Isabelle Horlans, le lundi 3 août 2009 à 04:00

Yvonne Chevallier était une femme passionnément amoureuse que son mari bafouait. Dimanche 12 août 1951, à Orléans, l’épouse méprisée s’est saisie de son arme et a tiré trois fois.

Deux balles ont perforé la poitrine de Pierre Chevallier, le député-maire de la ville, nommé la veille secrétaire d’Etat à l’Enseignement technique, avec rang de ministre. Le troisième projectile a ricoché. Calmement, Yvonne Chevallier a emmené son fils chez la concierge, priant la dame affolée de garder le petit. Elle est remontée à l’appartement et a donné le coup de grâce, faisant feu à deux reprises. De ce crime, elle fut acquittée par la cour d’assises de la Marne, jeudi 6 novembre 1952, après quarante minutes de délibéré. Dans les rues de Reims, « 2 à 3.000 personnes stationnaient pour attendre la décision », rapporta Jean Laborde, envoyé spécial de France-Soir. Elles applaudirent à tout rompre le verdict de clémence. Même le fourgon cellulaire menant la meurtrière absoute vers la liberté fut ovationné. Un an auparavant, au pied de l’immeuble orléanais, une foule aussi compacte réclamait la mort de Mme Chevallier, âgée de 39 ans. Récit d’une tragédie à l’issue inattendue.

Ce dimanche 12, lorsque la concierge alertée par les tirs trouve enfin le courage de frapper à la porte des Chevallier, Yvonne lui ouvre et, sans une larme, avoue : « J’ai tué mon mari. » Dans la chambre tendue de velours vert, Pierre Chevallier, 42 ans, gît dans une mare de sang. Le commissaire Gazano vient en personne. C’est que le défunt est « quelqu’un » : il s’est conduit en héros sous l’Occupation, c’est un remarquable médecin, il gère la cité, siège à l’Assemblée nationale et, le 11, il est entré au gouvernement. Ce notable est « l’ami de tous », selon la presse orléanaise qui vient de consacrer sa promotion. Qu’est-il arrivé au couple pour qu’un tel malheur se produise ? Neuf heures durant, Yvonne Chevallier explique. Mercredi, elle a acheté un revolver pour se suicider. Elle n’en peut plus de la vie solitaire que lui impose son mari, elle ne supporte plus l’autre « la femme plus belle que moi, plus jeune que moi » qui a conquis le cœur de Pierre Chevallier. « Face à ma rivale triomphante et sereine, je devenais de jour en jour plus triste et plus laide, » confiera-t-elle à France-Dimanche. Au policier, Yvonne raconte que son époux est rentré de Paris, pressé, qu’il se changeait pour déjà repartir. Un mot, un autre, des insultes : « Tu ne vois pas que tu es un boulet que je traîne ? », a-t-il dit. Et soudain, l’humiliation de trop qui fait tout chavirer : « Va-t-en ! Tu sens mauvais, tu empestes mon atmosphère ! » Voici pourquoi elle a utilisé contre lui l’arme qui devait la tuer…

Une jalousie maladive

Au terme de l’interrogatoire qui s’est déroulé à son domicile, Yvonne Chevallier est évacuée de sa résidence bourgeoise de la rue Jeanne-d’Arc. « A mort ! » crie la foule qui s’est formée tout au long de la journée. L’accusée est invisible sous son manteau à chevrons marron, « recroquevillée sur elle-même », écrit Jacques Chapus dans France-Soir. Le 13 août, tandis que la criminelle passe sa première journée en prison, ministres, députés et académiciens viennent s’incliner devant la dépouille mortelle. Leurs enfants sont séparés : Thugal, 8 ans, part en pension en Savoie, Mathieu, 4 ans, chez ses grands-parents maternels. Le cadet croit que « maman est en Amérique ». Ils ne se remettront jamais de la tragédie qui les a fauchés net en pleine enfance.

L’instruction démontre que Mme Chevallier a agi sous l’effet d’une irrépressible pulsion exacerbée par sa jalousie maladive. « Sa responsabilité est atténuée », concluent les psychiatres. Séduisant, brillant, rempli d’esprit, se distinguant en tous domaines, le parlementaire est tombé amoureux fou d’une jeune femme, Jeanne Perreau. Le 13 juin, Yvonne Chevallier a trouvé un poulet de sa rivale ; le doute qui la rongeait s’est mué en certitude. Elle lui reproche son infidélité, Pierre la rabroue : « Prends un amant, tu me dégoûtes ! » Par écrit, la malheureuse le suppliera de la pardonner : « Mon petit Pierre chéri, je me rends compte que je n’ai pas volé ce qui m’arrive […] J’ai de la déférence pour ta supériorité. » Pierre Chevallier répond par un « divorçons ! » Lors de la dispute du 12 août, il lui apprend que, libéré, il épousera Jeanne.
« Si tu m’abandonnes, je me tue !
– Tue-toi donc, c’est ce que tu auras fait de mieux dans ta vie ! »
Le revolver est à portée de main, le basculement inévitable.

Le procès

Cette existence sans bonheur, pire, pleine de souffrances, est dévoilée aux jurés et à l’opinion publique les 5 et 6 novembre 1952, à la cour d’assises de Reims – la justice a « dépaysé » le procès. Le président Jadin résume parfaitement l’état d’Yvonne Chevallier avant le meurtre : « Plus la plaie de votre cœur s’élargissait, plus vous abusiez des excitants. Vous mangiez une côtelette par semaine, vous buviez un kilo de café, vous fumiez sans cesse, vous preniez des somnifères pour dormir, du Maxiton pour vous réveiller. Vous étiez intoxiquée (…) Comme Phèdre affolée par l’amour d’Hippolyte et d’Aricie, vous ne pouviez supporter les jours clairs et sereins qui se levaient pour votre mari et Jeanne Perreau. Vous touchiez au délire. » Le président déclame, l’accusée s’effondre : « Il a dit que j’étais une ignoble salope. » Et, dans un cri, elle jure n’avoir jamais souhaité sa mort : « Je l’aimais tant… Je l’adorais ! »

C’est dans cette atmosphère étouffante de désespoir qu’intervient le témoignage de Jeanne Perreau. Elle entre en scène, devrait-on écrire, tel un mannequin s’apprêtant à parader. La jeune femme sera chassée par la cour, sous les huées d’une assistance désormais acquise à Yvonne Chevallier. Les jurés, pères de famille, fléchissent eux aussi. Ils sont agriculteurs, entrepreneurs, représentants, et ne comprennent pas comment une mère peut être ainsi outragée. Aux trois questions, ils répondent « non ». Elle n’est même pas coupable « d’avoir donné des coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner », « un défi au bon sens », selon les commentateurs, cependant satisfaits. Yvonne Chevallier est libérée dans la nuit, rendue à ses fils. Elle retrouvera son métier « d’avant Pierre », sage-femme, et se consacrera durant plusieurs années aux lépreux, en Guyane

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