Il dénonce les dérives d’une bureaucratisation d’ailleurs guère efficace.
Outre l’expérience, plus de quinze ans de pratique professionnelle confère un regard critique sur son acitvité et le cadre dans lequel elle s’inscrit. Entretien avec Yann Le Doucen, 42 ans, avocat ruthénois.
Ce qui le frappe, c’est « le manque de moyens » dont écopent en fin de compte les justiciables. Or, non seulement il y a un déficit de magistrats, de greffiers, etc., mais encore « la justice doit rendre des comptes à la Chancellerie ». En clair, il est demandé aux magistrats de « faire du chiffre », c’est-à-dire de produire des décisions. Cette pression nouvelle s’inscrit dans une perspective quantitative, observe l’avocat qui veut privilégier la « qualité ».
Le parti pris d’efficacité de la Chancellerie, souligné par l’utilisation croissante de l’informatique et de la technique (on recourt, ici ou là, à la visioconférence lors d’une instruction), ne doit pas faire oublier que « la prise de temps est un gage de sérénité et de qualité . Même s’il peut exaspérer, y compris nos clients auxquels il faut expliquer, l’échange de pièces et d’arguments – ce contradictoire – est très important », défend l’avocat. Qui juge que « les impératifs de délai étaient moindres » dans un passé proche. Et l’avocat Le Doucen ne veut pas transiger. «Si, illustre-t-il, une affaire exige une heure d’explications, l’avocat doit être écouté.» L’homme de loi réitère un impératif, celui de « fouiller les dossiers » car les affaires doivent être parfaitement ficelées avant d’être appelées. Et tant pis si cette fermeté sur les principes fait passer les avocats pour des « empêcheurs de tourner en rond ».
Participant d’une « déshumanisation» générale, chiffres, statistiques, délais, poids accru de l’informatique… sont aux yeux de Yann Le Doucen «autant d’indices révélateurs d’une volonté de contrôler l’administration judiciaire, volonté risquant d’atteindre l’indépendance de nos juges».
latitude rognée
En outre, poursuit Yann Le Doucen dans le droit fil, « les peines sont de plus en plus tarifées » et « la latitude des magistrats » est donc rognée. Par exemple avec les fameuses peines plancher en cas de récidive qui concourent à remplir encore des prisons surpeuplées où, pour pallier le refus ou l’impossibilité d’accueil des hôpitaux psychiatriques, « on incarcère beaucoup de malades mentaux».
« Ceux qui nous gouvernent ont besoin de donner l’illusion qu’il se passe quelque chose. Soit leurs réponses consistent en des restrictions budgétaires, soit ils adoptent des mesures propres à satisfaire l’opinion publique.» Quant à l’intérêt des justiciables…
«Pour moi, reprend l’avocat, l’individu doit être mis au centre d’un système qui ne devrait pas fonctionner sur les principes bureaucratiques mis en vigueur au nom de l’efficacité et en réalité inefficaces».
Un manque d’écoute
«On n’écoute pas les acteurs de terrain. La nouvelle carte judiciaire est un exemple flagrant de cette carence… Dans ce contexte, les avocats doivent individuellement, dans le quotidien des prétoires, rappeler les libertés fondamentales et le droit. Quant à nos institutions professionnelles représentatives, elles n’ont pas toujours les mêmes objectifs que les petits barreaux. Je suis favorable à une organisation représentative des barreaux des petites provinces».
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