L’ensemble des juges d’instruction de Bobigny a protesté contre l’attitude des policiers dans une lettre adressée le 11 janvier au directeur de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris, Christian Flaesch. Dans ce courrier, un commissaire divisionnaire, Christophe Descoms, chef du service départemental de la police judiciaire (SDPJ) de Seine-Saint-Denis, est nommément cité pour avoir “indiqué verbalement qu’il ne serait pas donné suite à ces instructions compte-tenu des consignes contraires qui lui avaient été données par sa hiérarchie”. La lettre précise que celui-ci a “refusé de confirmer sa position par écrit.”
“Je ne ferai pas de commentaires sur un courrier que je n’ai pas encore reçu”, s’agaçait mercredi 13 janvier M. Flaesch. Il confirmait néanmoins l’annulation de l’intervention de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) “occupée sur d’autres affaires”. Dans leur lettre, les juges s’étonnaient de l’annulation de l’opération “au motif allégué de l’indisponibilité soudaine des effectifs de la BRI”.
Dans leur courrier, les magistrats rappellent que le code de procédure pénale dispose que “les officiers de police judiciaire (…) ne peuvent solliciter ou recevoir des ordres ou instructions que de l’autorité judiciaire dont ils dépendent”. Les cas de refus de collaboration entre police judiciaire et magistrats sont extrêmement rares. Ils ont toujours visé des affaires sensibles comme le refus de perquisitionner chez l’ancien maire de Paris, Jean Tibéri, à la demande du juge Eric Halphen, en 1996 ou l’affaire Borrel, en 2007, quand la gendarmerie n’avait pas voulu perquisitionné des ministères.
Les policiers font bloc
Ce n’est pas la personnalité des personnes mises en cause dont il est question ici mais de divergences d’appréciation sur la procédure dans un contexte d’extrême tension entre police et justice sur la question de la garde à vue. Plusieurs juges des libertés et de la détention de Bobigny ou Créteil ont refusé de prolonger récemment des gardes à vue, en invoquant eux aussi la CEDH. Cette polémique intervient alors que la chancellerie prépare un projet de réforme de la procédure pénale qui prévoit la suppression du juge d’instruction. La question de la garde à vue, également visée par la réforme, mobilise fortement les avocats. Si la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie veut limiter son usage – le nombre de gardes à vue a dépassé les 585000 en 2009 -, les avancées sur la présence de l’avocat en garde à vue sont jugées trop modestes.
L’institution policière fait bloc, convaincue d’avoir affaire à une offensive concertée des juges, qui prolonge celle des avocats. Sylvie Feucher, secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN) a vivement réagi à la mise en cause du chef de la SDPJ 93. “C’est une provocation. Christophe Descoms a respecté le code de procédure pénale, point”, s’insurge-t-elle en mettant en avant la “théorie des baïonnettes intelligentes” – règle qui permet à des fonctionnaires de désobéir à un ordre illégal. “Ils veulent nous pousser à la faute et créer une polémique afin de peser sur les textes”, analyse Mme Feucher.
Les policiers s’appuient sur le code de procédure pénale, les juges sur la jurisprudence européenne, susceptible selon eux d’entâcher d’irrégularités les procédures de garde à vue. “Il serait utile que cette question puisse être tranchée par la Cour de cassation afin d’éviter que des errements juridiques abousissent à laisser des délinquants dehors”, dit-on au ministère de l’intérieur. Pour les policiers, la SDPJ 93, qui comprend 130 fonctionnaires, ne peut pas donner des consignes différentes aux policiers en fonction des juges sur le même type d’affaires.
Les magistrats de Bobigny s’appuient, eux, sur plusieurs décisions de la CEDH qui a condamné la Turquie, en 2008 et 2009, pour défaut de présence de l’avocat au début de la garde à vue. En France, l’avocat est présent pour une visite d’une demi-heure sans accès au dossier ni aux interrogatoires, au début de la mesure. Dans les cas de délinquance ou criminalité organisée, l’avocat ne peut intervenir qu’au bout de 48 heures de garde à vue délai augmenté jusqu’à 72 heures pour les stupéfiants et le terrorisme.
Dans une note diffusée aux magistrats en novembre 2009, la chancellerie considère que “ce régime dérogatoire peut être justifié, au regard des faits de l’espèce et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées : cette justification n’apparait pas contraire à la jurisprudence de la CEDH”. Une interprétation qui est loin de faire l’unanimité chez les avocats et les magistrats.
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