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CHAMPENOIS Sabrina

«Moi ? Comme dit mon mari, je plaide comme une pelle.» Elle balance ça avec un petit sourire, Hannelore Cayre, limite bravache. Ferait-elle sa maligne, la grande gigue blonde ? Voilà une avocate pénaliste en exercice depuis dix ans, à Paris, collaboratrice de son époux. Jean-Christophe Tymoczko n’est pas une star du barreau, mais il arrive que son nom apparaisse au détour de faits divers médiatisés comme le décès d’un policier à la foire du Trône (il défend l’ado de 15 ans suspecté d’avoir poussé le gardien de la paix), ou le procès fait à Jean-Marc Priez, l’ex-président de l’association d’information sur les drogues Techno +, poursuivi pour facilitation et incitation à l’usage de drogue. Sa femme dit que «ça marche plutôt bien pour lui, plusieurs affaires par jour», quand la fréquence se fait pour elle plus aléatoire, mais sans que ça paraisse poser problème. Dans le même temps, Hannelore Cayre certifie que leur ordinaire professionnel est celui de ses livres, «qui peuvent apparaître outranciers», mais ne restituent que du vécu, par elle, lui, ou par des collègues ; et elle a des tonnes de récits en réserve.

Depuis trois ans, Hannelore Cayre secoue le cocotier du polar juridique. En termes de ventes, 6 000 à 8 000 exemplaires par livre, il n’y a pas de quoi téléphoner à sa mère. Sur le fond et la forme, en revanche, pourquoi pas. Son personnage fétiche, l’avocat parisien Christophe Leibowitz-Berthier, s’inscrit radicalement en faux contre l’imagerie afférente au job – au choix, héros incorruptible, intuitif limite médium, ou requin sans foi ni loi. Leibowitz, lui, n’a aucune grandeur, ne vaut pas mieux que ses clients, à 80 % des petits dealers qui oublieront de le payer. Un paria du barreau, Leibowitz. Alcoolique jusqu’à la lie. Cynique, couard et combinard, que les juges regardent comme «un étron». Ce qui d’ailleurs le ravit, lui qui mène le récit et allume tous azimuts : ses pairs, mais aussi le parquet, les flics. Des Scud, voilà ce que sont ces polars, et qu’ils viennent du sérail amplifie évidemment l’intérêt suscité par une verve ­vandale.

A lors, noble porte-voix des obscurs de la justice, Hannelore Cayre, dont le premier roman était dédié «aux soutiers du pénal et à Jean-Christophe» ? Rien du tout. Si elle parle de son mari comme d’un quasi-Zorro («Quand il accepte de défendre quelqu’un, c’est chaque fois comme s’il avait à sauver sa propre peau»), elle-même se décrit en simili-Leibowitz, passant un poil désabusée d’un dossier à l’autre ( «Cas classique : un petit dealer du canal Saint-Martin»). Un chroniqueur judiciaire qui l’a vue à l’oeuvre la décrit pourtant «solaire, dégageant une incroyable énergie». Qu’importe, elle ne cache pas rêver de remiser la robe pour l’écriture. Sachant que, à bon entendeur, salut, c’en est fini de Leibowitz : «J’estime être capable d’écrire autre chose que des polars à avocat.» Son ambition : renouer avec l’école réaliste du XIXe, Balzac & co. «Arriver à dézinguer une situation en une phrase, et atteindre une implacable véracité.» C es temps-ci, elle prépare l’adaptation cinématographique des aventures de Leibowitz, elle précise non sans fierté qu’elle a obtenu du palais une autorisation de filmer où elle veut dans la partie correctionnelle, «une première, pour une fiction».

C’ est un intrigant mélange, Hannelore Cayre. Incendiaire à l’écrit, créature d’une idoine urbanité trendy en chair et en os. Qui abonde en «pétasse !» ou «sale con !» tout en louant Jouhandeau ou Mirbeau, qui se dit «absolument à gauche» mais soufflette Ségolène d’un bon mot («J’ai voté pour elle aux deux tours, mais je déteste ce qu’elle représente, l’institutrice frigide qui tape sur les élèves qui lèvent le doigt»). Ça décoiffe, c’ est séduisant, mais un poil risqué : entre provoc trash chic et véhémence engagée, le soupçon d’affectation, de pose, peut faire son trou. Et il n’est pas interdit de penser que c’est ce qui agace le milieu du polar, dont elle dit qu’il la bat froid. Elle est lucide, d’ailleurs : «C’est mon côté bourge qui les dérange ; bourge de gauche, mais bourge quand même.» Elle a en tout cas l’élégance de ne pas nier son goût pour le confort, de ne pas dissimuler la maison avec jardin dans Paris intra-muros, ni les fringues de créateurs. A propos des dossiers qu’il lui arrive de partager avec son mari, elle dira qu’ils jouent alors «à Jonathan et Jennifer», ce couple de milliardaires à l’oeuvre dans le surréaliste feuilleton Pour l’amour du risque.

Son éditrice, Anne-Marie Métailié, la dit «très culottée» ; son amie Emmanuelle Uzan, chroniqueuse à l’émissiontélé On n’est pas que des parents, la voit«passionnante, pas forcément tendre, mais très drôle, capable de tout, très libre». «Il n’y a qu’à voir son parcours professionnel.» Avant d’être avocate, Hannelore Cayre faisait directrice financière à France 3 Cinéma. Jusqu’à ce jour de 1990 où, en vacances au Chili, pays de son premier mari, sa vie bascule. Accident de voiture, lui indemne, elle défigurée et touchée à la colonne vertébrale. Résultat, cinq mois tétraplégique, deux ans avant de recouvrer un usage correct de ses membres. Elle en conserve une claudication, une main légèrement repliée, un nez légèrement de guingois, et d’autres séquelles insoupçonnables comme cette insensibilité au froid qui la fait ne pas se couvrir assez et se retrouver comme ce jour enrhumée et affligée d’une «voix de canard».

Elle dit que c’est le goût de l’anecdotique et du fait divers qui l’a fait reprendre ensuite ses études de droit pour gagner le prétoire. Mais le côté show du métier semble aussi lui aller comme un gant, à cette grande gueule qui transforme le moindre détail de la vie quotidienne en quart d’heure homérique. Voir comme elle raconte cette fois où son fils de 8 ans a émis le désir de posséder une minimoto. «Une minimoto ! Mais j’ai dit : Albert, une minimoto, c’est moche, ça fait du bruit, ça pollue, et puis ça véhicule tous ces symboles liés au sport mécanique, le machisme, la fausse puissance. » Idem à propos de son ado de fille – qu’elle a adoptée bébé au Chili -, qui a eu le malheur de revenir avec un drapeau américain acheté dans une brocante. «Elle a argumenté qu’elle l’avait trouvé joli ; je lui ai répondu que ce n’était pas possible, elle qui est née dans un pays qui a connu la dictature, qu’il fallait réfléchir, s’interroger.» On la croit sur parole quand elle dit qu’avec son mari les différends d’ordre domestique tournent aux procès-fleuves.

Ses propres parents, c’est un sujet sur lequel elle se déchaîne, Hannelore Cayre. Le père, surtout. Pied-noir de Tunisie, fils d’un Auvergnat communard banni de l’Hexagone, il dirigeait une entreprise parisienne de transports routiers, spécialisée dans les destinations à risques (pays en guerre, «sensibles».) et les chauffeurs repris de justice. «Un nouveau riche qui ne croyait qu’au fric», siffle sa fille unique. Elle a très vite rêvé d’autre chose, notamment au contact des profs et des camarades d’un lycée autogéré. Il avait prévu qu’elle prenne sa relève, elle lui a échappé en prenant le chemin du droit. La mère, elle, est une Autrichienne (d’où ce prénom, que l’intéressée invite à prononcer «Annéloré») juive qui a fui l’Anschluss pour la France, où elle a connu le camp des Milles, près de Marseille. Très jolie et très coquette, elle a été doublure lumière de Viviane Romance avant de scotcher les regards des passants en étalagiste aux Galeries Lafayette. Ça vaudrait bien un roman ? Hannelore Cayre y travaille.

photo Rémy Artiges

Hannelore Cayre en 6 dates

24 février 1963

Naissance à Neuilly-sur-Seine.

21 novembre 1990

Accident de voiture au Chili.

1997

Prête serment.

2004

«Commis d’office»

(éd. Métailié).

2005

«Toiles de maître»

(éd. Métailié).

2007

«Ground XO»(éd. Métailié).

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