a réforme de la procédure pénale voulue par Nicolas Sarkozy prend forme. Le ministère de la justice travaille actuellement sur plusieurs scénarios de cette vaste révision du code de procédure pénale, qui implique de confier l’ensemble des enquêtes judiciaires au parquet, hiérarchiquement dépendant du pouvoir, en supprimant la fonction de juge d’instruction, magistrat indépendant.
Dans un document confidentiel récent que Le Monde s’est procuré, le rôle du juge des enquêtes et des libertés, qui devrait remplacer pour partie le juge d’instruction, est précisé. Les conditions de la garde à vue sont également révisées, octroyant un droit de regard plus important à l’avocat du gardé à vue dès le début de la mesure.
Le juge de l’enquête et des libertés (JEL). Ce magistrat, qui est un juge du siège indépendant, devra, selon le projet de la chancellerie, “garantir le déroulement contradictoire de la procédure et la manifestation de la vérité par des investigations effectuées à charge et à décharge, en statuant sur les demandes formées par les parties qui n’ont pas été acceptées par le procureur de la République”. Saisi par la défense du mis en cause ou par les parties civiles (victimes) dans le cas où le parquet aurait refusé des actes d’investigation, le JEL pourra ordonner à celui-ci de s’exécuter.
Il devra aussi “garantir le respect des libertés individuelles” en statuant sur les mesures privatives de liberté (détention, surveillance électronique), mais aussi sur les actes coercitifs de l’enquête (perquisition, écoutes, prolongation de garde à vue).
Tel qu’il s’esquisse dans le projet de la chancellerie, le statut de ce nouveau juge est à mi-chemin de l’actuel juge des libertés et de la détention (JLD) et du juge d’instruction. Le projet précise qu’il aura le “rang de président (de tribunal), de premier vice-président ou de vice-président “, comme l’actuel JLD. Le juge d’instruction est nommé en tant que tel par décret du président de la République, comme le juge des enfants ou le juge d’application des peines : tel ne serait pas le cas pour l’instant en ce qui concerne ce nouveau juge.
Dans l’esprit du projet, un JEL qui aurait commencé à statuer dans le cadre d’une enquête menée par le parquet “serait seul compétent pour intervenir” par la suite. Il serait également amené à “statuer sur l’issue de l’enquête à la demande d’une partie si celle-ci conteste la décision rendue par le procureur” : en clair, le JEL pourra décider ou non du renvoi d’une personne devant le tribunal correctionnel ou la cour d’assises.
Autre garantie supplémentaire : en cas de carence du parquet (notamment s’il refuse de procéder à des actes d’investigation exigés par le JEL), la “chambre de l’enquête et des libertés” de la cour d’appel – qui remplacera l’actuelle chambre de l’instruction -, pourra désigner un de ses membres ou un JEL pour qu’il procède lui-même aux dits actes.
La garde à vue. Selon le projet, le placement en garde à vue n’est autorisé que si la personne est soupçonnée “d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement”. L’enregistrement audiovisuel de la mesure, déjà existant en cas de crime, devient possible pour les délits.
La personne placée en garde à vue peut demander à voir un avocat dès le début de la mesure. Cet avocat aura accès “aux procès-verbaux des interrogatoires” ainsi qu’à tout document que lui ferait parvenir le procureur. L’avocat pourra “demander de procéder à des actes qui lui paraissent devoir être accomplis pendant la durée de la garde à vue”. Ces demandes sont laissées à la libre appréciation du procureur.
Le gardé à vue pourra s’entretenir à nouveau avec son avocat au bout de la douzième heure de la mesure. En cas de prolongation de vingt-quatre heures, qui n’est possible que si la personne encourt une peine supérieure à un an de prison, l’avocat pourra assister aux interrogatoires. Pendant toute la durée de la procédure, “l’avocat ne peut faire état auprès de quiconque (…) de son entretien avec la personne, ni du contenu des procès-verbaux et du déroulement des interrogatoires”.
Dans le cas du crime organisé ou des affaires de terrorisme, l’intervention de l’avocat n’est possible, respectivement, qu’au bout de quarante-huit ou soixante-douze heures de garde à vue. Les interrogatoires ne sont pas enregistrés. Le projet confirme une disposition de la loi de 2006 qui a porté à six jours la durée maximale de la garde à vue en cas d’infraction terroriste.
La retenue judiciaire. Le projet prévoit la création de cette nouvelle mesure destinée à garder une personne dans les locaux de la police sans la placer formellement en garde à vue. La retenue judiciaire ne peut durer que six heures, et ne s’applique qu’en cas de délit passible de moins de cinq ans de prison. Aucune des garanties applicables à la garde à vue (droit de visite de l’avocat, accès de celui-ci au dossier) n’est ici possible. A l’issue de ces six heures, la personne est soit libérée, soit déférée au parquet, soit placée en garde à vue. La chancellerie travaille sur une autre hypothèse que la retenue judiciaire : la personne serait alors entendue sous le régime de “l’audition libre après une interpellation”, qui ne pourrait excéder quatre heures.
Deux groupes de travail autour de Mme Alliot-Marie
La ministre de la justice et des libertés, Michèle Alliot-Marie, réunit, mardi 10 novembre, un groupe de travail élargi sur la réforme de la procédure pénale, composé du professeur de droit Didier Rebut, des sénateurs, François Pillet (UMP), François Zoccheto (Nouveau Centre), les députés Philippe Gosselin (UMP) et Dominique Raimbourg (PS). Il s’ajoute au groupe qui se réunit tous les vendredis autour du directeur de cabinet, François Molins, composé du procureur général de Dijon, Jean-Marie Beney, d’un substitut de Bobigny – où M. Molins était procureur -, Haffide Boulakras, du président de la chambre de l’instruction d’Orléans, Pierre Moreau, et de deux avocats, en alternance, Henri Leclerc et Frédéric Landon.
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