ominique Macel, sans profession, croisait souvent ses tortionnaires, dans le quartier du Clos des Roses, à Compiègne, la sous-préfecture de l’Oise. Il a même fréquenté de près Abdoul Thiam, en 2005 ; ils étaient incarcérés tous les deux à la maison d’arrêt de la ville. Lui avait été arrêté pour détention de cannabis, Thiam pour vol aggravé.

Cette fois, du 8 au 11 juin, Abdoul Thiam va comparaître devant la cour d’assises de Beauvais, en compagnie de Fouad Bouhi, pour avoir séquestré et torturé Dominique Macel. C’était dans la nuit du 9 au 10 mars 2006, moins d’un mois après la mort d’Ilan Halimi, la victime du “gang des barbares” actuellement jugé à huis clos devant la cour d’assises des mineurs de Paris. Les tortionnaires de Compiègne semblent avoir imité, si ce n’est “sophistiqué”, certaines techniques de la bande parisienne. Mais ils ont assuré aux enquêteurs que cette tragédie ne les avaient en rien inspirés.

Thiam et Bouhi étaient alors âgés de 19 et 18 ans, leur victime en avait 28. Ils encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Contrairement à Youssouf Fofana, l’assassin présumé d’Ilan Halimi, qui a fait torturer sa victime pendant vingt-quatre jours, eux ont libéré leur proie après une nuit et une matinée de barbarie. Ils sont accusés d'”enlèvement ou séquestration accompagné ou suivi de tortures ou d’actes de barbarie, de tentative d’extorsion et de vol avec violence en réunion”.

A leur côté, Vitali Poulet et Audrey Votte, deux femmes âgées de 34 et 21 ans à l’époque des faits, comparaîtront libres. Elles répondront d'”abstention volontaire d’empêcher un crime”, et de “recel de malfaiteurs” pour la première et de “modification des preuves d’un crime” pour la seconde. Elles risquent chacune cinq ans de prison.

Né en France de parents sénégalais divorcés, Abdoul Thiam est le troisième d’une fratrie de onze enfants. Malgré une formation dans la restauration qui lui a bien plu, il a fait l’objet de plusieurs condamnations. La première, pour “vol avec violence et en réunion”, remonte à mai 2004. Depuis janvier 2006, Thiam tourmente régulièrement Macel. Il invoque une dette de 300 euros pour une histoire de stupéfiants – que l’enquête n’a jamais confirmée ni infirmée. Le jeudi 9 mars 2006, vers 21 heures, il alpague à nouveau son supposé débiteur, au pied d’un immeuble du Clos des Roses où celui-ci se rend en visite chez une amie. Cette fois, Thiam exige 1 500 euros.

Fouad Bouhi, benjamin rondouillard d’une famille d’origine algérienne de six enfants, traîne dans les parages. Tout au long de l’enquête, ce garçon complexé, affecté d’un fort bégaiement, demeurera incapable d’expliquer pourquoi il a emboîté le pas : “J’ai pas réfléchi dans ma tête, j’avais rien à faire.”

Tous deux entraînent Macel au 9e étage d’un immeuble, à coups de poing et gifles. Un habitant leur intime de cesser, et Thiam l’envoie rudement promener. En haut, ils dépouillent Macel de 70 euros et de son téléphone portable, puis ils l’emmènent chez Vitali Poulet, une locataire de l’immeuble de leur connaissance, afin qu’elle avance 300 euros à Thiam. A 34 ans, cette jeune femme, qui a connu des épisodes sans domicile, a neuf enfants de trois pères différents. Elle refuse de prêter la somme demandée. Le visage tuméfié de Dominique Macel ne lui a pas échappé, elle racontera même le lendemain en riant à une voisine qu’il “s’est fait massacrer dans une cave”.

Abdoul Thiam décide alors d’emmener Dominique Macel dans un endroit plus discret. Au pied de l’immeuble, il hèle J., 19 ans, et L., 20 ans, qui mettront plusieurs jours après l’interpellation pour se présenter à la police. Thiam exige d’être déposé en voiture dans le quartier de la Victoire avec Bouhi et Macel. Nouveau dans la cité, J. obtempère “pour ne pas avoir de problèmes”. Les deux garçons branchent la radio pour en apprendre le moins possible. Il fait nuit, mais ils distinguent à l’arrière le passager du milieu, les yeux bandés par une écharpe : Macel. “Je me doutais que c’était pas clair, a expliqué L. aux enquêteurs, mais je pensais que c’était juste pour faire peur, pas que ça irait jusque-là. Je faisais comme s’ils n’étaient pas là.”

Le calvaire de Dominique Macel se poursuit durant toute la nuit et toute la matinée suivante dans la cuisine d’un petit appartement du quartier de la Victoire : chez Audrey Votte, une des deux petites amies de Thiam, assistante périscolaire dans une école maternelle. Ligoté par ses ravisseurs à une chaise en plastique avec un câble téléphonique, Macel est roué de coups. On lui fait appeler sa mère au téléphone. “Maman, est-ce que tu as de l’argent tout de suite ?”, crie-t-il paniqué. Elle répond par la négative. “Ils vont me séquestrer, ils vont me tabasser !”, hurle Macel. Affolée, sa mère assure avoir appelé deux fois la police sans obtenir de réponse. Un ami de Macel, chez lequel il vit, sera également sollicité par téléphone pour 2 000 euros, puis on commandera une pizza. Les ravisseurs de Macel, qui ingurgitent du whisky, s’échauffent.

Ils entreprennent de le brûler avec des cigarettes dont ils lui font manger les mégots, puis au briquet, au fer à repasser et avec la lame d’un couteau chauffée à blanc. Ils l’aspergent de parfum qu’ils enflamment. Ils lui rasent les sourcils à vif, lui pèlent une partie de la peau du dos, des mains et des joues. Selon Macel, Thiam fait d’abord un côté, Bouhi l’imite de l’autre. On le force à boire deux verres d’eau de Javel. Sur les plaies, Thiam a appliqué du sel : “Je crois savoir que le sel enlève les bactéries et je ne voulais pas que Dominique attrape un truc. J’étais bourré et j’avais sniffé.”

Avec un appareil photo numérique emprunté à Audrey, les bourreaux se mettent en scène. Ils filment et photographient le résultat de leurs sévices qu’ils demandent à Macel de commenter tout en le giflant : “C’est quoi ? Hein… Qui t’a fait ça ? Montre… Parle. Dis-leur ce qu’on fait aux bâtards.” Gros plans sur les joues, les oreilles, les mains, le dos ou le torse suppliciés. La victime balbutie le descriptif en suffoquant de douleur. La puce contenant ces séquences sera retrouvée chez Vitali Poulet. Selon Macel, les images étaient destinées à dissuader quiconque de résister à Thiam.

Dans son canapé-lit de la pièce voisine, Audrey somnole en entendant crier “une voix d’homme qu’(elle) ne connaît pas”. Abdoul a mis de la musique et expliqué qu’il règle un problème avec un débiteur. De temps en temps, il vient lui montrer des clichés. “Je les entendais rigoler”, racontera Macel. Audrey n’appelle pas à l’aide. “Mon téléphone était dans la cuisine et j’avais très peur des représailles d’Abdoul”, s’est-elle justifiée. Le lendemain, en rentrant du travail, elle fera un peu de ménage dans la cuisine ensanglantée.

D’autres auraient pu donner l’alerte. Une voisine a raconté aux enquêteurs comment, entendant du bruit dans les escaliers au moment de descendre sa poubelle, elle a préféré guetter à l’oeilleton et attendre pour sortir. Elle a alors vu trois hommes dont un le visage bandé, les mains attachées dans le dos.

Comme l’a expliqué Macel au cours de l’enquête, “au Clos des Roses, ça ne se fait pas de dénoncer ce genre de faits, parce que ça se sait vite. Celui dont on sait qu’il a balancé se fait massacrer”. A l’instar de Youssouf Fofana, Abdoul Thiam n’a pas de bande, mais peut en rallier une en un clin d’oeil. “Abdoul Thiam, c’est “Dieu” au Clos des Roses, a souligné Macel durant l’enquête. Quand il appelle quelqu’un, la personne vient. Quand il veut quelque chose, il l’obtient.” Fouad Bouhi a participé directement à sa torture, mais Macel a tenté de le dédouaner : “ Le meneur, c’était Abdoul. Quand Bouhi était seul avec moi, il se tenait bien.” Macel dit même avoir été contacté par un frère de Thiam, qui lui a demandé de charger Bouhi en échange d’argent.

En rentrant chez lui, vers 2 h 30, dans la nuit du 9 au 10 mars 2006, Bouhi a éprouvé des remords, mais l’idée d’avertir même anonymement la police ne l’a pas effleuré : “J’avais peur que l’un des frères ou des cousins d’Abdoul s’en prenne à l’une de mes soeurs.”

Le vendredi 10 au matin, Bouhi a apporté des croissants. Thiam et lui ont relâché Macel à la mi-journée contre la promesse de rapporter l’argent le lendemain et de “ne pas jouer les malins”. Dominique s’est réfugié en état de choc chez sa mère, puis dans un commissariat.

Thiam et Bouhi se cachent alors chez une locataire du Clos des Roses, où vit l’autre fiancée de Thiam, une lycéenne de 19 ans. Lorsque celle-ci rentre de l’école, Thiam lui explique qu’il a fait quelque chose de “hard core” à quelqu’un “qui lui doit de l’argent”. “En plus, c’est un Français”, précise-t-il. Selon le récit de la jeune fille, les deux compères ont alors commencé à mesurer la gravité de leurs actes à leur façon : “Ce qu’on a fait va passer sur France 3”, a dit Thiam. “Sur M6 et sur la Une”, a suggéré Bouhi après s’être inquiété de “prendre une peine de bâtard”. Rapidement arrêtés, ils ont d’abord nié avant de se rejeter mutuellement la faute, puis de se retrancher derrière leur ébriété. Les experts les considèrent comme responsables de leurs actes.

Depuis, Dominique Macel vit en couple et a eu deux enfants. Mais c’est en convoi pénitentiaire qu’il arrivera lundi 8 juin à la cour d’assises de Beauvais. Il est en prison depuis le début de l’année pour conduite sans permis. Domicilié près de la cité, il n’osait plus s’y promener à pied.

Patricia Jolly
Article paru dans l’édition du 07.06.09
3 réponses
  1. nicole DU
    nicole DU dit :

    on se retrouve vite incarcéré pour conduite sans permis, mais qu’est-ce que la justice française semble clémente pour les agressions et les violences gratuites, les complicités de tortures et actes de barbarie, souvent requalifiées en “non dénonciation de crime” ou en “non assistance à personne en péril”, surtout quand il s’agit de femmes complices…

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  2. Audrey VOTTE
    Audrey VOTTE dit :

    Bonjour,

    Je m’appelle Audrey VOTTE et bien originaire de compiègne. Je pense qu’il y a un souci dans le prénom de la personne concernée. Il s’agit bien d’une personne de ma famille dont le prénom commence bien par un A mais pas Audrey.

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  3. nicole
    nicole dit :

    Madame Votte, puisqu’il s’agit de quelqu’une de votre famille, a t-elle eu au moins des remords “tardifs” d’avoir été complice de tortures sans avoir rien fait pour aider ce malheureux qui sera traumatisé à vie, ou a t-elle joui de ses souffrances?

    Répondre

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