LE MONDE | 19.03.10 | 16h33  •  Mis à jour le 19.03.10 | 16h33

a famille de Farhat Hached, un syndicaliste nationaliste tunisien assassiné en 1952, cherchait le moyen de porter l’affaire devant la justice française depuis cinquante-huit ans. Une déclaration recueillie par la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira lui en a fourni pour la première fois l’occasion. Mardi 16 mars, une plainte a été déposée au tribunal de grande instance de Paris, au nom de la famille Hached, de la Ligue française des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), pour “apologie de crime de guerre”.

Le 18 décembre 2009, lors d’une émission consacrée à l’assassinat de Faraht Hached, un proche d’Habib Bourguiba, fondateur de l’Union générale tunisienne du travail, Al-Jazira diffuse le témoignage d’Antoine Méléro, un ancien policier français membre de la Main rouge. Ce groupuscule, qui aurait été une émanation du service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE, aujourd’hui la DGSE), est soupçonné d’avoir organisé les meurtres de plusieurs responsables indépendantistes au Maghreb, pendant la colonisation, puis en Europe.

Le 5 décembre 1952, la voiture de Farhat Hached est mitraillée dans un faubourg de Tunis. Le leader tunisien est achevé par balles par les occupants d’un autre véhicule. Sur Al-Jazira, M. Méléro, qui s’exprime en français, raconte : “C’était un groupe, il y avait un commissaire de police dans cette affaire-là…” Puis il ajoute, à propos de l’opération : “Moi, je la trouve légitime, moi si c’était à refaire, je referais.” Une phrase qui motive la plainte. Car, si le crime est prescrit, l’apologie, elle, ne l’est pas.

Selon les avocats Patrick Baudoin, pour la FIDH, et Houcine Bardi, conseil de la famille, la convention de Genève s’applique puisque les faits se situent, sinon dans le cadre d’une guerre, du moins dans celui d’un “conflit armé”.

AUCUN REMORDS

Rencontré à Paris, M. Méléro ne nie pas avoir tenu les propos incriminés, mais il s’emporte. “Ils se réveillent cinquante ans après ? C’est n’importe quoi ! C’est prescrit, totalement prescrit. Et puis il n’y avait pas de guerre en Tunisie ni au Maroc d’ailleurs.” Lui-même ne se trouvait pas en Tunisie à cette époque, mais au Maroc. “J’ai dit “je”, mais je pensais “on””, dit-il, sans exprimer de remords. Agé de 81 ans, M. Méléro se présente comme le “biographe de la Main rouge”, à laquelle il a consacré un livre en 1997 (La Main rouge, Editions du Rocher). Entré dans la police en mars 1952, il a, affirme-t-il, rejoint l’organisation secrète en décembre de la même année : “Je participais, mais je ne mettais pas la main à la pâte, comme on dit.”

Suspecté d’avoir pris part à l’assassinat en 1955 de Jacques Lemaigre-Dubreuil, propriétaire du journal Maroc-Presse, M. Méléro a été arrêté après son retour en France, puis remis en liberté après plusieurs mois de détention préventive, avant de bénéficier d’un non-lieu en 1964. Révoqué en 1965 pour une caricature de De Gaulle publié dans son journal Pieds-noirs, il a été réintégré avec ses droits à la retraite en 1982 à la faveur de la loi d’amnistie. “Cette histoire est révélatrice de la résurgence des nostalgiques du colonialisme et de la banalisation du crime de guerre , s’indigne Me Baudouin. Aucun membre de la Main rouge, qui prenait ses ordres de Paris et comptait quelques dizaines d’hommes répartis dans trois sections très cloisonnées, “renseignement”, “protection” et “action”, n’a jamais été condamné.

Isabelle Mandraud
Article paru dans l’édition du 20.03.10
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