ensemble des procureurs de ce dernier et de le rendre, lui, responsable devant le Parlement, et lui seul. C’est là une manière de couper court aux pressions de l’exécutif sur les enquêtes. »

« Rendre le citoyen acteur de la procédure grâce à la médiation » : Jean-Claude Magendie, premier président de la cour d’appel de Paris

« Face à ces citoyens qui ont, le plus souvent, beaucoup de mal à se sentir vraiment acteurs des procédures judiciaires, la médiation est une solution d’avenir. Elle enrichit considérablement le dispositif judiciaire en permettant aux individus appelés à rester en contact – notamment en matière familiale – à se retrouver autour d’un médiateur. Le tout, loin des logiques classiques d’affrontement propres aux audiences judiciaires. La médiation permet de verbaliser ses différends et de chercher une solution acceptable par les deux parties. L’accord auquel elles aboutissent est, par définition, compris et souhaité par elles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la cour d’appel de Paris a voulu généraliser ce dispositif toutes les fois que cela semble légitime. »

« Mieux évaluer la dangerosité des délinquants sexuels » : Xavier Bébin, délégué de l’Institut pour la justice

« La récidive criminelle scandalise, à juste titre, les justiciables. Il est urgent de réformer le dispositif actuel de suivi des criminels sexuels, de sorte que les plus dangereux d’entre eux fassent tous l’objet d’une expertise médicale devant une commission pluridisplinaire, réunissant magistrats et médecins, afin d’évaluer leur dangerosité. Aujourd’hui, dans les faits, seuls y sont soumis les condamnés à perpétuité demandant une libération conditionnelle. Il faudrait, par ailleurs, systématiser le suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels une fois remis en liberté. Il ne s’applique aujourd’hui qu’à seulement 10 % d’entre eux. »

« Allouer davantage de moyens pour accélérer les procédures » : Matthieu Bonduelle, Secrétaire général du Syndicat de la magistrature

« Les justiciables se plaignent de devoir attendre de longs mois, voire des années, avant de passer en justice. Cet allongement des délais s’explique parfois du fait de la multiplication des possibilités d’appel octroyées aux mis en examen. La plupart du temps cependant, l’allongement des procédures découle du manque de moyens des juridictions. Le contentieux ne cesse en effet d’augmenter quand, en l’espace de cinq ans, les recrutements de magistrats ont été divisés par deux. Quant aux enveloppes budgétaires allouées aux tribunaux, elles n’empêchent pas certains de se retrouver en cessation de paiement en plein milieu de l’année. Ce qui retarde évidemment l’ensemble des procédures. Une justice asphyxiée ne peut être à la hauteur des attentes des citoyens. »

« Garantir une véritable exécution des peines » : Martine Lebrun, présidente de l’association des juges d’application des peines

« Chaque année, 80 000 peines tardent à être exécutées, faute de place dans les établissements pénitentiaires susceptibles d’accueillir les condamnés. C’est notamment le cas en prison mais, et on le sait moins, c’est surtout le cas au sein des établissements pour peine aménagée et des centres de semi-liberté. Du coup, faute de lieu d’accueil, nous ne convoquons les condamnés que six mois après le prononcé du jugement. Certains, entre-temps, se sont évanouis dans la nature. »

« Des cours de droit obligatoires » : Henri Ody, Secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats

« La justice est mal connue. Et ne nous leurrons pas, nos concitoyens se méfient d’elle faute de comprendre son fonctionnement. Et ce, parce que leurs connaissances juridiques ne sont pas suffisamment poussées. Cela devrait nous inciter à rendre obligatoires les cours de droit dans le secondaire. Ce serait l’occasion de permettre aux élèves de mieux connaître la législation, mais aussi d’être sensibilisés aux modes de raisonnement des magistrats. Je sais, leurs emplois du temps sont déjà bien chargés mais l’apprentissage du droit devrait être prioritaire sur d’autres matières moins décisives. J’y vois la condition d’une citoyenneté éclairée. »

« Permettre la prise de parole des détenus » : Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté

« Il n’est pas rare que les prisonniers perdent progressivement l’habitude de s’exprimer derrière les barreaux. Le système tend à les infantiliser. À force, certains sombrent dans une terrible violence verbale, d’autres se réfugient dans un silence obstiné. Il est impératif d’encourager la prise de parole des détenus. C’est en effet la meilleure manière de les aider, à terme, à se réinsérer. À cet égard, il est regrettable que les détenus ne bénéficient d’aucun moyen d’expression collectif, puisque la pétition est proscrite en détention. Il faut sans doute réétudier cet interdit. On ne peut, par ailleurs, que regretter que les courriers des détenus adressés à l’administration pénitentiaire ne donnent que rarement lieu à une réponse. »

« Instituer des référents éthiques au sein des tribunaux » : Daniel Ludet, conseiller à la Cour de cassation

« Aux yeux de l’opinion publique, les fautes commises par les magistrats semblent ne jamais réellement déboucher sur une sanction. La future saisine du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) par les justiciables devrait remédier, en partie, à cette impression d’impunité. Nous aurions tout à gagner à instituer, par ailleurs, des référents éthiques au sein des tribunaux. Les magistrats faisant face à des dilemmes importants pourraient se retourner vers eux afin d’être conseillés. Un tel dispositif permettrait de recenser les bonnes pratiques et de les diffuser à l’ensemble de la profession. »

« Permettre la présence des avocats durant toute la garde à vue » : Christian Charrière-Bournazel, Bâtonnier de Paris

« Les droits de la défense doivent être considérablement réformés. Il est en effet indigne que, dans notre pays, les individus placés en garde à vue ne puissent être assistés d’un avocat. Actuellement, nous ne pouvons les rencontrer que quelques instants, et ce sans avoir aucunement accès à leur dossier ! L’Espagne, qui vit pourtant dans l’angoisse des attaques terroristes, a légalisé depuis près de trente ans l’assistance d’un avocat en garde à vue. Ce qui, que je sache, n’a pas débouché sur une remise en liberté massive des criminels les plus dangereux. Dès lors, qu’attendons-nous ? Une réforme s’impose d’autant plus que c’est désormais une exigence de la Cour européenne des droits de l’homme. »

Recueilli par Marie BOËTON

16/11/2009 21:35

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