Enquête
LE MONDE | 13.10.09 | 15h42  •  Mis à jour le 13.10.09 | 16h46

ercredi 30 septembre. Belle assemblée de juristes dans les salles du multicentenaire Collège des Bernardins, à Paris. Jean-François Copé, 45 ans, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, ouvre le colloque qu’il organise pour le compte du cabinet d’avocats Gide-Loyrette-Nouel, sur le thème : “Crise financière, un an après : le droit peut-il rétablir la confiance ?” Gros succès.

Les hommes politiques sont de plus en plus nombreux à mêler carrière d'avocat et engagement dans la vie publique.

AFP/MICHEL GANGNE

Les hommes politiques sont de plus en plus nombreux à mêler carrière d’avocat et engagement dans la vie publique.Trois mois plus tôt, on avait déjà vu ce même cabinet d’avocats à l’oeuvre. En ce jeudi 18 juin, la loi relative à la fusion des Banques populaires et des Caisses d’épargne est promulguée. La majorité UMP à l’Assemblée nationale, cornaquée par M. Copé, adopte sans barguigner le projet de loi, indispensable pour la fusion. Les Caisses d’épargne ne peuvent que se féliciter du travail des équipes du cabinet Gide-Loyrette-Nouel, leur conseil référent : quelque 700 juristes, 24 bureaux répartis dans le monde, et un “senior adviser” dont le nom est un atout indéniable, Jean-François Copé.

Rien d’illégal dans cette présence sur tous les fronts, des colloques sélects aux bureaux feutrés où l’on parle gros sous. Juste un prégnant parfum d’intérêts communs négociés entre bons amis. Une influence, un carnet d’adresses, cela vaut de l’or, sur le marché très concurrentiel des avocats d’affaires. Compter dans ses effectifs le patron de la majorité au Palais-Bourbon, c’est s’assurer d’un soutien sans faille du Parlement, c’est surtout s’attirer les bonnes grâces de ses prestigieux clients.

“C’est vrai, j’ai intégré le plus gros cabinet de la place, confirme Jean-François Copé, mais il n’avait pas besoin de mon carnet d’adresses, ils ont déjà tout le CAC 40 !” On lui a reproché son rôle dans la fusion des Banques populaires avec les Caisses d’épargne. “Cela relève du fantasme, répond-il. Je ne fixe pas le calendrier parlementaire, et personne n’avait besoin de moi pour faire passer cette loi avant le 30 juin. Bon, on s’en prend à moi, j’ai la gueule de l’emploi…”

Le député de Seine-et-Marne assume crânement son passage au privé. Il a prêté serment devant la cour d’appel de Paris en mai 2007. Depuis, il dispose d’un bureau chez Gide-Loyrette-Nouel, se dit payé à la prestation, s’occupe de médiation et demeure ravi d’être associé à la réflexion stratégique du cabinet. “Je ne suis pas complètement con, ajoute-t-il. J’ai imaginé des bornes déontologiques : je refuse les dossiers dans lesquels je serais amené à me retrouver contre l’Etat, et je ne m’occupe pas de problèmes fiscaux.” En tant qu’ancien ministre délégué au budget, cela ferait désordre.

Jean-François Copé n’est pas le seul personnage politique à devenir avocat. Les députés François Baroin ou Claude Goasguen (UMP), Noël Mamère (Verts), Christophe Caresche (PS), le porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre ont fait le grand saut, tout comme l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, depuis 2007.

Pour le parlementaire lambda qui souhaite revêtir la robe, il suffit d’exhiber un casier judiciaire vierge, de présenter un mince dossier au conseil de l’ordre, un rapporteur est alors nommé. En vertu de l’article 98 du décret du 27 novembre 1991, peuvent postuler “les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration, ou un service public ou une organisation internationale”. L’heureux élu est même dispensé de la formation théorique et pratique – dix-huit mois – et évite le concours au certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA). Aucun refus n’est recensé. Une fois que le parquet de Paris a donné son aval, il ne reste plus au nouvel avocat qu’à prêter serment, au milieu d’une fournée de jeunes impétrants, et à se prêter au jeu des photos souvenirs…

“Il est bon pour la profession de compter des députés, estime Hervé Robert, le responsable du service de l’exercice professionnel au barreau de Paris, cela donne une bonne image du métier. Leur seule contrainte, c’est qu’ils ne peuvent agir contre l’Etat.” On a pourtant vu un Noël Mamère plaider en faveur des faucheurs d’OGM qui refusaient un prélèvement de leur ADN, l’Etat était donc forcément concerné, mais cela reste rare. Le député écologiste de Gironde a prêté serment en mai 2008. “Je n’ai pas négocié chèrement mon carnet d’adresses comme Copé ou Villepin, dit-il, ils ont le CAC 40 à leurs pieds, il y a des conflits d’intérêts évidents. Leur cas, pour moi, symbolise un affaiblissement de la démocratie.”

Noël Mamère estime que ce nouveau métier n’est que “la continuation d’un combat naturel”. Il s’est fait domicilier chez un avocat connu pour sa défense des droits des homosexuels, et il a en outre plaidé en faveur d’Olivier Besancenot. “Je reçois beaucoup de demandes, des gens qui ont fait le tour de France des avocats, explique-t-il. Je choisis à la tête du client, je veux que mes plaidoiries soient politiquement symboliques. Et pour l’instant, cela me coûte plus cher que cela ne me rapporte !” Il plaide avec talent, paraît-il. “J’improvise, je pratique une défense de rupture, à la Vergès…”

Les cabinets sont à l’affût de ces confrères d’un nouveau genre. Denis Hubert a vite vu l’intérêt de compter dans ses effectifs le député socialiste de Paris, Christophe Caresche. “Christophe Caresche a fait partie pendant dix ans de la commission des lois à l’Assemblée nationale, c’est une sacrée valeur ajoutée, dit-il. Mais c’est le carnet d’adresses qui nous intéresse, notre profession interdit de démarcher des clients. Donc, l’entregent d’un député est essentiel.”

Ceux-ci le savent bien, qui monnayent au prix fort leurs relations. L’intérêt financier est patent, même s’ils se montrent discrets sur les tarifs pratiqués. “En tant qu’avocats, ils sont en droit de se faire rémunérer très officiellement des conseils qu’ils donneraient gratuitement comme députés”, résume Hervé Robert, au barreau de Paris. Plus besoin de dessous de tables, puisque tout est déclaré, enregistré, et légal.

Les voilà donc qui jonglent entre leurs permanences électorales, leurs mairies, leurs bureaux au Palais-Bourbon et leurs cabinets. Pas si aisé. François Baroin, l’ancien ministre de l’intérieur, fut l’un des premiers, en 2001, à sauter le pas, en étant domicilié chez l’avocat Francis Szpiner, très proche du camp chiraquien. “Je ne fais que du pénal, ça m’oxygène la tête, assure M. Baroin. La politique, c’est un métier où l’on est à la merci de tout, où l’on dépend d’un homme et de ses humeurs. Ejecté du gouvernement par Nicolas Sarkozy, je peux désormais choisir deux ou trois affaires par an, c’est un métier de conviction, je ne le fais pas pour le fric.”

Ces nouveaux avocats savent prendre la parole en public, impressionnent les magistrats, peu habitués à fréquenter une telle compagnie. Mais il leur faut aussi se faire accepter, quitte à se fondre dans le moule avec une certaine humilité. Comme Frédéric Salat-Baroux, ancien secrétaire général de l’Elysée sous Jacques Chirac. “J’ai cherché du travail pendant deux mois, je n’ai rien trouvé, relate ce conseiller d’Etat. J’avais le goût de ce métier libéral, je veux le faire vraiment comme les autres, c’est un travail artisanal, qui ne se délègue pas.”

Il sait bien que son carnet d’adresses a été un atout lors de son arrivée au cabinet Weil-Gotshal. “J’étais ce que j’étais, ce n’est pas neutre, mais le carnet d’adresses n’est pas tout. On connaît des gens, mais souvent, ce sont d’autres qui vous donnent votre chance.” Il s’occupe de droit de la régulation, souvent dans le domaine de l’énergie ou des télécommunications. S’appeler Salat-Baroux peut être utile. “Je connais les administrations, je sais comment elles fonctionnent, mais il faut éviter le copinage si l’on veut durer dans ce métier.”

Christophe Caresche vient de prêter serment, en septembre. Lui ne s’interdit rien par avance, hormis de plaider contre l’Etat. “Je n’ai aucun état d’âme, je rentabilise mon carnet d’adresses, explique le député de Paris. Je prendrai les dossiers liés à la mairie de Paris, tout en étant candidat à nouveau en 2012. Les gens n’ont pas le droit d’être défendus ? D’ailleurs, si je pouvais avoir une affaire contre l’Hôtel de Ville, ça me ferait rire…” L’avenir l’inquiète, une éventuelle défaite électorale, sans parler d’une probable lassitude du métier politique. On lui a bien seriné l’adage en vigueur dans ce métier : “C’est le client qui fait l’avocat, pas l’inverse.” Il ne s’inquiète pas. “Je prendrai le temps de me former.”

Bon nombre de députés sont aussi d’anciens avocats. Ils observent avec un certain amusement, parfois avec agacement, les agissements de leurs collègues. “Avocat, c’est un métier, lâche Arnaud Montebourg, député (PS) de Saône-et-Loire, qui ferrailla, alors jeune avocat, contre Jacques Chirac. J’ai fermé mon cabinet en entrant en politique, car j’estimais être en conflit d’intérêts. Ces députés qui revêtent la robe ne sont pas des avocats, mais des apporteurs d’affaires. Il y a une déontologie à respecter. Cela dit, la profession d’avocat a tout intérêt à s’ouvrir.”

Claude Goasguen, député (UMP) de Paris, avocat depuis 2001 et professeur de droit, fait un autre constat : “Le métier d’avocat change, il est moins juridique qu’avant, plus tourné vers le business, on ne plaide plus beaucoup.” Le risque de conflits d’intérêts ? “Vous savez, les avocats ne se font pas de cadeaux entre eux, ça se saurait très vite, s’il y avait des abus.”

Gérard Davet
Article paru dans l’édition du 14.10.09
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