LE MONDE
Sinophiles et cinéphiles sont habitués à voir arriver sur les écrans, depuis quelques années, des films qui révèlent l’envers du décor du nouveau rêve chinois. Les fictions de Jia Zhang-ke ou les documentaires de Wang Bing, les deux plus grands cinéastes de Chine continentale en activité, en témoignent. Pourtant, on n’a sans doute jamais été aussi loin que Zhao Liang dans la stigmatisation de l’injustice et de l’impéritie d’un système qui pousse au désespoir des franges entières du peuple chinois. Cinquième documentaire réalisé par ce remarquable réalisateur né en 1971, Pétition : la cour des plaignants embarque ses spectateurs dans un stupéfiant voyage immobile.
Le réalisateur chinois Zhao Liang sur le tournage de son documentaire, “Pétition : la cour des plaignants”, présenté hors compétition au 62e Festival de Cannes.
Nous voilà donc parmi les pétitionnaires qui convergent de toute la Chine pour porter plainte en dernier recours devant le pouvoir central de Pékin contre les abus et dommages dont ils sont victimes de la part des gouvernements locaux. Rassemblé près du bureau destiné à recueillir leurs doléances (le Conseil des affaires d’Etat de la République populaire de Chine), ce petit peuple y est comme installé à demeure dans des abris de misère, dans une précarité et une promiscuité qui évoquent la cour des Miracles.
Car la particularité de l’administration censée leur venir en aide semble consister essentiellement à les faire attendre des mois, parfois des années. Pour ne rien gâcher, les gouvernements locaux envoient des “rabatteurs” chargés de repérer les plaignants et de les décourager par tous les moyens, à commencer par celui de la pure violence, de la rétention forcée en hôpital psychiatrique, parfois de l’assassinat. Tout cela suscite autant d’incrédulité que d’indignation. Zhao Liang le montre parfaitement. Il filme, sans équipe et au plus près de ces désespérés, depuis 1996. Il y a là des paysans expropriés de leur terre, des propriétaires dont la maison a été détruite sans compensation, des ouvriers licenciés.
Pour mieux incarner son propos, le réalisateur choisit de suivre quelques figures, telles cette mère et sa fille qui tentent depuis dix ans d’obtenir une réparation consécutive à la mort de leur mari et père au cours d’un examen médical. Ce document exceptionnel, d’une puissance proprement kafkaïenne, s’achève délibérément avec les préparatifs de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de 2008, venant a posteriori nourrir le débat sur la nécessité d’un boycott qui n’aura pas eu lieu. Quiconque verra ce film jugera du moins en connaissance de cause.
Laisser un commentaire
Participez-vous à la discussion?N'hésitez pas à contribuer!