Publié le 14 octobre 2009
Le 12 octobre 2009, la onzième audience du procès des assassins présumés de Hrant Dink, journaliste turc d’origine arménienne assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul, s’est tenue devant le 14e chambre de la cour d’assises d’Istanbul.
“D’audience en audience, les mêmes questions fondamentales demeurent, à commencer par celle de la volonté politique des plus hautes instances de faire éclater la vérité dans un dossier qui, par ses ramifications, pourrait s’avérer un scandale étatique”, a déclaré Reporters sans frontières.
“Mais une chose n’est d’ores et déjà plus à prouver. Il s’agit du risque que l’idéologie et les discours ultranationalistes haineux font peser sur l’ensemble de la société turque. Un danger qui n’a pas disparu. Pour preuve, en quatre ans, quelque deux cents intellectuels, journalistes, éditeurs et dissidents turcs ont été jugés sur la base de l’article 301, pour ‘humiliation de l’identité turque’ ou ‘insulte contre les institutions de l’Etat’, en l’occurrence l’armée, la police, la justice, etc.”, a poursuivi l’organisation.
Pour la première fois depuis le début du procès en juillet 2007, l’arme du crime a été présentée par le juge Erkan Canak aux inculpés, et reconnue par deux d’entre eux, Yasin Hayal, qui aurait fourni l’arme au tireur, et par Ogün Samast.
Lors de leurs plaidoiries, les avocats des parties civiles ont de nouveau insisté sur les parts d’ombre tenaces du dossier. En particulier, ils ont demandé que l’affaire Dink soit associée à deux autres enquêtes en cours, et que des éléments de ces dernières soient transmis au tribunal. L’une porte sur l’organisation terroriste ultranationaliste “Ergenekon”, et l’autre est relative à l’assassinat, en 2007, de trois missionnaires à Malatya.
L’avocate Fethiye Çetin a également demandé que le témoignage, parmi les prévenus de l’affaire “Ergenekon”, de la porte-parole du patriarcat orthodoxe turc (ultranationaliste) Sevgi Erenerol, soit communiqué au tribunal. La jeune femme, qui avait soutenu les poursuites intentées contre Hrant Dink au nom de l’identité turque (article 301 du code pénal), a fait état de rencontres avec du personnel de l’état-major turc et des forces armées, lors desquelles la présence de missionnaires en Turquie avait été présentée comme un “danger”. Les procureurs en charge du dossier “Ergenekon” devront d’ailleurs fournir au juge Canak les documents concernant un autre accusé, Durmus Ali Özoglu, dont les déclarations confirmeraient l’existence d’un “plan de déstabilisation psychologique” du pays.
C’est le développement de cette même thèse, ainsi que le constat de l’échec des forces de l’ordre turques à prévenir la mort de Hrant Dink, qui vaut au journaliste du quotidien Milliyet, Nedim Sener, d’être poursuivi, après avoir publié un article en févier 2009 et un livre intitulé “ L’assassinat de Dink et les mensonges des renseignements ”. Il est accusé d’avoir rendu publiques “des informations confidentielles”, “tenté d’influencer le bon déroulement de la procédure judiciaire”, “offensé” un officier de police et trois officiers supérieurs du renseignement, et d’avoir exposé ces derniers aux “attaques d’organisations terroristes”. Nedim Sener est passible de plus de trente-deux ans de prison, soit plus que le meurtrier de Hrant Dink qui encourt un maximum de vingt ans d’emprisonnement.
Lors de l’audience, les parties civiles ont également insisté sur la nécessité de poursuivre les recherches pour identifier l’ensemble des personnes impliquées dans l’assassinat de Hrant Dink. En particulier, elles ont demandé que les déclarations de l’ancien chef de la police pour la région de Trabzon (d’où les principaux accusés sont originaires), aujourd’hui responsable du renseignement à Ankara, Ramazan Akyürek, tenues devant une commission spéciale du Parlement, donnent lieu à une enquête. Ce dernier a en effet reconnu avoir été au courant d’un projet d’assassinat de Hrant Dink.
Enfin, la collaboration de l’entreprise américaine Microsoft a été requise par le tribunal, pour que les relevés des conversations MSN de l’un des prévenus, Erhan Tuncel, informateur de la police de Trabzon, lui soient transmis.
Plusieurs observateurs internationaux ont assisté à l’audience, parmi lesquels Vincent Nioré, Alexandre Couyoumdjian et Mathieu Brochier, avocats au barreau de Paris mandatés par leur bâtonnier, Christian Charrière-Bournazel, présents pour la troisième fois consécutive à Istanbul pour suivre le procès. Les observateurs français ont déclaré qu’ils continueront d’apporter leur soutien à la famille Dink et à ses avocats et annoncé que leur mandat d’observation du procès Dink avait été prolongé jusqu’en 2011 par le barreau de Paris.
En réponse à une question posée par une journaliste, ils ont ajouté ne pas avoir été reçus par le bâtonnier d’Istanbul, Muammer Aydin, qui avait déjà évoqué dans le passé son inconfort face à l’intérêt que le barreau de Paris porte au procès, et qui selon lui, ‘’signifie que l’on privilégie l’identité arménienne de Hrant Dink’’.
Parmi les autres observateurs présents au procès figuraient également, la coprésidente de la Commission mixte Turquie-Union européenne, Hélène Flautre, le conseiller du groupe des Verts du Parlement européen Ali Yurttagül, le secrétaire général de l’International Pen, Eugene Schoulgin, ainsi que deux représentantes du Pen norvégien, Lin Stensrud et Trine Kleven.
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