Xavier Beneroso

C’est l’histoire sans fin d’une « longue peine ». Abdelhamid Hakkar, 53 ans, écroué depuis le 2 septembre 1984 pour un vol à main armée et le meurtre d’un policier, collectionne un triste record. Il a passé un quart de siècle entre quatre murs. Embastillé actuellement à Ensisheim, près de Mulhouse, il n’aperçoit toujours pas le moindre signe de libération conditionnelle. Ce détenu, célibataire sans enfants, semble condamné à vie. Un cas rarissime, même pour les « perpétuités » qui finissent toujours par voir s’ouvrir, un jour, les portes de la prison. Aujourd’hui, Hakkar livre son ultime combat judiciaire. Le détenu est sceptique. Comme il l’écrit, le 11 mai dernier, dans une lettre à son avocate, Me Marie-Alix Canu-Bernard : « Je m’épuise à la longue tel le mustang qui tourne perpétuellement en rond dans son enclos et qu’on prive de toute perspective de liberté. » « Qu’est-ce qu’on lui fait payer ? » s’énerve son conseil. Et de préciser le déroulé de son marathon carcéral.

En vingt-cinq années d’emprisonnement, Hakkar a connu près de 45 transferts entre les différents établissements français. Il a été placé au total douze ans à l’isolement – ce qui a valu à la pénitentiaire d’être condamnée par le tribunal administratif. Sans oublier le « mitard », les quartiers disciplinaires, qu’il a fréquentés durant quinze mois. Le paradoxe réside surtout dans le fait que, théoriquement, Abdelhamid Hakkar peut prétendre à la libération conditionnelle depuis maintenant près de neuf ans. Le terme de sa période de sûreté, fixée à seize ans de détention, est écoulé. De manière logique, Hakkar pouvait espérer… Mais le parcours vers la liberté de cette « longue peine » se heurte à un mur.

« La guillotine ? Chiche ! »

Le 31 janvier 2006, Hakkar avait écrit à Pascal Clément, le garde des Sceaux de l’époque. Une missive au vitriol. « Vos centrales sont devenues des annexes des hôpitaux psychiatriques (…) au point de nous amener à vivre au quotidien un remake de Vol au-dessus d’un nid de coucou. On voudrait faire perdre la raison à ceux d’entre nous qui ne l’auraient pas encore perdue qu’on ne n’y prendrait pas autrement. » En guise de conclusion, Hakkar lançait un défi désespéré à l’adresse du ministre. « A choisir la mort lente  que vous m’avez programmée, c’est moi qui vous prends au mot. Chiche : revenez ici avec la guillotine, moi je m’y présenterai. Je ne me résigne pas à mon sort d’enterré vif. » Changement de tête Place Vendôme. Le 9 décembre 2008, Rachida Dati répond à Jack Lang qui s’est mobilisé pour le détenu. La ministre de la Justice botte en touche : « M. Adbelhamid Hakkar n’a fait l’objet d’aucun acharnement judiciaire. » Voire…

Une justice autiste

Cela fait près de quinze ans que le divorce entre la magistrature et le détenu vindicatif a débuté. Le 15 décembre 1995, le Conseil des ministres du Conseil de L’Europe a condamné l’Etat français, considérant que M. Hakkar n’avait pas été jugé dans un délai raisonnable et que surtout, n’ayant pas bénéficié de l’assistance d’un avocat, son procès était inéquitable. Une gifle pour les institutions françaises. La justice a dû à nouveau juger le tueur de policier qui n’a jamais reconnu son crime. Cette victoire, Hakkar la doit d’abord à lui-même. « Qu’est-ce qu’on cherche à lui faire payer, le fait qu’il soit devenu en prison un éminent juriste ? » s’agace une nouvelle fois Me Marie-Alix Canu-Bernard. L’interrogation est justifiée. Car, après avoir infligé un camouflet à la justice française, Hakkar le procédurier a perdu systématiquement son combat pour sa liberté devant les juridictions. A Tarbes en 2006, à Pau en janvier 2007, à Bordeaux en juillet 2008 ; et cette semaine à Toulouse l’avocate a bataillé sans relâche. Une affaire de principe.

« Depuis dix ans, je n’ai pas pris d’honoraires sur ce dossier », glisse-t-elle. Hakkar, lui, cherche à convaincre qu’il possède désormais le profil idéal pour une prochaine réinsertion. Il n’est plus considéré comme un détenu particulièrement signalé depuis 1999. Il rencontre régulièrement un psychologue, possède une attestation d’hébergement, une attestation d’embauche précisant qu’il est détenteur d’un CAP de sollier-moquettiste, un métier du bâtiment. Au bout de plus de deux décennies, la justice va-t-elle entendre Hakkar ? Lui continue d’y croire. Un peu. Juste un peu. Et de citer Alphonse Allais : « Un homme qui sait se rendre heureux avec une simple illusion est infiniment plus malin que celui qui se désespère avec la réalité. »


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