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L’avocat de la famille Halimi pourrait faire l’objet de poursuites disciplinaires à la suite de propos “inacceptables” prononcés à l’encontre de ses confrères de la défense, “connards d’avocats bobos de gauche”, ainsi que vis-à-vis de l’avocat général, Philippe Bilger, qu’il qualifie de “traître génétique”.

L’avocat Francis Szpiner. (Sipa)

L’avocat Francis Szpiner. (Sipa)

Le procureur général de Paris, Laurent Le Mesle, a saisi vendredi 24 juillet le bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, Christian Charrière-Bournazel, d’une demande d’enquête à l’encontre de l’avocat Francis Szpiner. Le conseil de la mère et des sœurs d’Ilan Halimi pourrait ainsi faire l’objet de poursuites disciplinaires, concernant certains propos tenus dans un article publié le jeudi 23 juillet par le Nouvel Observateur. Article où maître Francis Szpiner qualifie en effet de “connards d’avocats bobos de gaucheses confrères de la défense au procès dit du Gang des Barbares. Et où il s’en prend violemment à l’avocat général, Philippe Bilger, qu’il traite de “traître génétique“, en n’hésitant pas à rappeler que le père de ce dernier fut collaborateur.

“L’idée d’une prédestination génétique me choque profondément”

Heurté, le bâtonnier, Me Charrière-Bournazel, a déclaré : “Je ne peux pas penser que maître Szpiner ait dit des choses pareilles”. Il a ajouté que ” faire ainsi référence à une filiation est un propos qu’à titre personnel je trouve inacceptable. L’idée d’une prédestination génétique me choque profondément, en tant que vice-président de la Licra. Car c’est déjà une forme de racisme”. Le bâtonnier à qui revient la décision de saisir ou non le conseil de discipline, va mener l’enquête, en commençant par entendre l’intéressé. Il agira ensuite, “comme c’est l’usage, sans en rendre compte publiquement”.

Elsa Vigoureux

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Enquête sur un appel controversé.

«Gang des barbares» la botte de Szpiner

Fofana. Ainsi en a décidé Nicolas Sarkozy, la justice n’a plus qu’à s’exécuter. Derrière cet appel inédit d’un verdict d’assises, Francis Szpiner, redoutable pénaliste, était à la manoeuvre

Il enrage depuis le début. Un procès, à ses yeux, n’est pas que bonne justice. C’est un message envoyé à la société. Et lui, Me Szpiner est de ces puissants qui voient la République comme elle tourne. Ou comme elle divague. Comme ce 13 février 2006 quand Ilan Halimi a été retrouvé agonisant le long d’une voie ferrée après avoir été séquestré et torturé pendant vingt-quatre jours, puis brûlé vif. Choisi par la mère du jeune juif, vendeur de téléphones, l’avocat tient là une affaire qui vaudra pour son exemplarité. Et voilà qu’un huis clos le frustre de la démonstration qu’il veut faire sur l’antisémitisme et la loi du silence qui gangrènent les banlieues. Il voulait la France pour témoin. Elle n’entendra rien ou si peu.
Alors, au soir du verdict, il lance son opération de dynamitage, quitte à ébranler la justice. Le jury populaire a condamné lourdement la plupart des accusés, la réclusion à perpétuité pour Youssouf Fofana et des peines criminelles allant de 3 à 18 ans pour ses complices. Ce n’est pas assez pour Me Szpiner.
D’avocat, il se fait procureur devant l’opinion. Il dénonce «l’indulgence» de la justice et interpelle Michèle Alliot-Marie. On connaît la suite. C’est sur le perron de l’Elysée, à la sortie du conseil des ministres, que la nouvelle ministre de la Justice ordonne au parquet de faire appel. Le décor dit tout : Nicolas Sarkozy, en personne, l’a voulu. Les organisations juives et antiracistes qui ont manifesté leur colère à l’énoncé des peines ont eu gain de cause. Il y aura un second procès Fofana. Le Crif, SOS-Racisme, le Cran applaudissent. Isolé dans la communauté juive, Théo Klein en appelle à la raison : «Poursuivre sur le fondement d’une émotion est toujours une erreur.» La polémique s’embrase. Les avocats de la défense dénoncent «la mainmise du pouvoir politique» et la remise en cause de l’arrêt, alors même que l’avocat général, qui parle au nom de la société, l’a trouvé équilibré.


«La justice ne peut réparer la douleur des victimes contrairement à ce que la propagande du gouvernement veut laisser croire. Sinon cela veut dire la mort contre la mort ! s’émeut l’ancienne garde des Sceaux Elisabeth Guigou. On peut comprendre les organisations juives mais la ministre de la Justice doit-elle céder à cette demande ?» Pour les avocats et magistrats, la politique des intérêts particuliers vient de s’introduire dans les prétoires. Attention, danger.
«Il faut savoir aller à l’affrontement.» Entre moquette blanche et plafonds à moulures, Francis Szpiner, dans son cabinet, se prépare déjà à la deuxième manche. «Vous savez ce que c’est un antisémite ?» Il suspend sa voix de basse, rodée aux effets de prétoire. «C’est quelqu’un qui hait immodérément les juifs !» Encadré au mur de son cabinet, le facsimilé du «J’accuse» d’Emile Zola. «Si ça, ce n’est pas un bel exemple de pression pour faire avancer une cause !» C’est un homme de petite taille mais un grand pénaliste. Orfèvre en droit, molosse au combat. Franc-maçon et très politique. Dans le prétoire, des avocats abasourdis l’ont entendu tonner contre le huis clos : «Je vais faire changer la loi !» En fait, tout est déjà préparé. Dès le début du procès, Francis Szpiner a demandé à son ami le député UMP François Baroin de rédiger une proposition de loi pour modifier la procédure (voir encadré). «Il me fallait une personnalité de gauche estimable pour que cela n’apparaisse pas comme une opération partisane, j’ai pensé à Jack Lang» Ce dernier a consenti. La proposition a été déposée avant même la fin du procès, sera-t-elle mise en oeuvre à temps ? Il y compte bien, Me Szpiner, qui fera tout pour que ce second rendez-vous soit public

Travail de sape
Longtemps il a navigué au coeur du système politique. Il le connaît par coeur. Le servir et s’en servir, telle pourrait être sa devise. Mercenaire de la raison d’Etat, il a porté haut son blason : «avocat de Chirac». Il a eu sa carte du RPR, celle l’UMP, aurait même pu devenir député si les électeurs de Saône-et-Loire ne lui avaient préféré Arnaud Montebourg. Avant de se détourner de Dominique de Villepin, il faisait partie du «cabinet noir», la cellule juridique chargée de déminer pour le pouvoir les dossiers sensibles. Avec la chute de la chiraquie, il a perdu sa position. Choisir le mauvais cheval, avec Sarkozy, ça ne pardonne pas. Le procès Fofana est aussi l’occasion de se refaire.
C’est sa 120e affaire au pénal. Et les précédentes ne sont pas les moindres : Bokassa, Carlos, le DC-10 d’UTA… Il en fait le compte dans un petit carnet. Un rituel emprunté à Jacques Isorni, l’avocat de Pétain, qu’il a connu lorsqu’il était débutant. Pour sa 120e plaidoirie, il commence par ces mots : «Au 228, boulevard Voltaire, la mort est entrée dans le magasin et elle avait le visage de Yalda.» Yalda, l’appât qui a attiré Ilan Halimi dans le traquenard. Celle qui, mineure aux moments de faits, majeure au procès, a refusé la levée du huis clos. Celle qui nourrit sa colère, réveille le souvenir de ses grands-parents morts à Auschwitz. «Elle est devenue son obsession», souffle une avocate. Quelques jours avant le réquisitoire, l’avocat de Mme Halimi comprend que l’avocat général ne va pas cogner comme il le voudrait. Alors Szpiner commence son travail de sape. L’avocat général est «mauvais». Il le dit au Palais, le fait savoir au Château, le clame au restaurant à la face de l’intéressé, Philippe Bilger, assis non loin. «Ah si seulement nous avions un bon avocat général !» Sans états d’âme, il rappelle que le père de Bilger fut collaborateur (condamné à la Libération aux travaux forcés). De la présidente, il dit qu’elle se comporte comme «une chef de gare». Du huis clos, il rapporte des propos qui mettent en émoi la communauté juive. Richard Prasquier, président du Crif, raconte : «Bilger, alors qu’il interrogeait Fofana, lui a dit : «Vous vous rendez compte que vous rendez l’antisémitisme odieux !» Cela veut dire qu’il existe un antisémitisme qui ne serait pas odieux ! Si cette phrase a été dite, alors elle disqualifie le procureur dans sa fonction.» L’émoi redouble quand, dans ses réquisitions, l’avocat général fait la distinction entre «l’antisémitisme banal, préoccupant et quotidien» et «l’antisémitisme idéologique».
Szpiner qui aime Malraux sait le poids des mots. Choisir des termes forts et les matraquer. Quand il se lève pour plaider le 29 juin, il prononce une seule fois le prénom de Yalda. Après elle est «l’appât». «Cette référence ne doit rien au hasard», souligne un de ses confrères. L’appât était le surnom de Valérie Subra, condamnée à perpétuité en 1988 pour avoir piégé plusieurs hommes supposés riches, assassinés par ses complices. Elle avait un an de moins que Yalda mais, contrairement à elle, elle connaissait le sort funeste réservé à ses victimes. Pour Me Szpiner, Yalda ment et la peine prononcée de neuf années de prison (10 à 12 requises) achève de le convaincre de faire imploser le procès.

Appuis politiques
Cet après-midi-là, Thierry Herzog, l’avocat du président, est venu écouter sa plaidoirie. Cela se fait entre confrères, parfois. Ces deux-là, amis de lycée, ont vu leurs liens se distendre. Pas au point de ne plus se parler. «Herzog, c’est l’oeil de Moscou», ironisent sur place des avocats persuadés que Szpiner en a profité pour avancer ses pions en faveur de l’appel. En fait, Szpiner, à ce moment-là, est déjà assuré de ses appuis politiques. Le président, lui aussi, veut un procès pour l’exemple. N’était-il pas Place-Beauvau lors de l’assassinat d’Ilan Halimi ? Ses flics ont été incapables de retrouver le jeune homme avant qu’il soit trop tard. Le président a une dette envers la famille Halimi. Au ministère de la Justice, l’avocat a une autre alliée. Il connaît Michèle Alliot-Marie depuis l’époque où elle dirigeait le RPR et se sent des affinités idéologiques avec Le Chêne, l’association de MAM qui regroupe «les gaullistes du renouveau». En plein procès, le Crif aussi a fait remonter au cabinet de la garde des Sceaux ses indignations et son émotion. Et ne s’en cache pas.
Au soir du verdict, vendredi 10 juillet, certains jurés n’arrivent pas à quitter les lieux où, depuis deux mois et demi, ils font face à l’horreur d’un crime qui dépasse l’entendement. Ils ont le sentiment d’avoir «bien jugé». L’Elysée n’est pas de cet avis. Le dimanche, le conseiller de Nicolas Sarkozy pour les affaires judiciaires, Patrick Ouart, téléphone au directeur de cabinet de la garde des Sceaux pour exiger l’appel. Le lendemain, à quelques heures d’une manifestation du Crif sous ses fenêtres, cette dernière ordonne l’appel. Dix-neuf personnes sont renvoyées devant les assises.
Me Szpiner a réussi son coup. Il a gagné contre Bilger, ce «traître génétique» (sic), contre ces «connards d’avocats bobos de gauche» qui regardent la banlieue «avec angélisme». Il ne dit pas comme Mme Halimi que «la Shoah recommence en 2009», mais il ne rejoint pas non plus Théo Klein qui trouve que, dans cette affaire, l’antisémitisme est second au regard de la «pauvreté morale» des coupables. Mais en gagnant, il a ouvert la boîte de Pandore. «Il n’est pas certain qu’un second procès satisfera ceux qui l’exigent, dit le bâtonnier de Paris, Christian Charrière-Bournazel. Je suis membre de la Licra et sensible à beaucoup d’arguments de Szpiner. Il veut de bonne foi faire de ce procès l’emblème de l’antisémitisme, mais c’est une erreur.» Et si les tensions communautaires s’en trouvaient exacerbées ? Si la partie civile, comme le dit Me Thierry Lévy, avait «fait le jeu de l’assassin», qui ne manquera pas de voir dans cet appel la preuve du «pouvoir des juifs» ? Dans son bureau de l’Odéon, où s’empilent les 45 volumes du premier procès, Francis Szpiner gonfle la voix contre les «muni-chois» :«Notre pays serait-il si faible qu’il ne puisse résister à la parole de M.Fofana ?» Ce dernier, en écho, vient de faire appel.

Trois points clés

– L’appel.
S’appuyant sur l’article 5 de l’ordonnance de 1958 sur le statut de la magistrature, sur l’article 30 du Code de Procédure pénale (CPP), et au nom de «l’intérêt de la société et de la paix publique», Michèle Alliot-Marie a demandé au parquet d’appliquer l’article 380-2 du CPP qui lui permet de faire appel (un droit que n’ont pas les parties civiles). Etaient visées les peines inférieures aux réquisitions. Ces écarts sont pour la plupart de un à deux ans, de trois à cinq ans pour deux condamnés dont le bras droit de Youssouf Fofana. Ce dernier, condamné à perpétuité avec circonstance aggravante d’antisémitisme, n’est pas concerné par l’appel de la ministre.

– Le huis clos.
Le second procès n’aura pas lieu avant la fin de l’année, au mieux. Si la proposition Baroin-Lang, visant à rendre possible la publicité des débats même si un mineur s’y oppose, était adoptée, elle serait d’application immédiate et rétroactive car elle porte sur la procédure. Encore faudrait-il qu’elle soit votée à temps, jugée conforme à la Constitution et à l’article 40 de la Convention internationale des Droits de l’Enfant.

Le second procès.
Il remet les compteurs à zéro : le nouveau jury pourra prononcer des peines plus lourdes ou plus légères. Son verdict ne sera plus susceptible d’appel mais uniquement d’un pourvoi en cassation qui ne portera que sur la régularité de la procédure..

Marie Guichoux, Stéphane Arteta
Le Nouvel Observateur

Sur Internet
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