La décision du juge national interdisant aux journalistes de rendre compte d’un procès pénal en cours par la diffusion de l’image de l’accusé n’emporte pas nécessairement violation de l’article 10 de la Convention.
par Sabrina Lavricle 2 octobre 2017

Dans le cadre d’un procès pour meurtre, précisément pour meurtre sur ascendants, le président du tribunal régional de Potsdam demanda, le 11 janvier 2011, aux journalistes qui couvraient l’affaire de ne pas diffuser d’images de l’accusé. Quelques jours plus tard, estimant que les droits de la personnalité de ce dernier devaient l’emporter sur l’intérêt du public d’être informé, il prit une décision motivée par laquelle il autorisait à filmer ou photographier pendant le procès les seuls journalistes qui s’étaient inscrits auprès du tribunal en fournissant l’assurance qu’ils ne diffuseraient pas d’images révélant l’identité de l’accusé. Deux entreprises de médias allemandes contestèrent cette décision et demandèrent sa suspension, d’abord auprès du président du tribunal lui-même qui décida de la maintenir, ensuite devant la Cour constitutionnelle fédérale qui refusa d’examiner le recours. Les entreprises requérantes saisirent alors la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), soutenant que la décision en cause avait violé leur droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention européenne.

Dans son arrêt, la CEDH examine la restriction imposée aux requérantes dans l’exercice de leur droit d’information au regard des critères de légitimation du paragraphe 2 de l’article 10. Recherchant d’abord si l’ingérence subie était bien « prévue par la loi » (§ 35), elle relève que la disposition appliquée, qui conférait au président un large pouvoir de police de l’audience, avait été interprétée par la Cour constitutionnelle fédérale, ce qui lui conférait la précision nécessaire. S’agissant du but légitime poursuivi, elle note ensuite que l’ordonnance visait la protection des droits d’autrui, au premier rang desquels le droit de l’accusé à la présomption d’innocence (§ 38). Enfin, pour savoir si l’ingérence était bien « nécessaire dans une société démocratique », la CEDH rappelle les critères qu’elle a dégagés pour mettre en balance le droit à la liberté d’expression et le droit au respect de la vie privée (v. not. CEDH, gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France, n° 40454/07, § 88-93, Dalloz actualité, 27 nov. 2015, obs. J. Gaté  ; AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen  ; D. 2016. 116, et les obs. , note J.-F. Renucci  ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize  ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser  ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud ), à savoir : la contribution à un débat d’intérêt public, le degré de notoriété de la personne, l’influence sur la procédure en cours, les circonstances dans lesquelles les photos ont été prises, le contenu, la forme et les conséquences de la publication ainsi que la sévérité de la sanction imposée.

Après avoir rappelé le rôle essentiel joué par la presse dans une société démocratique et, en particulier, son devoir de délivrer des informations et des idées sur tout sujet d’intérêt public, ce qui inclut celui de rendre compte des affaires pénales en cours (v. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c. Allemagne, n° 39954/08, § 80, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric  ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize  ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud ) dans le respect de certaines limites tenant au respect de la vie privée ou de la présomption d’innocence (v. CEDH, gr ch., 29 mars 2016, Bédat c. Suisse, n° 56925/08, § 51, RSC 2016. 592, obs. J.-P. Marguénaud  ; JCP 2016, n° 17, 507, obs. H. Surrel ; C. Bigot, Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en matière de liberté d’expression, août 2015 – juill. 2016, Légipresse 2016, n° 341, p. 495), la CEDH relève dans cette affaire que l’information sur l’apparence physique de l’accusé n’apportait aucun éclairage sur les faits (§ 46) ; que son identité n’était pas déjà connue du public (§ 50) ; que la présomption d’innocence devait être respectée, en dépit des aveux passés, lesquels devaient être scrupuleusement vérifiés par le tribunal (§ 51) ; que l’interdiction de la diffusion de l’image de l’accusé contribuait non seulement à ne pas entraver sa future resocialisation mais encore à lui garantir un procès équitable, en lui évitant une pression psychologique supplémentaire alors qu’il souffrait déjà d’importants troubles de la personnalité (§ 54) ; que l’ordonnance n’empêchait pas les journalistes de rendre compte autrement du procès en cours, de sorte que le juge avait opté pour la mesure la moins restrictive possible (§ 56).

De tous ces éléments, la CEDH déduit que le président du tribunal a parfaitement apprécié le conflit entre les intérêts en présence et appliqué les dispositions pertinentes du droit interne après avoir soigneusement soupesé les éléments pertinents du dossier (§ 58). Jugeant que sa décision était bien proportionnée au but légitime poursuivi, elle conclut que l’ingérence dans le droit des requérantes à la liberté d’expression était nécessaire dans une société démocratique et qu’il n’y a donc pas eu de violation de la Convention européenne des droits de l’homme (ibid.).

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