Hier soir, la cour d’assises du Nord a condamné Gérard Cyktor (51 ans) à quatorze années de réclusion criminelle pour avoir tué son frère Jean-Luc, le 9 juillet 2006, à Masny, et avoir dissimulé son corps dans un puisard à Erchin. Il fait appel.
Depuis lundi, le scénario d’une bagarre qui avait mal tourné entre Jean-Luc et Gérard, au domicile familial de Masny, le 9 juillet 2006, faisait son chemin (notre édition de mardi). Hier, la présidente Sylvie Karas lui a donné corps en ajoutant trois questions subsidiaires à la question principale (« Gérard Cyktor est-il coupable d’avoir volontairement donné la mort à Jean-Luc Cyktor ? ») posée aux jurés.
Après quatre heures de délibéré, la cour d’assises a répondu « non » à la question principale mais « oui » aux questions subsidiaires : Gérard a été reconnu coupable d’avoir volontairement exercé des violences ayant entraîné la mort de son frère sans intention de la donner et avec une arme (le pistolet à grenailles).
L’avocat général Jacques Doremieux avait requis une peine comprise entre treize et quinze ans de réclusion contre un homme qui avait, selon lui, fait « des aveux a minima » qui lui laissaient penser « qu’il n’avait pas dit toute la vérité ». « Nous ne connaissons pas les causes de son décès, nous ne pouvons pas affirmer la date de son décès, c’était un dossier difficile car des rumeurs ont circulé (…) mais les aveux de Gérard Cyktor n’ont pas été extorqués ! » Pour étayer son propos, l’avocat général s’est attelé à barrer les pistes de la défense et à balayer « les hypothèses absurdes concernant la garde à vue » lancées par l’accusé.
La garde à vue, le refuge des aveux de Gérard Cyktor que conteste sa défense. « Avant la garde à vue, la conviction des gendarmes était faite ! », grogne Me Dupond-Moretti. « Dans ce dossier, il y a des aveux et un contexte, rien d’autre. Cette enquête est nulle ! » Me Demarcq, lui aussi avocat de l’accusé, ne dit pas autre chose quand il dit que « la culpabilité de Gérard Cyktor n’est toujours pas démontrée » et qu’il a été « condamné par la rumeur publique ».
Et les mensonges alors ? « Des mensonges qui ne lui servent à rien ! », siffle Me Dupond-Moretti. « Gérard Cyktor est calé dans une psychorigidité insupportable mais il a compris que, plus on s’approche de la réalité dans sa relation avec Jean-Luc, plus on dit qu’il est coupable. (…) Tout est question de présentation. Je pense qu’il y a matière à douter. » Un doute que n’ont pas éprouvé au moins huit des douze membres du jury qui ont préféré croire aux convictions d’Annick et Jacques, les parties civiles, « deux lambeaux d’une famille qui a explosé en juillet 2006 », selon leur avocat . Me Dragon avait réclamé que la faute soit « avouée pour que le pardon puisse être donné ». En vain. Après avoir répété une dernière fois « Je n’ai pas tué mon frère, je l’aimais », Gérard Cyktor est resté impassible;
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Au jeu du poker menteur, Gérard Cyktor aurait sans doute fait forte impression. Suspect numéro 1 dans le meurtre de Jean-Luc, son frère, l’accusé a constamment nié depuis l’ouverture du procès, vendredi dernier. Problème : la valse des témoins à la barre dépeint un personnage « méchant », plein de colère et d’amertume. Lui, réfute en bloc tout ce qui pourrait le déranger.
Dès lundi, des anciens clients du café L’Eclipse, que Jean-Luc a tenu plus de 20 ans à Masny, sont venus témoigner à la barre de la cour d’assises. La présidente, Sylvie Karras, insiste beaucoup sur les relations que pouvaient entretenir Jean-Luc et Gérard. « Entre eux, ce n’était pas extraordinaire », se rappelle sa dernière petite amie. Faux rétorque l’accusé. « J’ai toujours soutenu mon frère. Je ne lui ai jamais reproché quoi que ce soit », se défend-il, tant bien que mal.
C’était donc le grand amour entre les deux frères ? Pas vraiment. Une scission serait apparue dès l’enfance de la fratrie, à Masny. D’un côté, Jean-Luc, Annick et Jacques. De l’autre, Gérard. Seul. Décrit comme agité, l’ancien artisan, spécialiste dans le montage de paraboles et de hi-fi, a passé une partie de son adolescence au pensionnat. Des années difficiles. « Est-ce qu’il en a souffert ?», demande la présidente Karras à l’ex-femme de Gérard, avec qui il a été marié sept ans. « Oui, oui », répond-elle. Avec elle, Gérard aurait été violent à plusieurs reprises. « Comment ça se passait ? » « Au début, ça allait. » Et puis, elle est allée à deux reprises se réfugier dans un foyer pour femmes battues. « Je voulais divorcer pour les violences. Je suis allée jusqu’au bout. »
Alors, la présidente s’agace. Elle revient à la charge sur Gérard Cyktor. « Et les violences ? » « C’est faux. Je n’ai pas un caractère de violence. » Une nouvelle brèche d’ouverte pour Guillaume Demarcq, l’un de ses deux avocats. « Est-ce qu’il a déjà été condamné pour des violences ? » Non ». Rien ne prouve ses excès de colère. La présidente revient sur les relations entre Jacques et Gérard. « Il s’entendait avec Jacques ? » « Non, il disait qu’il était homo, que c’était dégoûtant. Il l’appelait le ‘PD�. » « Il y a des rumeurs qui ont couru, c’est sa vie privée. je n’ai jamais dit un truc pareil », répond l’intéressé à la présidente. Toujours en minimisant ses dires.
« Ce sont toujours des relations intéressées
par le biais de sa profession »
Ou ses actes. Selon, l’accusé, il ne serait pas violent, n’aurait jamais porté de coups à personne. Mais des anciens clients du bistrot n’ont pas la même vision que lui. « Vous avez déjà vu des bagarres ? », demande la présidente à un habitué de l’Eclipse. « Oui, plusieurs fois, répond Marcel avec une voix rauque. Ça débutait dans le café ensuite ils partaient dans la cuisine. » « Il n’y a jamais eu de bagarre avec mon frère », indique-t-il. Gérard C., habitué du café à partir de 1994, se rappelle du jour de l’enterrement de Louis Cyktor, le patriarche de la famille, décédé en février 2006. « Je me suis avancé vers lui pour lui présenter mes condoléances. Son visage s’est fermé et il m’a dit : ‘ Mon père est mort à cause de Jean-Luc, il va payer cher�. » L’accusé n’a pas « souvenance » de cette conversation.
Et même dans l’enquête de personnalité, le descriptif est peu flatteur. Même du côté de ses ‘relations�. Sylvie Karras souhaite savoir s’il « a un ami ». « Non, ce sont plutôt des relations. Des relations toujours intéressées par le biais de sa profession. » A l’époque c’était donnant-donnant. Devant la cour, c’est motus et bouche cousue.
Article rédigé par :
Guillaume Carré