En 1962, se tient un procès retentissant à LIEGE. Toute une famille et un médecin se sont ligués pour tuer un nourrisson né mal formé. Sa mère a pris de la thalidomide, un tranquillisant prescrit lors de la grossesse, responsable de milliers de naissances de bébés sans bras. Le verdict soulève la question toujours pas tranchée à ce jour, peut-on juger et condamner des parents désemparés devant le handicap ? Existe-t-il un devoir moral d’assumer coute que coute son enfant ? Le jury de LIEGE, composé exclusivement d’hommes a tranché.

La thalidomide est un tranquillisant mis en vente sur le marché par les laboratoires pharmaceutiques entre 1958 et 1961, dans de nombreux pays. Ce médicament, en apparence anodin, a causé des drames épouvantables. En effet, la thalidomide, prescrit à des femmes enceintes, a abouti à la naissance de « monstres phocomèles », c’est-à-dire d’enfants privés de bras et de jambes.

Ce n’est qu’environ quatre ans et demi après la naissance, le 25 décembre 1957, du premier bébé affligé de dommages aux oreilles dus à la thalidomide, qu’un gynécologue australien, le Dr McBride de Sydney, soupçonnera la thalidomide d’être la cause de malformations aux membres et aux organes chez trois enfants examinés au Crown Street Women’s Hospital.

Le 10 novembre 1958, une petite fille sans bras et sans jambe naît en Angleterre. Ses pieds et ses mains sont directement rattachés aux épaules et au pelvis. Rapidement, cette naissance est suivie d’autres cas similaires en Angleterre, en Allemagne, au Canada, aux Etats-Unis, en Suède, en Belgique, en Suède, au Brésil, au Japon…

Les anomalies sont variables : absence du pouce ou d’un doigt mais le plus souvent, il y a une absence totale de formation des os longs des membres. Certains enfants pourront avoir une vie à peu près indépendante. La grande majorité, complètement impotents, seront toute leur vie dépendants pour les actes courants de la vie. Des anomalies supplémentaires sont observées : poumons déficients, absence de vésicule biliaire ou de l’appendice, becs-de-lièvre, malformation des yeux …

Ce type de malformation est rare. Une telle augmentation étonne les médecins qui en viennent rapidement à supposer que les mères ont pris un médicament pendant leur grossesse.

Ce médicament est un sédatif prescrit aux femmes enceintes pour lutter contre les nausées et les vomissements. Le médicament est commercialisé, selon les pays, sous des noms divers, tels Distaval, Tensival, Asmaval ou Softénon.

La thalidomide a causé des difformités sur environ la moitié des cas où une femme en a fait usage entre la quatrième et la sixième semaine de sa grossesse. Environ 3 000 enfants ont été touchés en Allemagne, et 800 en Angleterre. On retrouve la même proportion dans les autres pays industrialisés où la thalidomide a été prescrite.

C’est le 13 novembre 1961 qu’un pédiatre de Hambourg met en accusation la thalidomide. Six jours plus tard, tous les médicaments contenant de la thalidomide sont retirés du marché en Allemagne. Dans les mois qui suivent, les mêmes mesures sont prises dans les autres pays.

La thalidomide est à l’origine de nombreux procès. Ce désastre a ainsi fournit l’occasion de soulever de multiples problèmes juridiques ou éthiques qui n’avaient jamais été abordés : euthanasie, interruption volontaire de grossesse, responsabilité médicale et pharmaceutique, indemnisation en matière d’accidents thérapeutiques. En voici une illustration, l’affaire de Liège, affaire qui eût un retentissement médiatique énorme en Belgique.

Le procès s’ouvre le 5 novembre 1962 devant la Cour d’Assises de LIEGE où sont jugés Suzanne VANDEPUT, son mari Jean VANDEPUT, sa mère, Fernande ERNA, sa sœur, et le Docteur CASTERS, pour le meurtre de l’enfant de Suzanne VANDEPUT, Corinne.

Le 22 mai 1962, Suzanne VANDEPUT, employée comme son mari dans l’administration communale, accouche à la clinique ROCOURT de LIEGE d’une petite fille. L’enfant n’a pas de bras, seulement des embryons de mains collés aux épaules. La religieuse avait également dit aux parents que le bébé n’avait pas d’anus. Devant une enfant affligée d’un double handicap, les parents avaient tout de suite demandé d’euthanasier l’enfant sans recevoir d’aide. Refus net du Docteur WEERTS qui a accouché l’enfant. La presse avait déjà alerté l’opinion sur la naissance de ces bébés malformés. Les chances de survie étaient de 1 sur 10.

Ils se tournèrent alors vers le Docteur CASTERS, un médecin de quartier chez qui, le 23 mai, Monique DE LA MARK, la sœur de la jeune maman, va sonner tôt le matin. Il accepte de rédiger l’ordonnance mortelle. La mère donna la mort à son enfant le 29 mai, en mélangeant des barbituriques au biberon, seule avec le bébé. Le lendemain, les parents appelèrent le médecin de famille, le docteur HERPIN, pour constater le décès. Celui-ci remarque bien évidemment que la mort n’est pas naturelle. Jean VANDEPIT avoue immédiatement que sa femme avait tué l’enfant. Il revenait alors à ce médecin de rédiger le certificat de décès et de mentionner la mort violente déclenchant l’enquête. Il réfléchit une semaine sur ce cas de conscience. Au procès, le docteur HERPIN dira que sans l’aveu de Jean VANDEPUT, s’il avait eu la certitude d’être seul au courant, il aurait délivrer le permis d’inhumer. De toute façon, les parents étaient dans le collimateur du personnel de la clinique où la mère avait accouché, et le Docteur WEERTS alerta le parquet, qui envoya un policier chez les VANDEPUT.

Le parquet ne put donc que constater le décès de l’enfant. Son premier réflexe est d’imposer le silence aux informateurs judiciaires. Les chefs d’information des journaux sont convoqués avec pour consigne de taire l’affaire. L’indiscrétion d’un hebdo ruina tout. Le parquet voulait ainsi certainement classer l’affaire sans remous, mais la médiatisation l’obligea à engager des poursuites et à ouvrir une instruction. Instruction qui mit en lumière un jeune ménage modèle qui avait tout prévu pour accueillir l’enfant. Instruction également qui déchaîna l’opinion qui ne pouvait admettre de voire juger les VANDEPUT avant même que le procès de la THALIDOMIDE n’ait eu lieu. Suzanne VANDEPUT a en effet pris de la thalidomide au mois de juillet précédent.

Suzanne, sa mère, sa sœur, et le Docteur CASTERS sont incarcérés durant l’instruction menée par un magistrat sans expérience et dépassé par les événements. Ainsi fait-il une reconstitution du dernier biberon et explorer les canalisations de la maison des VANDEPUT pour voir si du poison n’est pas retrouvé.

Au procès, le temps fort sera la lecture d’une lettre du professeur HELLER de la SORBONNE, dont la fille était née infirme : « Je ne discute pas des arguments juridiques, sociaux ou religieux qui vous seront avancés et qui sont eux-mêmes d’une grande valeur. Je veux seulement porter témoignage des souffrances d’une enfant, et par elles, vous faire sentir qu’à côté d’une débat théorique, il existe une autre vérité beaucoup plus simple qui n’est pas faite d’idées ou de principes, si justes soient-ils, mas de gémissements, de cris pendant des nuits entières et de regards effarés qui supplient dans l’inconscience. Débats de conscience ? il est vite clos. Les règles de la loi, les principes de la morale publique ou de la religion peuvent nous convaincre de nous infliger à nous-mêmes les plus douloureuses épreuves, ils ne peuvent nous obliger à les infliger aux autres, surtout à des enfants. Si tant de parents et de médecins laissent le tragique destin s’accomplir, ce n’est pas dans une pleine conscience qui en feraient des criminels. C’est d’abord parce qu’ils gardent au début l’espoir insensé d’un miracle, et qu’ensuite il est trop tard. C’est aussi parce qu’il faut un courage singulier pour décider de la mort d’un enfant. »

Le professeur HOET fait quant à lui un exposé sur les ravages de la thalidomide et des malformations congénitales très impressionnant.

Le jury acquitta les cinq accusés en 1 heure 48. Massivement en faveur des accusés, la foule accueillit par des hurlements de joie le verdict. Il y eut cependant, comme de nos jours encore, des voies pour critiquer la perversité de l’acquittement, qui niait purement et simplement un geste homicide pourtant avéré. Les journaux recevèrent un courrier innombrable pour dénoncer un assassinat qui pourrait de généraliser sur chaque enfant handicapé. L’épiscopat de Belgique publia un texte appelant à la charité chrétienne et à la désapprobation de l’euthanasie.

Les protagonistes sont eux retournés à l’anonymat. Les deux ménages VANDEPUT et DE LA MARK ont divorcé. Le Docteur CASTERS décédera peu de temps après d’un cancer.

1 réponse
  1. J fourny
    J fourny dit :

    J’ai connu personnellemnt le docteur Casters. Il avait refusé de délivrer l’ordonnance qu’on lui réclamait. Sur l’insistance de la famille, il avait seulement renouvelé celle destinée à la grand-mère de l’enfant qui prenait des somnifères.

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