La ministre de la justice Rachida Dati a reçu, lundi 9 mars, les membres de la commission présidée par l’ancien avocat général Philippe Léger sur la réforme de la procédure pénale, qui avalise la suppression du juge d’instruction. Dans un prérapport, que nous publions, ce comité prévoit, conformément à la volonté exprimée par le président de la République, Nicolas Sarkozy, de remplacer le juge d’instruction par un juge de l’enquête et des libertés. Cette suppression d’un symbole de la justice française avait suscité de très vives inquiétudes. Revue de détail des propositions.

Instruction. L’instruction sera menée “à charge et à décharge” par le parquet. Pour la commission, cet accroissement du rôle du parquet ne justifie pas une modification de son statut, contrairement à ce qu’avait préconisé Mireille Delmas-Marty, lorsqu’elle avait suggéré la suppression du juge d’instruction en 1990.

Le débat sur l’indépendance du parquet a agité les milieux politiques et judiciaires, mais assez peu la commission, qui ne juge pas utile d’aligner les conditions de nomination des magistrats du parquet sur celle du siège. Les procureurs sont nommés après un avis consultatif du Conseil supérieur de la magistrature, dont le ministère de la justice ne tient souvent pas compte.

Pour le comité Léger, “le véritable contrepoids à l’extension des pouvoirs du parquet est un nouvel équilibre de la procédure pénale”. Le juge de l’enquête et des libertés interviendra pour les “mesures les plus attentatoires aux libertés individuelles” (écoutes téléphoniques, perquisitions, placement en détention , etc).

Victimes et droits de la défense. Les parties civiles et la défense pourront demander au parquet de réaliser des actes. En cas de refus, le juge de l’enquête pourra enjoindre le parquet de les réaliser. “Si l’on craint l’inertie du parquet dans les affaires dites ‘sensibles’, l’organisation d’un débat public où l’action du procureur pourra être mise en cause constituera à n’en pas douter un aiguillon pour le ministère public.”

La partie civile pourra s’opposer à un classement sans suite, en matière criminelle. En matière délictuelle, la victime devra “poursuivre elle-même le mis en cause devant la juridiction de jugement par le biais d’une citation directe”. “La victime dans le cas d’accidents technologiques ou des délits financiers se retrouvera seule devant les juges”, explique Christophe Régnard, président de l’Union syndicale des magistrats (modérée, majoritaire) qui se dit “consterné” par le projet.

Les personnes mises en examen s’appelleront désormais “mises en cause”. La commission prévoit deux régimes d’instruction. Le “régime simple”, qui correspond à celui de l’enquête préliminaire aujourd’hui, ne donne pas de nouveaux droits aux “mis en causes”. “En revanche, placé sous le régime renforcé, le mis en cause disposera de droits équivalents à ceux du mis en examen dans l’information actuelle.” Le mis en cause pourra demander au parquet de passer en régime renforcé. En cas de refus, il pourra saisir le juge de l’enquête et des libertés.

Gardes à vue. L’avocat pourra avoir un deuxième entretien avec son client à la douzième heure de garde à vue, avec accès aux procès-verbaux des interrogatoires de son client. Il pourra assister aux interrogatoires, en cas de prolongation de la garde à vue au-delà de vingt-quatre heures.

Ces mesures ne s’appliquent pas pour la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et le terrorisme. Pour limiter le recours aux gardes à vue qui concernent 1 % des Français, la commission propose de l’interdire pour les infractions punissables de moins d’un an de prison. Dans ces cas, elle sera remplacée par une nouvelle mesure de “retenue judiciaire”, d’une durée maximale de six heures. Cette nouvelle procédure pourra être utilisée pour l’ensemble des infractions passibles d’une condamnation jusqu’à cinq ans d’emprisonnement.

Le rapport veut encadrer les délais-butoir en matière de détention provisoire avec un maximum de trois ans pour le terrorisme et la criminalité organisée et dépénalise la violation du secret de l’enquête.

Le comité explique en conclusion que “la mise en œuvre des mesures proposées ne pourra être effective qu’après un délai estimé à deux ou trois ans”. En mars 2007, le Parlement a adopté une loi, réformant la procédure pénale, issue de la commission parlementaire après le scandale d’Outreau. Le texte prévoyait la collégialité des juges d’instruction à partir de 2010, et il est en suspens depuis l’annonce présidentielle.

Dans un communiqué commun, l’USM, le Syndicat de la magistrature et l’Association française des magistrats de l’instruction dénoncent “une claire menace pour l’indépendance sans véritable avancée pour les droits de la défense”. “Cela donne tout le pouvoir au parquet et à la police. Avec un parquet complètement dépendant, c’est inquiétant dans une démocratie”, explique Christophe Régnard.
Alain Salles

LEMONDE.FR | 09.03.09 |

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