LE MONDE | 07.11.09 | 16h44  •  Mis à jour le 07.11.09 | 16h44
New Delhi Correspondance

ans le petit local flambant neuf, inauguré il y a peu par la municipalité, de New Delhi, la brigade du service des affaires sociales part à la chasse, à la chasse aux mendiants. Equipés de Caméscope et vêtus d’une robe noire, les “brigadiers” sont censés produire instantanément les pièces à conviction, et donner au juge qui les accompagne un semblant d’autorité, dans un tribunal qui n’en a pas les apparences.

Les mendiants seront en effet jugés à bord d’un bus décoré, à l’avant, d’autocollants en forme de coeur. Grâce à cette cour de justice mobile, New Delhi espère se débarrasser de ses mendiants avant les Jeux du Commonwealth, en octobre 2010. Les bidonvilles peuvent être cachés par des cloisons de bambou. Les mendiants, eux, doivent disparaître. Et puisqu’on ne mélange pas les pouvoirs d’accusation et d’instruction, la brigade monte dans un bus, le magistrat dans un autre, en direction d’India Gate, un monument très fréquenté par les touristes étrangers.

Les deux véhicules se garent discrètement à l’ombre des arbres. Tilak Raj, le visage mangé par une moustache de guerrier rajput, accompagne Azaz Ahmed, prêt à filmer avec son Caméscope. Usha Rani, excessivement maquillée et vêtue d’un sari rose, est chargée de débusquer les mendiantes. Autour d’eux, les mains qui se tendent offrent cartes postales, ballons et autres objets de pacotille.

Personne ne fait la manche. “On ne peut les attraper qu’en flagrant délit”, explique Azaz Ahmed, l’air déçu, en imitant de ses mains un poulet à qui on tord le coup. Sa collègue, elle, ramène au bus une femme en haillons, le visage baigné de larmes, avec un bébé dans les bras. “Tu mendiais ? – Non je demandais de l’argent pour m’acheter un ticket de bus. Je promets de ne plus recommencer”, supplie Shetty, âgée de 40 ans. Mère de deux enfants, elle explique avoir fui, il y a un mois, son village du sud du pays, détruit par les inondations. Quelques minutes suffisent à obtenir ses aveux. Ses quelques pièces et billets, cachés dans un pli de son sari, sont rangés dans un sac plastique.

Le juge la reçoit assis dans son fauteuil, au-dessous d’un petit ventilateur. Debout, à côté du siège du conducteur, le visage en pleurs, Shetty implore son pardon. Le magistrat accepte de la libérer tout en la mettant en garde : “La prochaine fois que l’on vous y reprend, on vous enverra au centre.” A New Delhi, les douze centres qui accueillent les mendiants sont déjà saturés. Selon les ON G, les conditions de vie y seraient inhumaines.

“CRIMINALISER LA PAUVRETÉ”

Kumar, travailleur pauvre, ne veut pas en entendre parler. Chaque soir, il rejoint quelque 200 autres manutentionnaires ou vendeurs de rue dans un dortoir lugubre ouvert par l’ONG ActionAid, à deux pas de la gare de New Delhi. “Quand je suis dans la rue, on me prend facilement pour un mendiant. La dernière fois, j’ai dû faire semblant de conduire un rickshaw pour ne pas être attrapé par la cour de justice mobile”, explique Kumar, cheveux hirsutes, chemise déchirée.

Créées en octobre 2009, les cours mobiles de justice ont jugé environ 70 mendiants. Le ministre des affaires sociales du territoire de Delhi invoque une loi de 1960 contre la mendicité pour les chasser des trottoirs de la ville. “La lutte contre la mendicité est un prétexte pour se débarrasser des pauvres. Criminaliser la pauvreté est une honte”, s’insurge Paramjeet Kaur, de l’ONG ActionAid. “Sans carte d’identité ni carte d’électeur, les pauvres sont devenus plus invisibles et vulnérables que jamais”, ajoutet-il. Selon leurs détracteurs, les cours mobiles de justice ne respecteraient pas la loi. “Chaque prévenu doit pouvoir être défendu lorsqu’il est présenté devant un juge”, regrette l’avocat Sushil Kumar Singh.

Suite à une plainte déposée par l’activiste social Harsh Mander, la haute cour de justice de New Delhi, a jugé, le 29 octobre, que les discriminations envers les mendiants devaient cesser. Elle a demandé aux autorités de présenter, le 9 novembre, un plan d’action pour lutter contre la mendicité, en s’efforçant d’“améliorer les conditions de vie” des mendiants.

Julien Bouissou
Article paru dans l’édition du 08.11.09
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