le vendredi 25 septembre 2009 à 04:00

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Samy Mouhoubi, le vendredi 25 septembre 2009 à 04:00

Pendant plusieurs heures jeudi et mercredi, la cour d’assises spéciale de Paris, d’instance judiciaire s’est transformée en cercle d’analyse géopolitique. Les magistrats qui jugent Rachid Ramda pour complicité présumée dans les attentats en France en 1995 se sont penchés sur les tortueuses relations diplomatiques franco-algériennes et l’hypothèse d’une manipulation à l’époque des faits des services secrets français par leurs homologues algériens. Une idée récemment relancée par l’instruction française sur l’assassinat des sept moines du monastère algérien de Tibeherine en mars 1996, quelques mois après la vague terroriste dans l’Hexagone (1).

En 1991, les religieux du Front islamique du salut (FIS) remportent le premier tour des élections législatives algériennes. Inquiet, le pouvoir militaire décrète l’état d’urgence. Problème, plusieurs responsables politiques français soutiennent le processus électoral algérien. Alger aurait alors dirigé – sous couvert du GIA, la branche armée du FIS – les attentats de 1995 pour se débarrasser de ses opposants et forcer la main à Paris. Un tel complot n’a jamais été prouvé à ce jour.

Debré et les « fausses pistes » ?

« Connaissez-vous l’hypothèse selon laquelle les services algériens auraient infiltré le GIA et organisé la vague d’attentats de 1995 pour contraindre la France à soutenir Alger ? », demande mercredi le président de la cour Francis Debons à Jean-François Clair, ancien numéro 3 de la DST. « Je n’ai jamais cru à une manipulation, c’était quelque chose de trop grave », répond l’agent au regard bougon derrière de gros sourcils noirs. « On avait les moyens de vérifier si les Algériens nous baladaient, ce n’est pas parce qu’ils nous ont aidés qu’on n’était pas pour autant un service de contre-espionnage », affirme-t-il.

Roger Marion est encore plus catégorique. Ancien commissaire divisionnaire, aujourd’hui préfet en mission auprès de l’Inspection générale de l’administration, c’est lui qui a dirigé l’enquête en 1995 avec ses hommes de la 6e division de la police judiciaire. Fidèle à sa légende de flic à la dure – il assume son surnom « Eagle Four » (Y gueule fort) –, il réfute carrément toute intrusion des services algériens. « Aucun auteur des attentats n’a été identifié par renseignement, mais au fur et à mesure des investigations des services d’enquête », a-t-il assuré jeudi. En clair, pas de tuyau, que du bon boulot policier. C’est l’identification de Khaled Kelkal en septembre 1995, à partir de son empreinte digitale sur une bombe inerte, qui a permis notamment de remonter jusqu’à Boualem Bensaïd, un autre poseur de bombe. Puis via Bensaïd et d’autres, la police a recherché le surnommé « Elyess », alias Rachid Ramda selon le dossier. CQFD.

La défense de l’Algérien a néanmoins rappelé des propos attribués à Jean-Louis Debré, ministre de l’Intérieur au moment des attentats. « La sécurité militaire algérienne voulait que l’on parte sur de fausses pistes pour qu’on élimine des gens qui les gênent », aurait déclaré l’actuel président du Conseil constitutionnel dans Le Monde du 23 septembre 1995, ce qu’il a toujours nié. Il est attendu pour s’expliquer devant la cour le 2 octobre.

« Elyess », « Abou Farès »… la valse des alias

Au-delà d’une vraie ou fausse manipulation, reste le cas Rachid Ramda. L’accusé est-il un « lampiste » balancé par Alger, comme le pensent ses avocats, ou bien le financier des attentats depuis sa base de Londres, comme le présente l’accusation ? Pour Jean-François Clair, la réponse ne souffre aucun doute. « Il était l’homme du GIA à Londres et même à l’époque en Europe ! Il était la plaque tournante du Londonistan, c’était absolument indéniable ! », martèle l’ex-agent. Pressé de questions par la défense, il finit tout de même par lâcher que c’est Alger qui a livré à la France le nom de Ramda. « Fin août 1995, l’Algérie nous dit que le chef du GIA en Grande-Bretagne, c’est Elyess, alias Abou Farès, alias Rachid Ramda », explique Clair. Une version en contradiction avec celle de Roger Marion, qui attribue, lui, l’identification de Ramda aux Anglais. « Ce sont les services britanniques qui nous informent de façon certaine que Rachid Ramda, c’est Elyess, c’est Abou Farès », se souvient « Eagle Four ».

Se fondant sur ces éléments, les avocats de l’accusé ont saisi jeudi soir la cour d’une demande de supplément d’information. Ils réclament notamment que les trois numéros de téléphone attribués à Ramda à Londres d’après l’enquête soient examinés. Selon la défense, ils n’ont « pas fait l’objet d’investigations » en 1995. Ils demandent également de vérifier auprès de la justice britannique si un autre « Abou Farès », identifié comme un certain Abdelkader Benouis, a été arrêté à Londres le 4 novembre 1995. Une façon de lever toute ambiguïté sur cette série de pseudos : Abou Farès, alias Elyess… alias Ramda ?

(1) Longtemps attribué au GIA algérien, ce massacre pourrait être en réalité l’œuvre de l’armée qui aurait voulu maquiller une bavure en assassinats, selon plusieurs témoignages d’anciens militaires algériens.

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