Nécrologie
LE MONDE | 06.01.10 | 15h42  •  Mis à jour le 06.01.10 | 15h42

e nationalisme corse, le barreau de Bastia et nombre de représentants – simples citoyens ou notables – de la société insulaire sont en deuil. L’avocat bastiais Vincent Stagnara, ancien bâtonnier, est mort. Victime d’une chute du troisième étage – accident ou suicide ? Il n’a laissé aucun message, mais les enquêteurs évoquent le suicide -, Vincent Stagnara, 59 ans, s’est écrasé sur le trottoir au pied de son immeuble de la rue César-Campinchi, dans le centre de Bastia, samedi 2 janvier peu après 13 h 30.

Affable, déterminé et passionné, tel était Vincent Stagnara. Né dans une famille modeste, ce fin lettré aimait son île, les discussions politiques, les livres – d’histoire et de littérature – et le Sporting Club de Bastia. Pendant près de trente-cinq ans il a plaidé en faveur des nationalistes corses. Devant la Cour de sûreté de l’Etat d’abord, puis, après la dissolution de cette juridiction d’exception par François Mitterrand en 1981, devant les cours d’assises spécialement composées de magistrats professionnels. Cet homme aux convictions marquées à gauche – il avait un temps milité au PSU au début des années 1970 avant de rejoindre l’Action régionaliste corse (ARC) -, était un partisan résolu de l’indépendance de la Corse et de la lutte “per la nazione”, qu’il soutenait “sous toutes ses formes”.

Sa vie professionnelle et son militantisme se confondaient en un seul et même engagement. C’est en 1976, en défendant le docteur Edmond Simeoni, condamné à cinq ans d’emprisonnement pour l’occupation de la cave vinicole d’Aléria, qui s’était achevée en août 1975 par la mort d’un CRS et de deux gendarmes, que Vincent Stagnara s’était révélé aux côtés d’autres avocats corses.

Après ce premier procès spectaculaire, Vincent Stagnara fut de toutes les grandes confrontations judiciaires concernant des nationalistes corses. En 1978, il est sur le banc de la défense au premier procès de 21 membres du jeune Front de libération nationale Corse (FLNC) ; il y sera en 2003 aux côtés du commando poursuivi pour l’assassinat du préfet Claude Erignac ; il y sera encore en 2006, lorsque Vincent Andriuzzi et Jean Castella, accusés d’être les commanditaires de cet assassinat, seront acquittés en appel, tout comme il y fut l’année d’avant, lors du procès en correctionnelle du chef nationaliste Charles Pieri ou encore pour plaider en faveur de Jo Peraldi, condamné à quinze ans de réclusion pour un double attentat commis en plein jour, en 1999, contre des bâtiments publics d’Ajaccio.

Parallèlement à ses activités d’avocat, Vincent Stagnara avait exercé des responsabilités de premier plan au sein de l’organisation nationaliste A Cuncolta, dont il fut secrétaire général au début des années 1980. Comme l’a révélé en 2006 l’ancien commissaire de police Lucien Aimé-Blanc dans son livre L’Indic et le Commissaire (éditions Plon), cette double exposition au service de la cause nationaliste avait valu à Vincent Stagnara de figurer à la fin des années 1970 sur une liste de cinq dirigeants nationalistes suspectés d’appartenir au FLNC, que des policiers agissant en marge de leurs services se proposaient d’éliminer.

Dans les années 1990, lorsque le mouvement nationaliste se déchire et qu’autonomistes du FLNC-canal habituel et indépendantistes du FLNC-canal historique s’entretuent, Vincent Stagnara choisit résolument le camp indépendantiste. S’il prend un peu de recul à partir de 1993, c’est pour mieux s’investir à partir de 1999, avec Charles Pieri et Jean-Guy Talamoni, dans l’exécutif de Corsica Nazione, devenu Corsica libera en 2008, à la faveur d’une énième recomposition du mouvement indépendantiste.

Vincent Stagnara considérait que la solution du problème corse passait par l’Europe et l’élargissement de ses institutions. Homme de dialogue, il avait mis beaucoup d’espoir dans le processus de Matignon commencé en 2000, sous l’égide de Lionel Jospin, alors premier ministre. “On a été à deux doigts de demander aux militants clandestins qu’ils déposent les armes”, avait-il confié au Monde quelques années plus tard. Il a été enterré lundi 4 janvier, en présence d’une foule nombreuse, dans son village d’Ersa, à l’extrémité du cap Corse.

Yves Bordenave

Dates clés
10 août 1950
Naissance à Bastia.

18 décembre 1974
Prête serment au barreau de Bastia.

1976
Défend le docteur Simeoni, jugé après l’affaire d’Aléria.

2 janvier 2010
Mort à Bastia.

Article paru dans l’édition du 07.01.10
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