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11 juin 2009

Me André Elard, avocat pénaliste à Brest, ne s’est pas contenté de l’annonce. À l’annonce du plaider- coupable possiblement proposé en cour d’assises, l’avocat contre-attaque. Il évoque l’avènement d’une justice de gestion à la place d’une justice de qualité.

  • Me André Elard, avocat pénaliste à Brest.
  • «À la certitude entendue que ça ne se fera pas, je réponds méfiance». Le doute que nourrit MeAndré Elard sur la proposition de la commission Léger d’ouvrir certains procès d’assises au plaider-coupable est intense. Ou tout au moins, le plaideur souhaite prévenir que guérir. Pour lui, il en va d’une question d’éthique et, au risque d’utiliser des termes pompeux, de philosophie. «Le plaider-coupable aux assises, révélé par une indiscrétion orchestrée, n’est pas le même qu’en correctionnelle. Ici, il n’est pas question de négocier la peine mais bien d’éluder l’étude des faits lors de l’audience», note-t-il. L’accusé qui choisirait cette voie judiciaire bénéficierait automatiquement d’une ristourne sur la peine. Pour ceux qui encourent la perpétuité, l’avocat général ne pourrait plus réclamer que 30 ans de réclusion, et ainsi de suite. La barre s’abaisserait d’un cran, systématiquement. Seraient exclus de cette opportunité les meurtres d’enfants ainsi que les actes de torture et de barbarie. «Nous ne sommes pas encore dans le mécanisme américain qui propose une transaction avant le procès. La commission n’a pas poussé la logique jusqu’au bout» note le plaideur qui voit immédiatement un écueil de forme à cette hypothèse. «Le modèle anglo-saxon, et principalement américain, repose sur une justice privée entre parties. Là-bas, je rappelle que le procureur est élu. En France, notre justice est publique, les arrêts sont rendus au nom du peuple français. Elle est l’aboutissement d’un long passé, elle est certes évolutive mais adaptée à un pays».

    L’aveu survitaminé

    Et cette histoire ne cesse de rappeler, au rythme des grands procès et des chroniques judiciaires, que le procès pénal est ici inquisitoire quand outre-Atlantique, il est accusatoire. La nuance est de taille. «En France, un procès d’assises est avant tout la recherche de la vérité qui se heurte à la réalité humaine. Chaque personne peut revenir sur ses aveux lors du procès, c’est un droit essentiel». Qui se retrouverait guillotiné une fois la reconnaissance de culpabilité préétablie, puisqu’il ne sera plus question de faits. «L’aveu est la reine des preuves», poursuit MeElard, «il est le plus fragile aussi». Il se souvient que Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs fustigé sa mainmise lors de son annonce fracassante sur la fin du juge d’instruction, lui préférant «la justice de preuves». L’ombre d’Outreau n’est jamais loin dans les déclarations d’intention, mais «en instituant ce plaider-coupable, la commission Léger fortifie a contrario la puissance de l’aveu, puisqu’une fois établi, il ne pourra plus être contesté», s’agace l’avocat. Et de citer les conditions dans lesquelles il se passe le plus souvent: en garde à vue «sans avocat de la défense, puisque nous n’avons pas accès aux dossiers. Combien de fois avons-nous vu un accusé se rétracter à raison? Parfois, on avoue pour protéger un autre ou bien par lassitude», parle d’expérience l’avocat.

    L’entrée des épiciers

    Dans l’actualité judiciaire récente, il cite cet universitaire à qui l’on reprochait le meurtre de sa femme. «Tout l’accable, mais il n’a pas avoué. Il a pu se défendre et il a été acquitté. C’est la gloire de notre droit. Je préfère un coupable acquitté à un petit négociateur de peines. La nature humaine est trop complexe pour se satisfaire d’un aveu». Alors, comment comprendre cette idée du plaider-coupable dans les cas criminels? André Elard oppose au «désengorgement des cours d’assises» évoqué par la commission une «logique de gestion». Il insiste: «c’est du petit négoce d’épicier introduit dans notre droit, c’est un nivellement vers le bas. Nous allons préférer une justice de comptable à une justice de qualité». Forcément intéressé par le futur rôle de l’avocat lors des procès criminels, André Elard s’inquiète «sur la part d’inconnu» liée à chaque affaire.

    Les faits, rien que les faits

    Il se demande encore comment il passera sous silence les faits qui valent à l’accusé de se trouver dans le box. «Ce qui est évident sur le papier ne l’est pas souvent devant les juges. Comment évoquer un crime passionnel si on ne regarde pas les circonstances? Comment expliquer un drame chez les marginaux si personne ne prend le soin d’expliquer leur mode de vie qui nous échappe?», questionne à dessein le plaideur qui croit qu’aucun procès ne peut se dispenser d’évoquer les faits de près. Et quand bien même. «Il me semble que Fourniret n’a pas tué d’enfants et qu’il n’a pas commis d’actes de barbarie. En utilisant le plaider-coupable, il aurait évité la perpétuité automatiquement. Ils n’ont pas calculé toutes les conséquences». Même cas de figure pour le double meurtre de Clarisse et Erwan, où André Elard est intervenu comme partie civile. «Je ne veux pas être coupable de plaider, je veux plaider, pas autre chose». Une jolie formule pour un débat qui ne fait que commencer.

    • Steven Le Roy

    Correctionnelle. Dans les chemins vicinaux du droit

    Le plaider-coupable est désormais familier du droit français, depuis que l’ex-garde des sceaux Dominique Perben l’a introduit dans les procédures correctionnelles, prétendument mineures. Le système devait être simple: pour une peccadille facilement vérifiable, type conduite en état d’ivresse, le prévenu assisté d’un avocat avait rendez-vous dans le cabinet du procureur qui proposait une peine. En cas d’acceptation, un juge homologuait la peine dans la foulée et l’on en restait là. Seule obligation prévue par la loi: que la peine d’emprisonnement maximale ne dépasse pas cinq ans de prison. ?? l’époque, personne n’imaginait qu’une peine de prison ferme pouvait se négocier dans le secret du cabinet du procureur. Lors d’un colloque en 2004, François Nicot, alors procureur à Brest, garantissait à demi-mots la très relative importance du séisme annoncé. Cinq ans plus tard, la comparution préalable à la reconnaissance de culpabilité (CRPC) semble s’être engloutie dans les habitudes du palais de justice de Brest. «Ce n’est pas tellement appliqué», renchérit André Elard, qui chiffre à «une trentaine» le nombre de dossiers par mois suivant cette trajectoire de procédure pénale. Un gadget? Pas tout à fait. Les coutumes semblent avoir changé. «C’est un excellent moyen pour cacher au public certains contentieux, comme celui des accidents du travail qui s’aiguillent facilement par là» poursuit le plaideur. De source proche du palais de justice, il en serait de même pour les délits de détention d’images pédo-pornographiques qui se résoudraient dans les feutres du cabinet du procureur.

    Une agression sexuelle derrière la porte

    Et puis récemment, il a été proposé à un notable de la région brestoise cette procédure pour une agression sexuelle. Ce n’est certes pas l’affaire du siècle, mais selon nos sources, il semble que cet homme ait un peu forcé la main d’une stagiaire pour obtenir un flirt, sans trop insister. Dans les limites du raisonnable? Impossible à dire. L’homme aurait toutefois accepté la CRPC et se serait vu proposer une peine de 3 mois de prison avec sursis. Le juge a refusé d’homologuer, retenant l’argument de la partie civile indiquant que l’agression était aggravée par la fonction, et donc passible de 7 ans de prison maximum. Soit hors champ de la loi. Il sera donc convoqué en correctionnelle mais selon son avocat, «cette formule convenait àtout le monde. La prochaine fois, je plaiderai la relaxe pour cette drague à l’ancienne». Problème: en ayant avoué a minima, sera-ce encore possible? L’équité du procès sera-t-elle encore respectée?

    • S.L.R

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