LE FIGARO Mathieu Delahousse
Face aux cessations de paiement et aux menaces de procédures collectives qui se multiplient, la justice commerciale tente d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Cette justice-là prétend prévenir et guérir plutôt que d’intervenir une fois que les drames sont arrivés. Dans toute la France, les tribunaux de commerce font, depuis plusieurs mois déjà, face aux effets de la crise économique. Cessation de paiement en hausse de 20 % à Paris, une soixantaine de liquidations judiciaires de plus que l’an dernier à Pontoise (Val-d’Oise), deux fois plus de redressements judiciaires à Brest (Finistère), 32 % de procédures collectives en plus au tribunal de commerce d’Albi (Tarn) en 2008…

Selon une étude des cabinets d’audit Altares et Deloitte, les défaillances d’entreprise ont augmenté de 10,3 % entre 2007 et 2008. Et le nombre des procédures collectives (redressement judiciaire et liquidation judiciaire) continue à se multiplier.

Sous protection du tribunal

La crise, vue des tribunaux de commerce, reste pourtant discrète. Les audiences de procédures collectives se tiennent toujours à huis clos et sans aucune publicité. Quant à la prévention, elle demeure en réalité anecdotique. «Notre rôle de prévention et de traitement des difficultés des entreprises ressemble à celui d’un hôpital, témoigne Christian de Baecque, président du tribunal de commerce de Paris. Mais, actuellement, je me sens comme un directeur d’hôpital auquel on aurait annoncé une épidémie. J’ai pris mes dispositions mais je n’ai pas encore vu les malades.»

À la permanence destinée depuis le mois d’octobre dernier aux dirigeants des petites entreprises, «ce n’est pas l’afflux». À Paris, plusieurs patrons de la restauration ou d’agences immobilières s’y sont pourtant signalés. Mais souvent trop tard. «Les dossiers arrivent au niveau judiciaire quand les entreprises sont exsangues, déplore un avocat spécialisé. La situation est pire dans les bassins industriels, notamment dans le secteur automobile. Même avec la loi de sauvegarde, les dirigeants se tournent tardivement vers les juges consulaires.»

Le recours à cette loi «préventive» permet aux sociétés de se mettre sous la protection du tribunal. Quelque 694 procédures ont été ouvertes en 2008 dans toute la France. Le but est de parvenir à sauver les entreprises concernées : «Nous voulons éviter les liquidations : tenter de guérir plutôt que de constater les décès», reprend le président parisien. Mais «il ne faut pas se faire d’illusion, tempère un juge consulaire d’une grande ville de province, quand une procédure collective est lancée, la mort est programmée. Neuf entreprises sur dix faisant l’objet d’une procédure collective finissent en liquidation judiciaire. Il n’est pas totalement surprenant de voir que les chefs d’entreprise sont effrayés par le mot tribunal.»

Crise ou pas, le diagnostic établi par les tribunaux de commerce est identique. «Nous examinons toujours les dossiers sous trois angles : la sauvegarde de l’emploi, le maintien de l’activité et la situation des créances. Mais quand les dettes sont trop importantes, il est rare de pouvoir les sauver de la liquidation judiciaire», expose Xavier Bonhomme, vice-procureur à Marseille et responsable du parquet commercial qui confirme que les entreprises se présentent tardivement à la justice, y compris quand le tribunal de commerce les convoque pour traiter en amont leurs difficultés. «Le tribunal de commerce n’a pas de moyens coercitifs pour forcer les dirigeants à répondre lors de cette phase », rappelle le magistrat. Et, selon lui, il existe «des spécialistes de la liquidation judiciaire» qui, après avoir été démasqués, peuvent être visés par des sanctions judiciaires.

Les salariés représentés

Sur ce point, ce sont souvent les salariés qui entendent désormais jouer un rôle au tribunal de commerce. «Dès qu’une procédure collective est ouverte, ils ont voix au chapitre, confirme Fiodor Rilov qui défend les salariés de plusieurs entreprises en crise. Un représentant des salariés, présent aux audiences, peut s’exprimer sur la situation des comptes et les perspectives d’avenir».

L’avocat cite l’exemple d’une procédure collective, ouverte devant le tribunal de commerce de Beauvais (Oise) pour un équipementier automobile. «C’est lors des audiences devant les juges consulaires, raconte-t-il, que nous avons découvert un rapport d’expert montrant qu’une société avait choisi de provoquer une procédure collective plutôt que de prévoir un plan de licenciement.»

Dans ces cas, la justice qui guérit peut conduire vers la justice qui punit. C’est aussi le cas quand deux entreprises sont menacées de liquidation à cause de leurs différents commerciaux. «Dans ces cas-là, on explique qu’une conciliation est préférable à un long procès, surtout en temps de crise», lance un président de tribunal de commerce.

Tribunal : procédures en forte hausse sur le 1er trimestre

Le groupe Setforge a constitué le plus gros dossier du tribunal au 1er trimestre / Marie Perrin

La crise s’étend. Après les petites structures, ce sont désormais des PME de bonne taille qui se trouvent en difficultés. Le point en Loire-sud

«La bascule s’est faite dès le dernier trimestre 2008, avec une dégradation qui s’est accélérée à partir de novembre » analyse Pierre Lantermoz,

président du Tribunal de Commerce de Saint-Étienne/Montbrison (1).

« En fait, après avoir assisté à de nombreuses défaillances d’entreprise de moins de 5 salariés, ce sont au tour de belles PME, de 40, 60, 100 personnes de se retrouver aujourd’hui en difficultés » précise-t-il. Avant de constater : « Dans les entretiens que nous réalisons, nous constatons deux phénomènes. Il y a les chefs d’entreprise qui viennent très tôt rechercher une procédure de conciliation. Et d’autres, tout aussi honnêtes, qui arrivent avec un trou devant eux. Ils sont morts debout en quelques semaines ».

D’une manière globale, si l’oncompare au premier trimestre 2008, le Tribunal a enregistré une progression de 43 % d’ouverture de procédures collectives (soit 58 dossiers supplémentaires).

« Depuis le début de l’année, certaines entreprises ont connu des ruptures de charge de travail allant de 50 à 80 %. Et ne disposent d’aucune visibilité » constate le président ». Comme ce sous-traitant de Haulotte, qui avait en charge l’impression des notices explicatives des nacelles élévatrices. « Le groupe L’hormois, qui est un assembleur, a vendu 25 000 nacelles en 2008 et prévoit d’en vendre 15 000 en 2009. Or, il dispose d’un stock de 12 000 nacelles. Il ne reste donc pas grand-chose pour ses sous-traitants » fait remarquer Pierre Lantermoz.

En fait, par secteur, ce n’est pas une surprise, ce sont en premier les entreprises de mécanique générale qui souffrent le plus.

« Avec des exceptions » rectifie notre interlocuteur « car hormis l’automobile, les activités en direction de l’aéronautique, du nucléaire et du pétrole sont encore bonnes ».

Derrière la mécanique, par effet domino, ce sont les services liés à l’industrie (pub, communication notamment), mais aussi les transporteurs qui sont les plus touchés.

« Dans le BTP, ce sont les petits artisans en sous-traitance qui sont affectés pour l’heure.

Le textile (en Loire-sud) est certes en souffrance, mais l’activité sur les niches reste acceptable » complète le président.

Du 1er janvier au 28 mars 2009, le greffe a enregistré l’immatriculation de 463 sociétés commerciales en Loire-sud. Un élément difficilement comparable avec la même période de 2008, puisque le greffe n’est pas en mesure de fournir les données 2008 du Tribunal de Montbrison (311 créations sur celui de Saint-Étienne).

Le nombre n’est pas, non plus, très représentatif dans la mesure où le seul groupe Casino a enregistré 120 sociétés (restauration) sur la période. Ce qui en relativise la portée, puisque seulement 32 autres sociétés ont été créées. Et sur les deux arrondissements.

Jacques Perbey

(1) : depuis le 1er janvier, les tribunaux de Montbrison et de Saint-Étienne ne font qu’un.

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