Isabelle Horlans, le lundi 20 juillet 2009 à 04:00

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Les procès de Marie Besnard, qui passionnèrent la France, donnèrent lieu à une redoutable bataille d’experts qui n’honora pas la science. C’est alors que le dernier d’entre eux apporta une contradiction majeure. Le 29 novembre 1961, M. Batisse se présente aux assises à Bordeaux, où « l’empoisonneuse » est jugée pour la troisième fois. L’agronome a analysé les sables de Loudun : sans contestation possible, ils contiennent de l’arsenic. Utilisés en maçonnerie, notamment au cimetière, ils en ont saturé le sol. Egalement suspects d’avoir « pollué » les cadavres, le sulfatage des fleurs et le zinc des ornements funéraires. Aux Loudunois qui assistent aux débats, il assène sa vérité : « Vous avez enterré vos morts dans une réserve d’arsenic ! Cette femme est innocente. » Stupéfaction générale. L’accusation branle sur son socle bâti de bric et de broc. Les douze années d’instruction acharnée contre Marie Besnard sont réduites à peau de chagrin. Il n’y avait ni preuves ni aveux, et le mobile relevait du subjectif : captation d’héritage, disait le juge, mais la dame de Loudun possédait une fortune et n’avait nul besoin de l’argent des autres. Un temps, le magistrat chargé des réquisitions s’accrocha aux témoins. René Héricotte, reporter à France-Soir, les raille dans son article paru le 16 février 1980, au lendemain du décès de Marie Besnard dont il fut l’ultime confident : « Ce ne sont pas des témoins mais des sots, des envieux, des ragotiers, parlant par ouï-dire, insinuant mais n’apportant rien » (lire ci-contre). Le représentant du ministère public ne réclama finalement aucune peine, s’en remettant à la sagesse des jurés. Mardi 12 décembre 1961, ils choisirent l’acquittement.

Acquittée, jamais indemnisée, éternellement suspecte

Il est coutume d’écrire que le calvaire de Marie Besnard a duré douze ans – de son incarcération en 1949 à son acquittement en 1961. Faux. Jusqu’à sa mort, le 15 février 1980, « la bonne dame de Loudun » demeura, aux yeux du plus grand nombre, une accusée acquittée mais pas fondamentalement innocentée. Du reste, elle ne fut jamais réhabilitée par la justice, pas même indemnisée. Aucune loi ne permettait alors de demander réparation à l’Etat.

Quant à ses dénonciateurs, ils étaient soit décédés, soit insolvables. En ce XXIe siècle, il en est encore qui, à la seule évocation de son nom, commettent cette sempiternelle association d’idées : « Ah oui ! Marie Besnard, l’empoisonneuse… » En dépit des multiples livres et films retraçant le chemin de croix de la dame à la mantille noire et aux épaisses lunettes, le doute est resté profondément ancré dans les esprits français. A la fin des années quatre-vingts, faute d’avoir parfaitement assimilé que Marie Besnard avait été acquittée, je provoquai par mes écrits l’ire de l’un de ses plus farouches défenseurs, Frédéric Pottecher. Mon article était consacré à Simone Weber, « la diabolique de Nancy » accusée d’avoir tué son amant, et peut-être aussi son mari. La saillie de l’un de ses avocats, l’excellent Jacques Vergès, m’était apparue si savoureuse que je la retranscrivais in extenso. Parlant au juge de Simone Weber, il déclarait ceci : « Vous avez créé un hybride avec les couilles de Landru et les ovaires de Marie Besnard ». Sacrilège ! Jacques Vergès fut récusé par sa cliente, choquée, et je fus vertement tancée par mon célèbre confrère. Il prit la peine de m’écrire pour me conseiller, à l’avenir, de nuancer les propos rapportés, fussent-ils a priori teintés d’humour. Dans mon texte, il manquait le rectificatif essentiel : on ne peut fabriquer un hybride de criminelle avec les ovaires d’une innocente…

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