Des pirates interceptés entre les Seychelles et Mombasa au Kenya, le 5 mars 2010.
De Otto BAKANO (AFP) –
MOMBASA — Un fusil-kalachnikov rouillé, une poignée de cartouches de 7.62 mm dans un sac plastique sont posées à même le sol de la salle d’audience d’un tribunal de Mombasa (sud-est du Kenya).
Aujourd’hui pourtant, pour le procès de sept pirates somaliens présumés, c’est l’accusation qui est dans le collimateur.
Pour Eliud Lagat, policier kényan et expert en balistique, ces armes sont en état de fonctionner. Son témoignage devant un tribunal de Mombasa (sud-est du Kenya) est immédiatement contesté par la défense.
« Avez-vous enregistré votre déposition auprès de la police? », lui lance l’avocat Francis Kadima. « Vous auriez dû le faire ».
« Etes-vous au courant que ces pièces à conviction ont été examinées après le début du procès de l’accusé? », argue le juriste à lunettes. « Saviez-vous que votre rapport servirait à un procès? », martèle-t-il.
« Non », lui répond l’expert, visiblement irrité de cet interrogatoire inattendu.
Les sept suspects ont été arrêtés en février 2009 dans le golfe d’Aden par la marine américaine, peu après une attaque manquée contre un pétrolier, le Polaris.
Les suspects ont été interceptés par le croiseur USS Vella Gulf, et ramenés à terre en mars 2009 à Mombasa.
Ils figurent parmi la centaine de Somaliens, pirates arrêtés en mer et remis aux autorités kényanes par les navires de guerre des principales marines du monde qui luttent contre la piraterie dans le golfe d’Aden et l’océan Indien.
Le Kenya est le premier pays d’Afrique orientale à avoir accepté de juger des pirates arrêtés en dehors de ses eaux territoriales et il pourrait être bientôt rejoint en cela par les Seychelles.
Mais ces procès sont compliqués par de nombreux obstacles juridiques et les craintes que les droits de la défense pourraient ne pas être respectés.
Les critiques se concentrent sur la crédibilité des preuves, l’absence de témoins, la barrière de la langue et les différences de standards légaux entre les Etats impliqués.
Dans le cas du Polaris, les dépositions des militaires américains qui ont arrêté les sept suspects se résument à un bref exposé de leur arrestation. Selon la loi kényane, les témoignages doivent être circonstanciés au maximum.
La législation stipule également que les suspects doivent être présentés à un juge dans les 24 heures suivant leur arrestation: ce qui n’a été fait qu’un mois plus tard pour les sept Somaliens.
Pour leur défense, ceux-ci affirment être de simples pêcheurs, arrêtés par erreur. Les armes trouvées à bord de leur embarcation? « Tout le monde est armé en Somalie », assure Abshir Salat, qui s’exprime au nom de ses co-accusés.
« Nous ne sommes pas des pirates, juste des pêcheurs, nous n’avons commis aucun crime », affirme M. Salat, dans l’air humide et étouffant de la salle d’audience.
Le Kenya a accepté de juger les pirates somaliens sur la base de la Convention de l’ONU sur le droit de la Mer, d’accords bilatéraux avec l’Union européenne et les USA, et une nouvelle législation maritime, la Merchant Shipping Law.
Avi Singh, avocat et membre de l’association Avocats du monde, conteste cependant la légitimité de ce tribunal. Selon la convention de l’ONU, « la juridiction concernée est celle des pays dont les navires de guerre ont capturé les suspects », affirme M. Singh.
D’autres observateurs s’inquiètent également de l’équité du procès, mettant en avant la corruption notoire de la justice kényane.
« Il est étrange que l’UE et les USA critiquent sans cesse les tribunaux kényans (…) et s’en remettent pourtant si facilement à eux pour condamner des pirates présumés », estime Me Sing.
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