CLICANOO.COM | Publié le 15 février 2009
COUR D’ASSISES. Le 22 avril 2001, cinq membres de la famille Remtoula, karanas français de Madagascar, trouvaient la mort sous les balles d’un commando armé. Demain, Mamode Abasse Mamodtaky et l’équipe de tueurs présumés, réunie au complet, est présentée devant le jury populaire. Parmi les avocats, des ténors du barreau national, comme Eric Dupont-Moretti et Gilbert Collard. Quinze jours sont prévus pour ce procès qui sort de l’ordinaire.
C’est sans doute l’un des faits divers les plus sanglants et les plus exceptionnels de la décennie, dans tout l’océan Indien, qui se présente à juger à compter de demain devant la cour d’assises de la Réunion. Une affaire hors-norme, d’autant plus inhabituelle qu’elle s’est déroulée sur un sol étranger, mais faisant des victimes françaises. À de nombreux autres points de vue, ce dossier sort du cadre usuellement connu des affaires criminelles traitées à la Réunion.
Une violence exceptionnelle La tuerie de Fenoarivo, c’est une scène digne des pires films de mafiosi. Trois hommes armés surgissent des buissons à cinq mètres à peine de la terrasse où se trouvent une quinzaine de personnes : hommes, femmes, enfants. Indifféremment, ils arrosent le devant de la villa à coups de Kalachnikov et armes de poing avant de prendre la fuite. Cinq morts, dont deux mineurs, et autant de blessés graves. Des dizaines d’impacts de balles sont relevés sur les murs, devant lesquels restent des poussettes et des vélos d’enfants. Crozet, le troisième tireur, décrira un Babar Ali faisant feu “comme un forcené” avec sa Kalachnikov. Considéré comme dangereux et capable de s’évader, Mamodtaky fait l’objet de déploiements de forces de police exceptionnels à chacun de ses déplacements depuis son arrestation. Un service d’ordre renforcé est prévu pour ce procès.
Une enquête de longue haleine À Madagascar, l’affaire va rapidement aboutir à un non-lieu. Principal suspect, Mamodtaky est blanchi par son beau-frère Babar Ali, qui, officiellement, décède en prison après s’être accusé des meurtres. L’enquête rebondit en 2003 lorsque les victimes saisissent la justice française. En cavale, Babar Ali et Mamodtaky vont être respectivement arrêtés en 2004 et en 2005. Plus de trois ans d’instruction seront encore nécessaires.
L’océan Indien comme terrain d’investigations Tuerie à Madagascar, enquête à la Réunion, la cavale de Mamodtaky l’emmènera successivement aux Comores, à Maurice, aux Seychelles, au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda… La famille Mamodtaky a aussi des intérêts au Pakistan, et c’est en région parisienne que Babar Ali refait surface en novembre 2004.
Une procédure complexe Comme il nie depuis son arrestation, Mamodtaky va multiplier les moyens de sa défense et les versions des faits au cours de l’instruction. N’hésitant pas à mettre en cause la probité d’un enquêteur et du premier juge en charge de l’enquête, ses avocats déposent de multiples recours qui ralentissent la procédure. Il faudra finalement six ans aux juges français pour clore le dossier. Et quinze jours d’audience pour tenter d’y voir clair.
La corruption de l’administration malgache en toile de fond Comment Mamodtaky a-t-il pu bénéficier d’un non-lieu à Madagascar ? Comment son complice présumé Babar Ali a-t-il pu “décéder” en prison et s’évader ainsi ? Toute l’enquête fait apparaître des soupçons de corruption de l’appareil judiciaire malgache, depuis des enquêteurs locaux jusqu’aux magistrats. Mamodtaky, à qui l’on prête des liens avec le régime Ratsiraka, ira jusqu’à faire auditionner l’ancien ministre de la justice malgache dans ce dossier. La dernière ligne de défense du principal accusé consiste d’ailleurs en une théorie du complot fomentée par l’administration malgache de l’époque pour le faire taire. Mamodtaky évoque des détournements de fonds provenant du FMI, ceci pouvant expliquer le transit vers la Réunion de quelque 15 millions de francs déclarés en 2001.
Sébastien Gignoux Infographie : F. Pinto
UNE INSTRUCTION FLEUVE Une instruction fleuve 22 avril 2001 : cinq personnes dont deux enfants de la famille Remtoula, Karanas de nationalité française établis à Madagascar sont tuées dans leur propriété de Fenoarivo, à 15 km d’Antananarivo. Abasse Mamodtaky, mari d’Anita Remtoula et principal suspect, a disparu dans la nature. Juillet 2001 : Khizar Abbas Khan, alias Babar Ali, beau-frère de Mamodtaky par sa sœur Fazilakhatoune, s’accuse des meurtres. Novembre 2001 : malade, Babar Ali décède (officiellement) en maison d’arrêt à Madagascar.
Septembre 2002 : Suite aux aveux de Babar Ali, Mamodtaky bénéficie d’un non-lieu de la part de la justice malgache.
Octobre 2002 : Mamodtaky réapparaît à Madagascar, d’où il est expulsé. Début de l’errance dans l’océan Indien.
Septembre 2003 : plainte avec constitution de partie civile d’Anita Remtoula, épouse de Mamodtaky et survivante de la tuerie. Ouverture d’une information judiciaire pour assassinats et tentatives d’assassinats. La police française reprend l’enquête.
Novembre 2004 : Babar Ali, officiellement mort, réapparaît dans l’appartement de sa femme à Garges-lès-Gonesse, en région parisienne. Interpellé, il est ramené à la Réunion, mis en examen et écroué.
Février 2005 : Mamodtaky, de retour à Madagascar, vit dans la clandestinité.
4 avril 2005 : Mamodtaky est interpellé pour entrée illégale sur le territoire par les gendarmes malgaches, après quatre ans de cavale entre Maurice, Ouganda et Tanzanie. La France demande son extradition. 2 juillet 2005 : Mamodtaky, extradé vers Paris, est escorté par les policiers à la Réunion, où il est mis en examen et écroué.
Avril 2006 : Les policiers français en enquête à Madagascar interpellent Fazilakhatoune Mamodtaky et son premier mari, Rishad Asgaraly, tous deux soupçonnés de complicité. Deux hommes malgaches sont également interpellés, reconnaissant avoir été contactés par Mamodtaky pour une première tentative d’assassinat d’Anita Remtoula début avril 2001, tentative avortée.
Août 2006 : Fajilakhatoune et Asgaraly sont extradés vers la Réunion, mis en examen pour complicité et écroués
Mars 2007 : Riaz Damdjy, est interpellé, mis en examen et écroué pour complicité par fourniture de moyens ; Jean-François Crozet est interpellé, mis en examen et écroué pour complicité d’assassinat.
Mars 2008 : Fazilakahtoune et Rishad Asgaraly, libres, bénéficient d’un non-lieu devant la chambre de l’instruction.
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