Isabelle Horlans, le mercredi 22 juillet 2009 à 04:00

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Mardi 25 juin 1996, le ciel est clair sur Bourg-en-Bresse, dans l’Ain. Devant les portes du palais de justice, il y a foule. Le procureur a fait aménager une salle de retransmission vidéo pour permettre au plus grand nombre d’assister au procès du faux médecin qui a supprimé sa famille ; dispositif exceptionnel à l’époque. L’accusé entre dans le box de la cour d’assises et tombe la veste, passée sur son polo noir. Ses épaules sont carrées, ses traits plutôt doux, comme le timbre de sa voix. La présidente Yvette Vilvert l’invite à décliner son identité.
– « Je m’appelle Jean-Claude Romand, j’ai 42 ans.
– Avez-vous une profession ?
– Je n’en ai plus. »

Ce matin-là, l’accusé aurait dû répondre « je n’en ai jamais eu », mais c’eût été, sans doute, trop douloureux à admettre en ce premier jour d’audience. Déjà, il y a des larmes dans ses yeux, mais l’on ne sait encore s’il pleure les cinq cadavres des êtres qu’il aimait le plus au monde ou si c’est la honte qui suscite le chagrin. Jean-Claude Romand, qui n’a jamais eu de métier et qui n’a jamais été chômeur, s’est créé un double pendant vingt ans. Il s’est d’abord fait passer pour un brillant étudiant en médecine, reçu cinquième à l’internat de Paris, puis pour un médecin chercheur de l’OMS, en poste à Genève. Pour offrir une belle vie à sa ravissante épouse et à leurs enfants, il a escroqué parents, belle-famille, amis. Il a détourné plus de 45 millions de francs pour subvenir aux besoins des siens – qu’il a fini par abattre parce qu’il était acculé, prisonnier de ses mensonges, et qu’il préférait la mort à l’infamie.

Une vie « comme si… »

Vendredi 8 janvier 1993, en milieu d’après-midi, Jean-Claude Romand regagne sa villa à Prévessin-Moëns, au cœur du verdoyant pays de Gex, en bordure de la Suisse. Les Romand s’y sont installés en 1984. Florence, une pharmacienne de 37 ans, effectue des remplacements à l’officine locale, enseigne le catéchisme et s’investit parmi les parents d’élèves à l’institution Saint-Vincent-de-Paul que fréquentent Caroline et Antoine, ses enfants de 7 et 5 ans. A Prévessin-Moëns, où résident plusieurs fonctionnaires internationaux, les Romand sont respectés, invités. Avec ses confrères, le toubib parle molécules, participe aux colloques de l’Association médicale du pays de Gex. On loue sa modestie. A ceux qui veulent professionnellement s’enrichir, il rapporte des études de l’OMS, où il travaille chaque jour sauf quand il est missionné à l’étranger.

Ce vendredi, il vient donc de franchir la frontière franco-suisse. Il gare sa BMW devant la ferme que Florence a rénovée. Le couple s’en va chercher les petits à l’école. Dans la cour, Jean-Claude bavarde avec des parents : ses interlocuteurs se souviendront d’un homme « épanoui, heureux  ». Faux. Romand est au bout du rouleau. Il n’en peut plus, de sa vie « comme si… ». Comme si tout était normal, comme s’il pouvait continuer à tromper les autres et à se leurrer soi-même. Vingt ans de mensonges et désormais plus un sou, que des dettes, le compte bancaire dans le rouge, vide à ne même plus pouvoir honorer la traite de la BMW, et la banque qui menace, les proches qui ne prêtent plus, faute de rapports, pire, qui posent des questions. Pendant des années, il leur a proposé d’investir dans des placements fructueux en Suisse. Il rembourse les uns avec le bas de laine des autres, escroquerie désignée sous le terme de « cavalerie » à donner des sueurs froides, à n’en plus dormir. Cette fois, c’est fini. Dans dix jours, un mois, le pot aux roses sera découvert. Jean-Claude Romand est foutu.

Une vingtaine d’heures auprès des corps

Vendredi soir, il est rentré armé. Dans la nuit, sur Caroline et Antoine, il vide le chargeur de sa carabine 22 Long Rifle. Il fracasse le crâne de Florence avec un rouleau à pâtisserie. Samedi 9, il parcourt 75 kilomètres en direction du Jura. A Clairvaux-les-Lacs, il s’arrête chez ses parents. Aimé, ancien garde-forestier, et Anne-Marie, septuagénaires, sont fiers de leur fils médecin. A une voisine, ils ont justement annoncé la veille que l’Amérique réclame le « Dr Romand » ; il y sera bientôt muté. Jean-Claude mange des haricots et se rend au premier étage pour réparer une prétendue fuite d’eau. Son père le suit. Il est abattu d’un coup de fusil. Sa mère crie : « Jean-Claude, qu’est-ce qui t’arrive ? » Nouveau tir, mortel. Troisième cartouche pour le chien. Romand les installe sous des couvertures et s’enfuit. A Paris, il a rendez-vous avec Chantal, qui fut sa maîtresse. Elle lui a prêté 900.000 francs. Ce samedi, il lui a fait deux promesses : l’emmener dîner chez son « ami » Bernard Kouchner et lui rendre ses économies qui fructifiaient en Suisse. Mais, en forêt de Fontainebleau, il braque sur elle le canon de son arme. Chantal supplie. Il lui laisse finalement la vie sauve.

Après avoir passé quelques heures dans un hôtel, il rentre à Prévessin, où gisent Florence, Caroline, Antoine. Romand tourne en rond dans sa maison, il passe une vingtaine d’heures prostré près du sapin de Noël et des cadavres des siens. Dans la nuit de dimanche à lundi, Jean-Claude Romand avale des barbituriques, arrose les corps d’essence et incendie la ferme. Il s’en va rejoindre les siens.

« Je suis un monstre »

A 4 heures du matin, les pompiers découvrent trois morts. Puis un homme dans le coma. Il respire ! Sans doute le malheureux dont la femme et les enfants ont péri… Quelle tragédie, murmurent les voisins. Bientôt ils apprendront la vérité, effrayante, irréaliste, incroyable. Romand s’est raté. Le voici désormais dans un caisson pour brûlés à l’hôpital de Genève. « Etat critique. » Pendant qu’il lutte pour vivre – ou mourir –, les gendarmes découvrent que Marie-France, Aimé, Florence, Caroline et Antoine Romand ont été supprimés à la carabine. L’époux modèle, le fils parfait, le père aimant devient le suspect numéro un.

Transféré à Lyon, en médecine pénitentiaire, il se réveille, se rétablit. Vendredi 22 janvier 1993, à 10 h 15, cinq hommes venus de Bourg-en-Bresse s’installent à son chevet : le juge, le procureur, son substitut, un greffier et l’avocat de l’assassin présumé. Jusqu’à 16 h 30, il s’affirme médecin à l’OMS et innocent des crimes dont on le soupçonne. Et soudain il craque : « Je suis un monstre. J’ai raté mon suicide, qui aurait mis un point final à cette histoire, et c’est la pire sanction qui puisse m’être infligée. Je regrette que la peine de mort ait été abolie. Moi, je suis condamné à vivre… »

Mardi 2 juillet 1996, la cour d’assises de l’Ain a infligé la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de vingt-deux ans, au faux médecin de l’OMS.  Il est aujourd’hui bibliothécaire en prison, libérable en 2015.

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